Un appareil en forme d'accordéon, où les notes sont agencées pour apprendre facilement les accords, avec guidage visuel et méthode vidéo. C'est la promesse du Dualo du-touch S, lancé sur Kickstarter, conçu et fabriqué en France, qui compte initier un nouveau public à la musique.
Apprendre la musique sans passer par un instrument classique ou le solfège. C'est ce que promet Dualo avec le du-touch S, un instrument électronique destiné aux amateurs et débutants, qui s'est lancé la semaine dernière sur Kickstarter. Il s'agit d'un appareil en forme d'accordéon, avec deux claviers, qui répartit chaque gamme des deux côtés pour être constamment accessible via huit doigts. L'idée : guider visuellement l'utilisateur plutôt que de lui expliquer la théorie derrière les sons. « Nous sommes là pour tous les gens qui ont essayé la guitare ou le piano, qui n'ont pas aimé le solfège ou qui se sont faits mal à la main » nous explique Jules Hotrique, co-fondateur de Dualo.
« Les notes de la gamme sont éclairées : en jouant sur les touches éclairées, on est sûrs que ça sonne bien. Si on joue sur les touches les unes à côté des autres, cela donne des accords. De plus, un petit écran au-dessus de l'appareil indique quelle note est appuyée » poursuit-il. Une fois une séquence accomplie, il est possible de la sauvegarder et la jouer en boucle d'un simple appui sur le bouton central. De quoi, logiquement, composer rapidement à partir d'un empilement de boucles ou jouer en concert, l'appareil étant conçu pour montrer facilement aux autres les touches pressées.
L'objet est vendu près de 300 euros pour les premiers contributeurs à la campagne Kickstarter et près de 500 euros pour les autres. L'objectif de 50 000 euros a été atteint en trois heures, le montant récolté dépassant désormais les 100 000 euros. Il faut dire que l'entreprise n'en est pas à son coup d'essai. À la mi-2013, ils avaient financé sur Kisskissbankbank le premier modèle, le Dualo du-touch, deux fois plus grand et... deux fois plus cher, avec un prix public frôlant les 1 000 euros. Le chemin parcouru depuis les premiers essais en 2008 et cette seconde version est d'ailleurs étonnant.
Réduire la taille, le prix mais pas les fonctions
La différence entre le du-touch et le du-touch S réside surtout dans une division par deux : des touches et du coût. La version « S » propose ainsi trois octaves, au lieu des cinq présentes sur son grand frère, doit 52 touches au lieu de 116. Le sacrifice ne serait pas si grand, selon Jules Hotrique. « Sur la grande version, on peut jouer des morceaux de classique ou de jazz qui seront peut-être plus compliqués à jouer sur le petit. Vous savez, une ligne de basse tient en une octave. Pour une batterie, on s'en sort avec cinq touches » explique-t-il.
L'entreprise a vendu 400 Dualo du-touch, et compte plus que doubler la production pour la version « S », avec des lots de production commençant à 1 000 unités. De quoi réduire une nouvelle fois les coûts, avec un peu de « ruse », comme le choix de composants moins chers pour les mêmes fonctions. Alors que la première version était fabriquée à Brest, la seconde le sera à Rambouillet, dans une usine capable de sortir 10 000 exemplaires par mois.
La réduction de prix a contribué à atteindre l'objectif en trois heures, contre une semaine pour la première campagne. « Quand des gens veulent se mettre à la musique, souvent 1 000 euros est un budget trop important pour se mettre à un instrument. Par contre, on sait qu'à 500 euros, ils peuvent acheter pour eux et même l'offrir » déclare l'entreprise.
Les débuts en 2008 sont clairement loin. « Au départ, je suis musicien et mathématicien. Sur mes temps de vacances, je me suis amusé à chercher l'espace mathématique de notes. Les notes, les accords, les gammes sont des objets un peu abstraits qui planent au-dessus de nos têtes. Je les ai plaqués sur un espace géométrique en 2D » raconte Jules Hotrique. Il les a ensuite réparties sur un double clavier, en juxtaposant les notes qui forment des accords.
Il conçoit un premier prototype « au couteau suisse dans ma cuisine », dépose un brevet sur cette base et écume les routes pour récolter les contacts d'un millier d'intéressés. En 2011, il co-fonde Dualo avec son ami Bruno Verbrugghe et obtient un financement de la BPI (subventions et prêts d'honneur). Une quarantaine de prototypes suivent, puis la campagne Kickstarter en 2013, qui permet d'obtenir 23 000 euros sur 10 000 demandés. Cela permet de convaincre des investisseurs de soutenir la jeune pousse. 400 ventes plus tard, ils lancent donc la seconde version ce début 2016.
Des centaines de milliers d'euros d'investissement
Au total, le développement des deux produits représente « des centaines de milliers d'euros d'investissement », dont une bonne partie est mutualisée. Le logiciel, par exemple, est le même sur les deux appareils, celui-ci s'adaptant simplement au nombre de touches.
