Alors qu'AMD s'apprête à parler du futur de ses CPU et GPU, Intel a décidé de lui couper l'herbe sous le pied en évoquant sa prochaine génération Cascade Lake... pour confirmer qu'elle contiendra quelques surprises.
Début août, Intel organisait son Data-Centric Innovation (DCI) Summit. Un évènement qui avait un objectif : rassurer sur la capacité d'innovation du constructeur dans le serveur, alors qu'AMD est en pleine phase de reconquête.
Le Texan a en effet mis sur le marché ses processeurs EPYC en 2017, avec la promesse d'une meilleure densité et de caractéristiques techniques alléchantes (nombre de cœurs, de lignes PCIe, fonctionnalités de sécurité). Mais surtout, des tarifs défiants toute concurrence. Progressivement, les partenaires ont décidé de suivre l'initiative.
Dell et HPE ont été parmi les premiers à faire des annonces, puis ils ont depuis été suivis par des constructeurs de renom tels que Cray, ou des acteurs du cloud tels qu'Alibaba, Microsoft et Oracle. La guerre se mène également dans le secteur des stations de travail, avec les Ryzen Threadripper dont la seconde génération a été lancée cet été.
L'objectif d'AMD est clair : regagner des parts de marché dans ces segments très lucratifs. La société semble néanmoins consciente de l'inertie lorsqu'il s'agit de faire changer des habitudes aux DSI, Lisa Su nous ayant indiqué lors d'un entretien qu'elle voulait atteindre les 10 % dans un premier temps.
Pour y parvenir, la stratégie et les produits vont encore devoir évoluer. La société devrait d'ailleurs effectuer une série d'annonces dans la journée, à l'occasion de son évènement Next Horizon. Elle doit y passer la seconde, notamment grâce à des processeurs et des puces graphiques gravés en 7 nm, devant être mis sur le marché l'année prochaine.
C'est sans doute ce qui a poussé Intel à livrer quelques détails sur ses prochains produits dès hier.
Communiquer en attendant les nouveautés
Le géant de Santa Clara est dans une phase qui est à la fois contradictoire et délicate. Il affiche un bilan financier toujours plus solide de trimestre en trimestre, mais commence à souffrir d'indisponibilités sur l'ensemble de ses gammes de processeurs en raison des soucis rencontrés avec le passage au 10 nm.
Outre des feuilles de route rallongées, il lui faut composer avec ses usines actuelles malgré une demande croissante. Surtout, il vit depuis des années sur des architectures qui évoluent peu, la précédente direction ayant décidé de faire de la diversification des revenus et des activités son cheval de bataille principal.
Résultat : au moment où AMD lance EPYC pour les serveurs et Ryzen sur le grand public, Intel n'a d'autre solution que d'augmenter le nombre de cœurs et la fréquence pour s'adapter en attendant de vraies nouveautés. Le risque de voir les clients passer à la concurrence est bien réel, même si la force des habitudes joue en sa faveur à court terme.
Autre carte que la marque a décidé de jouer : la communication. Ainsi, elle multiplie les annonces et autres informations sur des produits indisponibles ou à venir, bien qu'incapable de les proposer sur le marché (c'est à la mode). Retarder les lancements serait la solution la plus raisonnable, mais ce serait laisser AMD occuper seul le terrain.
Impensable, surtout dans des périodes comme la rentrée et la fin d'année, qui sont vitales sur le marché PC grand public. C'est notamment ce qui explique l'annonce récente à New York des Core i9-9900K. Des processeurs avec huit cœurs pour 488 dollars, qu'Intel est incapable de livrer en quantité aux revendeurs. Il s'affiche donc à 700 euros.
Ce, alors que l'on trouve les Ryzen 2700X à 330/350 euros et des Threadripper (première génération) 12 cœurs pour 400 euros. La seconde génération est désormais commercialisée dans son ensemble, entre 700 et 2 000 euros. Intel n'a à lui opposer que les Core X de 2017, avec un modèle 16 cœurs comme le Core i9-7960X qui coûte... moins de 1 600 euros.
