NVIDIA n'a pas de nouvelle GeForce, mais elle a des projets. La société, dont la valorisation a explosé ces deux dernières années, continue d'avancer sur le terrain de l'IA. Elle n'en oublie pas pour autant le marché du « Gaming », sa console Shield et même le streaming.
« Tout ce que vous avez entendu ces derniers mois est faux, vous allez être étonnés ». Voici ce que nous répond l'équipe de NVIDIA lorsqu'on l'interroge sur les rumeurs concernant ses nouveaux GPU, d'Ampere à Turing. Une question légitime, deux ans après la mise sur le marché des premières cartes de la génération Pascal, évoquée depuis 2014.
L'information a horreur du vide (mais pas du clic)
Et pour le moment, on ne peut pas lui donner tort. La prévision d'une annonce à la GTC de mars s'est révélée fausse, les sites ont longtemps divergé sur le nom de la puce ou des cartes, etc. Dernière « nouvelle » en date : le lancement serait finalement pour le lundi 30 juillet, les cartes personnalisées devant arriver en août.
Mais voilà, NVIDIA serait « dans la panade », disposant de trop de GTX 10xx suite à une surproduction pour contenter la folie des crypto-monnaies, et pourrait ainsi reculer l'arrivée de ses nouveaux bébés. Ce, alors que certains évoquaient des stocks vides comme signe de l'arrivée prochaine de la nouvelle génération fin mars. La société annonçait d'ailleurs son programme Made to game pour un retour à des tarifs plus raisonnables de ses cartes mi-mai en France.
Une chose est sûre : rares sont ceux qui peuvent affirmer connaître avec certitude la date d'annonce du remplaçant de la génération Pascal pour les joueurs, et bien malin celui qui pourra prédire sa composition et ses nouveautés. Mais les informations viables s'affinent doucement, et nous devrions en savoir plus dès cet été.
Pour NVIDIA, l'essentiel est de toute façon ailleurs. Jen Hsun Huang l'a bien fait sentir à la presse lors de sa conférence du Computex, au format bien plus minimaliste que d'habitude. Après avoir distribué sandwichs et cookies à la salle, il a déroulé ses priorités du moment et il était surtout question de secteurs hors du « Gaming ».
« Lorsque vous allez à une fête vous ne demandez pas le programme de la prochaine, si ? Ne vous inquiétez pas, vous serez invités à la prochaine fête ! » a-t-il envoyé aux journalistes présents, qui ne semblaient être venus là que pour lui soutirer une date de lancement.
Devant l'insistance sur la question du délai, il finira par répondre « dans longtemps », avec un arrière-goût de « lâchez-moi ». Suffisant pour générer de nombreux articles et autres vidéos relatant l'épisode.
Comme Intel, le besoin d'une transformation tout en maintenant des bases solides
NVIDIA doit en effet faire face à un triple défi : transformer l'essai CUDA (alors que le GPU montre son utilité dans de nombreux secteurs), changer son image de société « qui fait des trucs pour les Gamers » auprès du grand public et de la presse économique/généraliste, sans oublier toutefois ce marché qui pèse encore lourd dans ses résultats.
Une situation similaire à celle d'Intel, mais avec des résultats qui semblent plus à la hauteur. Car NVIDIA s'est assurée une position de leader dans son secteur de base, difficile à contester pour son concurrent AMD, tout en grappillant des parts dans les serveurs et en misant son avenir sur le traitement et la reconnaissance d'images, la voiture autonome, la robotique ou encore le médical.
Bref, l'IA dans ses aspects les plus concrets, avec un investissement dans la recherche et l'accompagnement des startups via son programme Inception, dont bénéficie par exemple Qwant en France. Un pari initié il y a plus de dix ans avec CUDA, qui a mené la société à multiplier sa valeur en bourse par plus de dix en seulement deux ans.
Cela valait bien une pause dans le cycle de renouvellement de nos cartes graphiques.
IA partout, des partenariats dans le monde des serveurs
Le cœur de cette stratégie : Volta. Une architecture pensée pour les usages professionnels et qui a introduit la notion de Tensor Core. Évoquée depuis 2013 puis lancée en 2017, elle n'a cessé d'être déclinée à toutes les sauces depuis. Seule exception : le marché grand public auquel elle ne semble guère adaptée.
Fin mars, les Quadro GV100 et serveur DGX-2 étaient ainsi lancés, après les Tesla V100 et autres Titan V. À la GTC de Taïwan en mars, il était question de HGX-2, une version pouvant être exploitée par des tiers. NVIDIA prépare ainsi les développeurs et prestataires techniques à adopter ses solutions et à les diffuser.