« Développer le produit n'est pas long. Ce qui prend beaucoup de temps, c'est de trouver les financements, trouver l'équipe, passer les normes... » affirme le co-fondateur de la société. En dehors de la BPI, une partie du financement vient d'une campagne sur le site WeLikeStartup, qui a permis de lever 200 000 euros auprès d'une vingtaine de personnes en 2015. « Des gens déjà clients, complètement fans du projet, ont mis de petits tickets de 5 000 euros ou plus » affirme encore Jules Hotrique.
La concurrence, elle, est bien plus tournée vers les professionnels, soit des surfaces de contrôle liées à un PC ou posés sur une table. Un modèle loin de celui de Dualo, qui privilégie la portabilité et le partage en direct. Les prix, eux, sont dans les eaux de ceux visés par la jeune pousse française, entre 500 et 1 000 euros.
Jusqu'ici, le public et la visée de l'entreprise étaient essentiellement français. Le lancement du du-touch S sur Kickstarter, après la première campagne sur Kisskissbankbank, doit donner une portée internationale à l'entreprise. Si elle peut exporter facilement depuis la France en Europe, elle compte d'ailleurs créer une équipe aux Etats-Unis, pour gérer la logistique et le SAV sur place... Voire y produire les modèles destinés au public américain, même si rien n'est assuré pour le moment.
Aujourd'hui, la société compte dix employés (dont deux stagiaires), la moitié au marketing, l'autre en recherche et développement. Ils comptent passer à quinze personnes après la campagne de financement.
Un contrôle strict du développement
Si la production est sous-traitée, la start-up gère directement tous les aspects logistiques et, très logiquement, développe elle-même le logiciel de son appareil. De nouvelles fonctions doivent d'ailleurs arriver, comme la capacité d'ajouter ses propres samples le mois prochain, qui sera donc disponible pour les deux appareils. Ceux-ci embarquent déjà une sélection d'instruments enregistrés par l'entreprise.
Celle-ci conçoit également des méthodes de musique, notamment sous la forme de vidéos YouTube. Malgré les possibilités affichées, l'apprentissage reste l'intérêt principal du produit.
Le partage des morceaux, lui, s'effectue par celui de fichiers : soit ceux propres à l'appareil (format Dualo), soit des fichiers MIDI. Dans le cas des fichiers maison, il est aussi possible d'ajouter les touches à éclairer pour guider l'utilisateur. « C'est comme Guitar Hero » résume Jules Hotrique. Surtout, les clients sont très actifs sur Internet, avec de nombreuses vidéos YouTube postées par les utilisateurs. Mais ce n'est pas le principal moyen qu'a l'entreprise de structurer sa communauté.
Une communauté soigneusement entretenue
La communauté des utilisateurs est l'une des fiertés de la start-up. Celle-ci est présente dès que les concepteurs du Dualo ont besoin de publicité ou de financement, comme le prouvent les campagnes d'investissement l'an dernier et celle pour le second appareil ce mois-ci. Les fidèles sont d'ailleurs intégrés dans un groupe Facebook privé, où s'échangent astuces et morceaux composés avec les instruments Dualo. Un espace confiné qui donne une certaine liberté aux plus motivés.
Dualo joue aussi beaucoup sur les communautés physiques, le dixième concert mensuel étant organisé à la fin du mois sur Paris. Une dizaine de personnes y présentent publiquement leurs morceaux, via une scène ouverte. Cela en plus des événements publics visités régulièrement avec l'appareil. L'équipe a aussi réuni une centaine de personnes pour célébrer le succès de la campagne Kickstarter.
Elle se targue aussi de ses récompenses : médaille d'or du concours Lépine en 2014, médaille d'argent en 2015, invitation d'Arnaud Montebourg à Bercy lorsqu'il en était ministre ou encore soutien de la BPI pour financer leurs investissements.
Reste un manque : les professionnels, bien plus difficiles à atteindre que les amateurs avec ce type d'objet. « Ils en sont à un niveau de leur carrière où ils n'en sont plus à prendre un nouvel instrument » estime Jules Hotrique, pour qui ceux-ci attendent des fonctions spécifiques, qui devraient « bientôt » arriver. Pour le moment, aucune musique commerciale n'a été produite avec un appareil Dualo, affirme l'entreprise.
Vers une méthode d'apprentissage en jeu vidéo
La campagne Kickstarter ne financera pas la conception de l'objet, mais doit entièrement couvrir ses frais de production. Celle-ci sera d'ailleurs lancée une fois la campagne bouclée. L'équipe attend que le financement soit assuré pour commander officiellement les composants. Dualo se dit serein sur la production, après l'expérience de la première campagne sur Kisskissbankbank pour le premier du-touch, qui avait connu un retard de livraison de six mois, tout de même.
Désormais, les processus sont bien mieux rodés, les prestataires sont connus et, surtout, l'entreprise a prévu d'être prête à livrer quelques mois à l'avance, avant la date officielle en décembre. Le du-touch S sera mis en précommande sur le site officiel dès la fin de la campagne et devrait rejoindre son grand frère chez les enseignes spécialisées par la suite.
Pour la suite, Dualo compte continuer sur son cœur de métier : l'apprentissage de la musique via ses appareils. Une nouvelle méthode est en cours de conception, sous forme de jeu vidéo, même si la société se refuse pour le moment à en dire plus.