Cette gamme doit être renouvelée dans le courant du mois, mais il n'y a pas de révolution à attendre : si les fréquences et le cache ont été revus légèrement à la hausse, la grille tarifaire est toujours aussi délirante face à la concurrence. Comble de cette stratégie sans queue ni tête : l'annonce du Xeon W-3175X.
Présenté comme un modèle grand public très haut de gamme, on connait uniquement certaines de ses caractéristiques : il embarque 28 cœurs, sa fréquence maximale est de 4,3 GHz, son TDP de 255 watts. Il doit être mis sur le marché en décembre, mais Intel se garde bien de communiquer sur certains éléments critiques, comme son prix.
S'il est aisé de le voir comme une réponse au 2990WX à 32 cœurs d'AMD, ce serait oublier que ce dernier est actuellement proposé pour un peu moins de 2 000 euros, alors qu'un Xeon W à 28 cœurs coûte, dans le meilleur des cas, 8 719 dollars chez Intel. Même si un effort significatif est fait pour ce W-3175X, il sera aussi hors de prix.
Une roadmap jusqu'à 2020, année du 10 nm dans les serveurs
Cet été, le constructeur avait tracé de grandes lignes du futur de son offre destinée aux professionnels : le marché n'est plus que dans les processeurs, mais également dans le stockage, les solutions réseau et le traitement des données au sens large. Avec le développement de l'IA et du « Edge computing » qui consiste à effectuer le traitement au plus proche de l'utilisateur final, de nouvelles solutions vont émerger, et Intel se voit bien en devenir l'acteur central.
Surtout que le marché adressable devrait être de pas moins de 200 milliards d'ici à 2022 selon les estimations. Et entre ses Xeon, ses SSD classiques, Optane, les FPGA d'Altera et autres solutions pour le véhicule autonome ou d'inférence via Movidius, Intel se sent paré pour couvrir une bonne partie des besoins à venir.
Pour accompagner ces déclarations, des annonces ont été faites. Cela concernait notamment les puces pour l'entraînement de réseaux neuronaux (NNP) Nervana, dont le premier modèle commercial L-1000 (Lake Crest) est attendu pour 2019. Aucune caractéristique n'est donnée au-delà d'informations déjà communiquées, comme l'utilisation de HBM.
Du côté de l'inférence, Intel mise sur Movidius, mais pas seulement. L'idée est en effet de pouvoir exploiter n'importe quel produit maison à travers un ensemble logiciel désormais connu sous le petit nom d'OpenVino. Il vient compléter un ensemble d'optimisations logicielles devant améliorer les performances via les différents frameworks du marché.
Pour ce qui est des réseaux, la prochaine grande évolution sera le SmartNIC (Cascade Glacier) qui doit notamment faciliter la migration live des machines virtuelles, sans nécessiter de pilote spécifique, ou réduire l'utilisation CPU grâce à des accélérations matérielles. Des solutions à 2x 25 GbE seront proposées dans un premier temps, le 100 GbE devant suivre. De manière plus générale, Intel indique que ses équipes de la photonique travaillent à des solutions 400 GbE.
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Enfin une visibilité a été donnée sur la roadmap d'ici à 2020. Une manière de fêter les 20 ans de la marque Xeon, qui avait commencé avec la génération Drake (lancé à l'été 1998). La prochaine génération attendue est Cascade Lake, annoncée pour la fin de cette année. Elle permettra d'améliorer la gestion du cache et d'augmenter les fréquences.
Mais elle inaugure également une série d'évolutions consacrées au deep learning et regroupées sous l'appellation DLBoost avec la Vector Neural Network Instruction (VNNI). Elle doit permettre de doubler les performances des CPU pour les calculs INT8, après les optimisations logicielles déjà intégrées ces derniers mois.
Cascade Lake sera aussi le premier modèle à être officiellement présenté comme compatible avec les modules DIMM Optane DC Persistent Memory. Ils font encore l'objet d'un test (sur Skylake-SP), avant une commercialisation l'année prochaine. On peut déjà s'attendre à ce que seuls certains CPU puissent gérer de tels modules.
