Les ondes millimétriques sont sur toutes les lèvres en ce moment. Celles-ci ont l'avantage de proposer une large bande passante, pratique pour multiplier les débits, mais elles ne sont pas sans inconvénient. Nous avons décidé de faire le point, en nous intéressant également à leurs interactions avec le vivant.
Les ondes millimétriques ne sont pas nouvelles, loin de là même. Elles sont par exemple exploitées depuis longtemps par les radioamateurs, les radars anticollisions, les scanners corporels, ainsi que pour des liaisons satellite (bandes Ka par exemple) et entre satellites. Elles reviennent pourtant régulièrement sur le devant de la scène depuis plusieurs mois.
Nous avons ainsi eu l'occasion de les évoquer lors de notre analyse de la 5G, à l'arrivée du Wi-Fi 802.11ad (anciennement WiGig, sur la bande des 60 GHz) et plus récemment avec les annonces de Facebook lors de la conférence F8.
On nous promet souvent monts et merveilles grâce à elles, mais généralement sans entrer dans les détails. Nous avons donc décidé de nous pencher sur cette question afin de savoir à quoi elles correspondent vraiment, et pourquoi elles sont à la mode ces derniers temps.
Notre dossier sur la 5G :
- 5G : tout ce qu'il faut savoir en 10 questions
- Entre enjeux et réalité technique, l'Arcep face aux promesses de la 5G
- Portrait des ondes millimétriques, au cœur des futurs réseaux 5G et de Facebook
- 5G : des promesses à gogo, des ersatzs de réseau en attendant 2020
Pourquoi parle-t-on d'ondes « millimétriques » ?
Commençons par la base : quelles sont-elles exactement et pourquoi portent-elles ce nom ? Pour faire simple, il s'agit de toutes les ondes dont la fréquence est comprise entre 30 et 300 GHz. Quant à la notion de « millimétrique », elle est simplement en rapport avec leur longueur d'onde, qui s'étale entre 1 et 10 mm.
Pour rappel, cette notion physique correspond à la distance parcourue par l'onde pendant une oscillation. Elle se calcule en divisant sa vitesse par sa fréquence. Ainsi, à 30 GHz, et en prenant comme base de calcul 300 000 000 m/s pour la vitesse de la lumière (un arrondi valable dans le vide, mais suffisant pour notre exemple), on obtient 10 mm. Si on passe à une fréquence de 300 GHz, il n'est donc plus question que de 1 mm.
En reprenant la même formule, on identifie les ondes de 3 à 30 GHz comme centimétriques, décimétriques pour 300 MHz à 3 GHz, tandis que les fréquences plus élevées, au-delà des 300 GHz, sont qualifiées de submillimétriques. Dans le cas des télécommunications, l'utilisation typique des ondes millimétriques oscille généralement entre 30 et 70 GHz.
Avantage des ondes millimétriques : la bande passante disponible
Ces ondes ont plusieurs avantages. Le premier d'entre eux est évidemment la quantité de spectre disponible. Comme nous avons eu l'occasion de l'évoquer lors de la mise en vente des fréquences de 800 MHz et 700 MHz pour la 4G, ces bandes sont déjà bien encombrées et il a fallu revoir l'attribution des blocs dédiés à la TNT pour faire de la place aux opérateurs de téléphonie mobile. Ces derniers ont chacun des blocs de quelques dizaines de MHz au mieux, insuffisants pour proposer des débits de plusieurs Gb/s par exemple, et il n'est évidemment pas possible d'étendre le spectre à l'infini.
Seule solution pour trouver de larges blocs disponibles : monter en fréquence. Il est en effet plus facile de trouver plusieurs centaines de MHz disponibles sur des fréquences de plusieurs dizaines de GHz, et c'est justement le cas des ondes millimétriques.
Pour résumer, l'École normale supérieure (ENS) de Paris-Saclay explique (PDF) que « plus la fréquence porteuse d’un système sera élevée, plus la bande passante disponible alentour sera potentiellement importante », les rendant particulièrement intéressantes pour les transmissions haut débit. Avec l'explosion des demandes de ces dernières années, la disponibilité de la bande passante prend de l'importance.
Cas d'école avec le Wi-Fi 802.11ac « Wave 2 » et 802.11ad
Par exemple, dans le cas du Wi-Fi 802.11ad, l'utilisation de la bande des 60 GHz permet effectivement de multiplier les débits et d'atteindre les 7 Gb/s (grâce à une bande passante de 2 160 MHz), mais sur des petites distances uniquement. Des routeurs compatibles sont d'ores et déjà disponibles dans le commerce.
On retrouvait déjà cette situation avec le Wi-Fi 802.11ac sur 2,4 et 5 GHz : le premier porte plus loin que le second, mais avec des débits moins importants. Sur la bande des 2,4 GHz une largeur de spectre de 20 MHz est généralement disponible, alors que l'on peut monter jusqu'à 160 MHz en 5 GHz avec le 802.11ac « Wave 2 ».
La bande des 60 GHz particulièrement intéressante
La Wi-Fi Alliance n'est pas la seule à lorgner sur les 60 GHz. La SEE (Société de l'Électricité, de l'Électronique et des TIC) explique que cette bande « est à présent reconnue comme [...] libre d’accès dans la plupart des pays, avec une largeur comprise entre 5 et 9 GHz qui dépend des réglementations locales »... D'où l'intérêt de certains comme Facebook pour cette bande.
Des tests sont également en cours concernant l'utilisation de fréquences plus élevées pour les satellites (bandes Q et V entre 33 et 75 GHz). C'est notamment le cas du satellite Alphasat I-XL, en orbite depuis 2013, qui permet de procéder à des expérimentations.