De nombreux partenariats ont d'ailleurs été noués autour de ces produits, proposés sous différentes formes :
Sur ce secteur, deux annonces importantes pour la société. D'abord un partenariat autour de l'AI Grand Plan du ministère des Sciences et Technologies (MOST) de Taïwan. Il concentre des efforts conjoints dans la recherche, la formation, le financement des startups, etc. Il est aussi question d'un supercalculateur équipé de 2 000 cartes V100 avec 32 Go de mémoire et l'accès au GPU Cloud de NVIDIA.
La seconde concerne également un supercalculateur : Summit. Commandé par le laboratoire national d'Oak Ridge, il se compose de 27 648 GPU Volta, avec une puissance de calcul annoncée supérieure à 3 exaFLOPS, soit plus de trois milliards de milliards d'opérations par seconde. « C'est plus de cent fois supérieur au précédent supercalculateur Titan, construit aux États-Unis il y a cinq ans » précise la société.
Des marchés juteux, mais rares. NVIDIA se concentre ainsi sur des secteurs avec un plus gros potentiel « quotidien », au-delà de sa conquête des serveurs et du HPC. Il y a bien sûr l'internet des objets et ses « milliards » d'appareils, mais le constructeur s'y positionne plutôt comme un partenaire. Il sait qu'il n'est pas le plus à même pour s'adapter à un marché aux marges faibles. Une leçon durement apprise lors de son incursion (ratée) dans les smartphones.
NVIDIA accélère sur la robotique avec Isaac et Jetson Xavier
Les voitures autonomes étant encore une perspective lointaine pour un marché de masse, NVIDIA se tourne donc vers la robotique et les besoins des industriels. Ces derniers automatisent à tour de bras usines et entrepôts, avec des besoins croissants en reconnaissance visuelle et en puissance de calcul.
Ici, c'est le projet Isaac qui prend le relai. Un SDK a été dévoilé en mars, en complément d'une plateforme d'entraînement des IA dans un environnement purement virtuel (Isaac Sim). Au Computex de Taipei, une nouvelle solution matérielle était présentée : Jetson Xavier.
Il s'agit d'une carte de développement construite autour du SoC Xavier, déjà utilisé dans le domaine automobile. L'ensemble intègre un processeur ARMv8.2 (64 bits) avec 8 Mo de cache L2 et 4 Mo de L3, un GPU de la génération Volta avec 512 cœurs, 16 Go de LPDDR4 (256 bits, 137 Go/s) et 32 Go de stockage eMMC 5.1.
La compression vidéo est accélérée matériellement (2x 4Kp60, HEVC), tout comme la décompression (2x 4Kp60 avec gestion du 12 bits), le traitement visuel (processeur VLIW 7-way) ou le deep learning (deux moteurs NVDLA). La carte peut gérer l'eDP, DP et HDMI en 4Kp60, le HDMI 2.0 et le DP avec HBR3.
Jusqu'à 16 caméras peuvent être gérées simultanément, trois ports USB 3.1, quatre ports USB 2.0, un lien Ethernet Gigabit, en plus de connectiques spécifiques comme l'UFS, I2S, I2C, SPI, CAN, GPIO, UART et SD. Le tout affiche des dimensions de 100 x 87 x 16 mm, et des modes de fonctionnement à 10, 15 et 30 watts.
NVIDIA annonce un tarif de 1 299 dollars pour une disponibilité en août. La puissance de calcul de Jetson Xavier est donnée pour 30 TOPS, soit 20 fois plus que la précédente Jetson TX2 lancée en mars 2017 à 500 dollars, et une efficacité énergétique multipliée par dix.
Max-Q au-delà des machines pour joueurs
Le secteur du jeu vidéo aurait-il donc été oublié ? Pas vraiment. En attendant de nouvelles cartes graphiques, le père des GeForce a développé ses solutions annexes, notamment pour l'offre haut de gamme.
On entend d'ailleurs de plus en plus ses représentants assumer cette notion de marque considérée comme chère, mais qui offre une expérience complète, des fonctionnalités que l'on ne trouve pas ailleurs et surtout des performances de haut niveau sur l'ensemble de la gamme, du PC classique aux portables, en passant par la Switch et la SHIELD TV.