Deux autres générations de processeurs doivent ensuite suivre, sur une nouvelle plateforme : tout d'abord Cooper Lake qui reste gravée en 14 nm mais améliorera les performances, la gestion des E/S (notamment pour Persistent Memory) et intégrera le support du format bfloat16 pour DLBoost. En 2020, Ice Lake sera enfin de la partie avec sa finesse de gravure en 10 nm. Aucune information précise sur les nouveautés attendues n'a été donnée.
Quoi de neuf, docteur ?
Mais que viennent donc apporter les annonces d'hier à tout cela ? Simplement quelques précisions concernant Cascade Lake, en complément de l'annonce des Xeon E-2100 basés sur l'architecture Coffee Lake (six cœurs au maximum).
Car c'est bien Cascade Lake qui devra dans un premier temps faire face aux EPYC actuels d'AMD, mais aussi ceux qui seront proposés en 7 nm, avec l'architecture Zen 2. Intel l'affirme : son nouveau processeur sera de 1,3 à 3,4 fois plus rapide qu'un EPYC 7601 à 32 cœurs. Comment ? En utilisant... 48 cœurs et 12 canaux mémoire.
Pour arriver à ce résultat, le géant de Santa Clara va faire ce qu'il a reproché à son concurrent : utiliser plusieurs die Scalable Performance (SP) dans un même packaging. Une solution dite Multi-Chip Package, ou MCP, qui prendra le nom d'Advanced Performance (AP). Bien entendu, aucun détail n'est donné sur l'interconnexion utilisée. On apprend juste qu'elle est rapide et optimisée pour offrir de bonnes performances. Deux sockets pourront être présents par système.
Et c'est à peu près tout. On ne connaît par exemple pas la fréquence de fonctionnement ou le socket utilisé. Le TDP reste également un mystère tout comme le prix de ce processeur, dont on ne sait même pas quand il sera lancé : en même temps que la gamme Cascade Lake-SP ou non ? Aucune idée.
Le reste des éléments avait déjà été largement évoqué cet été. Intel veut donc simplement évoquer sa solution à 48 cœurs avant que la concurrence n'enfonce sa gamme actuelle avec des modèles qui pourront sans doute atteindre 64 cœurs. Le tout en profitant à plein des évolutions de l'architecture Zen 2 d'AMD, qui restent à découvrir.
Bref, surtout de l'esbroufe. Heureusement, la société promet de donner des détails supplémentaires à l'occasion de la conférence Super Computing 2018 qui se tiendra du 11 au 16 novembre prochain. Espérons que l'on aura un peu de concret, à défaut d'en savoir plus concernant la commercialisation de Cascade Lake-AP/SP.
Intel va devoir grandir un peu... et faire mieux
Mais au final, on attend surtout autre chose de la part d'une société de la trempe d'Intel. Même si la communication a sans doute été la première de ses défaillances ces dernières années, il serait temps qu'elle apprenne de ses erreurs. Cela sera crucial dès 2019, à la vue des très nombreux lancements attendus.
Les équipes du géant américain ne peuvent décemment pas continuer d'être en réaction face à un concurrent comme AMD, la valorisation des deux sociétés affichant un rapport d'un à dix. Surtout si cela consiste à seulement délivrer des bribes d'informations sur des produits dont on ne sait même pas quand et comment ils seront mis sur le marché.
Un secteur comme celui des processeurs pour datacenters demande tout de même un peu plus de sérieux, et l'on ne cesse de constater à quel point les réactions sont atterrées face à de telles pratiques, tant en interne que chez les clients et autres partenaires de la firme. Même si la période n'est pas simple, aucun produit n'étant prêt à être réellement compétitif face à l'offre d'AMD sur les segments visés par le Texan, Intel devrait se montrer plus mature.
Pour cela, il faudra certainement attendre qu'un nouveau PDG soit choisi et vienne imprimer sa patte. Il sera sans doute alors temps de tout remettre à plat et de prendre les décisions autrement. Espérons que cela ira dans le bon sens, mais il serait de toute façon bien difficile de faire pire.