C'est d'ailleurs un point qui intéresse particulièrement Nicolas Jeannin, ingénieur de recherche à l'ONERA (centre français de recherche aérospatiale), qui a été récompensé pour ses travaux sur le sujet. Pour ce dernier, les « premiers satellites utilisant la bande Q/V pour les liens avec les stations sols sont prévus à horizon 2020 ». S'ils permettront d'utiliser des antennes toujours plus petites, les transmissions seront encore plus sensibles aux perturbations.
De nombreuses pistes à l'étude pour la 5G
L'autre avantage, c'est la taille des antennes qui diminue lorsque la fréquence augmente : moins d'encombrement... à condition d'avoir l'électronique qui tient la route. Dans le cas de la 5G, on pourra « mettre des antennes qui vont être composées de 100 (ou plus en fonction des fréquences) éléments rayonnants », permettant ainsi de profiter de la focalisation et du massive MIMO (voir cette actualité).
Comme l'explique l'Arcep dans son bilan stratégique de la 5G, les dernières discussions de l'Union internationale des télécommunications (UIT) ont permis de focaliser les études sur certaines fréquences pour les réseaux du futur : 24,25 à 27,5 GHz, 31,8 à 33,4 GHz, 37 à 43,5 GHz, 45,5 à 50,2 GHz, 50,4 à 52,6 GHz, 66 à 76 GHz et enfin 81 à 86 GHz.
Inconvénients : la portée limitée et l'atténuation importante
Néanmoins, cette montée en fréquence n'est pas sans conséquences, quel que soit le domaine d'utilisation. Comme nous avons eu l'occasion de l'évoquer avec la 4G, plus la fréquence est haute, moins la portée et la pénétration dans les bâtiments sont élevées. C'est d'ailleurs ce qui a poussé les opérateurs à investir davantage sur les 700/800 MHz, souvent qualifiées de fréquences en « or », que sur les 2 600 MHz.
Comme l'explique l'association SEE, les ondes millimétriques doivent « composer avec la forte atténuation par les murs, les feuillages et les gaz de l’atmosphère. En particulier, les signaux aux alentours de 60 GHz correspondent à une fréquence de résonance de la molécule O2 et sont sévèrement atténués ». Bref, un peu de pluie ou des nuages menaçants et les données partent à l'eau.
La SEE ajoute que la vapeur d’eau présente également des pics d’absorption, mais plutôt pour les fréquences entre 20 et 30 GHz. L'association conclut donc que « les ondes millimétriques sont donc a priori limitées aux transmissions à courte distance, typiquement sur des distances inférieures à 1 km ».
Bien évidemment, il est possible d'aller au-delà de cette limite dans le cas de liaison point à point (ou point à multi-points). On citera le cas des satellites de télécommunication, mais avec des antennes et une infrastructure différente de celles pour les transmissions courte distance. Une autre technique, évoquée par Facebook, serait de mettre en place un réseau mesh (maillé). Dans ce genre de configuration, les différents éléments peuvent aussi bien servir de récepteur que d'émetteur, permettant ainsi de propager le signal de machine en machine, augmentant ainsi la portée.
La focalisation permet également d'augmenter la portée des ondes millimétriques, et elle est notamment utilisée pour la 5G. Il s'agit de « faire converger la puissance des ondes radio vers la position du mobile » nous expliquait récemment Orange. L'idée est de transmettre la même puissance sur une zone moins large pour gagner en efficacité, comme on le ferait en plaçant une lentille devant une lampe de poche pour mieux éclairer un point précis. Selon Orange, cette technique permettrait d'obtenir une portée équivalente à celle de la 4G avec l'utilisation des ondes millimétriques.
Quel impact des ondes sur le vivant ?
À nos confrères d'Espace des Sciences, le biologiste Yves Le Dréan explique que les ondes millimétriques, qui sont parfois appelées micro-ondes (avec les ondes centimétriques), étaient utilisées à des fins médicales dans les années 80 : « Cela laisserait supposer un effet sur le corps humain, mais les puissances utilisées en thérapie étaient beaucoup plus importantes que les niveaux permis dans les télécommunications actuellement. Et surtout, aucune preuve scientifique n'existe de ces propriétés guérisseuses ».
Avec la multiplication des cas d'utilisation, se pose également la question de leur interaction avec le vivant, et donc l'Homme. Deux chercheurs de l'Institut d'électronique et de télécommunications de Rennes (IETR) se sont déjà penchés sur cette question il y a quelques années. Cette étude est importante puisqu'elle explique que « les rayonnements autour de 60 GHz sont naturellement absents de notre environnement ».
Maxim Zhadobov, chercheur, et Yves Le Dréan, maître de conférences, expliquent que « l’absorption des rayonnements millimétriques est très superficielle : pénétration de l’ordre de 0.1‐2 mm (0.5 mm à 60 GHz) ». Ils notent que des « effets biologiques sont possibles en fonction des conditions d’exposition » et mettent en avant le besoin de réaliser de nouvelles études avec l'apparition des nouvelles applications des ondes millimétriques.
Une conclusion partagée par l'Anses (Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) en 2010. Lors de la publication d'une évaluation des risques sanitaires liés à l'utilisation d'un scanner corporel à ondes millimétriques (24 à 30 GHz) : « en raison notamment de leur faible longueur d’onde, celles-ci ne pénètrent pratiquement pas dans l’organisme ».
Contacté par nos soins, Maxim Zhadobov de l'IETR nous précise que, aujourd'hui, la situation n'a pas changé depuis la publication de leur étude il y a plusieurs années. Il n'y a donc toujours pas d'effet notable lorsque l'on reste en dessous des seuils imposés par la réglementation. Il continue d'étudier la question, mais de manière plus marginale nous précise-t-il.