Courant mai, NVIDIA nous présentait ainsi une partie de son plan de bataille pour les mois à venir. Tout d'abord, continuer de renforcer son offre Max-Q, initiée en 2017. Pour rappel, il s'agit de proposer des ordinateurs portables fins et silencieux, malgré l'intégration d'un GPU parfois très performant (aux caractéristiques revues à la baisse).
Un défi pour la marque et ses partenaires, surtout avec Intel qui vient d'augmenter le nombre de cœurs dans ses processeurs avec la génération Coffee Lake (voir notre analyse). Après une première série de machines aux formats parfois étranges comme le Zephyrus d'ASUS, on sent les fabricants gagner en maturité.
C'est notamment le cas de Gigabyte et MSI qui lancent de nouvelles générations, pensées pour le jeu avec une dalle à 144 Hz, mais également un usage professionnel avec une autonomie d'au moins huit heures et des bordures fines. Des modèles aux alentours de 2 000 euros comme l'Aero 15(X) ou le GS65 Stealth Thin commencent ainsi à émerger. De son côté, Razer saute enfin le pas avec son Razer Blade (17,3 mm).
Un aspect « work & play » qui devrait être accompagné par la communication de NVIDIA, qui revendique 25 ordinateurs portables désormais certifiés Max-Q.
Chers écrans G-Sync (HDR) : gare à la concurrence et aux standards
Les écrans sont la seconde préoccupation de NVIDIA. Là, deux grosses nouveautés en approche : les téléviseurs Big Format Gaming Display (BFGD) et les moniteurs G-Sync HDR.
Ces derniers doivent prendre la suite des écrans G-Sync classiques lancés en 2014 et intégrer, comme leur nom l'indique, le support du HDR. NVIDIA ne veut pas multiplier les références, mais « faire que chaque écran G-Sync soit le meilleur de sa gamme ». Pour rappel, ces produits utilisent une partie matérielle maison, basée sur une puce FPGA d'Altera, et doivent répondre à certains critères dans leurs caractéristiques et interface.
NVIDIA veut pousser le HDR dans le secteur du jeu vidéo comme une amélioration de l'expérience, après quelques ratés dans le domaine de la 3D (Vision) ou de la réalité virtuelle. Le gain peut effectivement être intéressant, mais implique toute la chaîne, des développeurs aux OS en passant par les partenaires.
Il faut donc éviter la déception, pour ensuite élargir l'offre. Le père des GeForce exige ainsi, au minimum, l'utilisation de la technologie Quantum dots, une luminosité (en pointe) de 1 000 nits et un backlight sur 384 zones, une définition 4K à 144 Hz, le support du HDR10 et de l'espace colorimétrique DCI-P3. Annoncés l'année dernière, les premiers modèles commencent à arriver sur le marché... à un coût pharaonique.
Ainsi, le ROG Swift PG27UQ d'Asus s'affiche à 2 500 euros malgré ses 27 pouces et quelques défauts trouvés ici ou là. De quoi laisser une marge à AMD pour des alternatives. Le constructeur vient d'ailleurs d'annoncer le renforcement de son offre en la matière, qui devient FreeSync HDR.
On trouve déjà des modèles assez intéressants comme le C49HG90DMU (certifié FreeSync 2) de Samsung, à 1 250 euros : 49 pouces au format 32:9 (3840 x 1080 pixels), HDR, 144 Hz et une couverture de l'espace sRGB de 125 %. Certes, il sera moins attractif que le modèle ASUS sur certains points, mais vu la différence de prix, certains y regarderont à deux fois.
Surtout, AMD dispose d'un avantage : il mise sur un standard pour sa solution et ses puces sont présentes dans plusieurs consoles de jeu haut de gamme. Ainsi, la Xbox One gère désormais FreeSync, en partenariat là aussi avec Samsung. On attend toujours un dispositif similaire pour la Switch de Nintendo ou même l'annonce par NVIDIA que ses produits gèrent eux aussi fréquence variable selon les standards, en complément de G-Sync.
TV pour joueurs et Gaming room : NVIDIA va passer un nouveau palier
Concernant les BFGD, nous n'avons pas beaucoup d'informations complémentaires depuis le CES de Las Vegas, qui était l'occasion de leur lancement officiel, si ce n'est que la mise sur le marché sera pour la fin de l'été. La Gamescom pourrait ainsi être l'occasion d'annonces, à moins que ce ne soit pour l'IFA de Berlin.
Ce sont pour rappel des modèles de 65 pouces, proposés par des partenaires mais basés sur des dalles validées par NVIDIA, avec une puce Tegra et une interface Android TV intégrée, à la manière de la console Shield TV. Ils sont ainsi certifiés G-Sync HDR et leur tarif serait en conséquence. Certains parlent déjà de 3 000 à 4000 euros.
Une stratégie intéressante, pensée pour les Gaming rooms et sans doute assez lucrative pour NVIDIA. Mais le constructeur doit veiller à ne pas tomber dans un travers qui peut rapidement s'avérer contre-productif : ne proposer que des solutions pour un public au portefeuille bien fourni... au risque de voir AMD emporter une partie du marché à terme.
La question du streaming
Il y a un autre terrain sur lequel NVIDIA sera assez actif dans les semaines à venir, c'est celui de sa console Shield TV et du streaming. On l'a bien vu à l'E3, les éditeurs commencent sérieusement à miser sur l'abonnement. Ils ont besoin d'une offre de jeux « dans le cloud », Shadow ayant étendu ce marché en France.
Un sujet sur lequel le père des GeForce est actif depuis des années avec GRID, notamment pour le secteur professionnel. Plus récemment, il a introduit GeForce Now, sous deux formes : un abonnement avec des jeux inclus sur Shield TV, et un service où les joueurs peuvent utiliser leurs licences via Battle.net, Steam et Uplay sur Mac et PC (voir notre analyse).
Lors d'une rencontre au CES de Las Vegas avec les équipes en charge de ce programme, nous avions pu faire part de notre incompréhension sur cette stratégie misant pour un même nom pour deux offres différentes. La fusion nous apparait en effet comme une bien meilleure méthode.
Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser ses jeux PC sur Shield TV et se contenter d'un streaming local nécessitant un PC allumé, alors que l'on peut le faire depuis un vieux PC sous Windows ? Pourquoi, à l'inverse, ne pourrait-on pas profiter de son abonnement GeForce Now pour Shield depuis n'importe quel ordinateur ?
Dans nos échanges avec des partenaires de NVIDIA, ces derniers ont évoqué une « ligne » difficile à définir en interne, opposant des visions parfois assez différentes, pouvant aller jusqu'à l'abandon d'une solution maison au profit de partenariats avec des tiers uniquement.
Mais aux dernières nouvelles, les choses devraient rapidement bouger, sans doute vers un renforcement de l'offre GeForce Now. NVIDIA a récemment annoncé la gratuité de la version Shield, le temps de peaufiner le modèle. Des changements au sein du service de streaming pourraient rapidement suivre pour clarifier la situation.
Du côté de la Shield, un regain d'intérêt serait là aussi de la partie, alors que certains craignaient son abandon. En France, NVIDIA a d'ailleurs eu la bonne surprise de voir un FAI l'intégrer à son offre comme boîtier TV.
La mise à jour Oreo a été annoncée il y a peu, mais sa mise à jour a été rapidement stoppée en raison d'un bug. NVIDIA a ensuite diffusé une mouture 7.0.1 mais selon nos constatations, elle n'est en fait réservée qu'aux membres du programme Preview, afin de vérifier que tout se passe bien.
Pour autant, une nouvelle mouture publique ne devrait plus tarder. Reste à voir si elle intègrera enfin Google Assistant qui devait arriver avant l'été, mais dont la mise en place a été repoussée à la dernière minute.
Le rendez-vous : la prochaine GTC Europe
Avec quelques annonces sur l'offre haut de gamme avant l'été, un renforcement de la Shield et de GeForce Now dans les semaines à venir, et peut être bientôt une nouvelle architecture pour les GeForce, NVIDIA devrait être à nouveau en mesure de parler au grand public, en plus de ses initiatives dans le domaine des serveurs, de la recherche et de l'IA.
Un retour dans le « Gaming » qui sera d'autant plus important qu'un projet à long terme a été dévoilé en début d'année : RTX, qui doit accompagner l'initiative DirectX Raytracing et favoriser l'emploi de cette technologie dans les jeux.
Ce sera d'ailleurs sans doute l'un des grands enjeux de la nouvelle architecture, outre sa puissance brute et l'amélioration de son efficacité énergétique. La question de son prix sera aussi un signal sur la capacité à NVIDIA à rester proche d'un large public, ou de se concentrer sur les joueurs les plus riches.
Toutes ces transformations devraient nous mener à un autre moment fort : la prochaine GPU Technology Conference (GTC) qui se tiendra du 9 au 11 octobre prochains. Ce sera sans doute l'occasion de voir NVIDIA retravailler son discours et nous parler de l'avenir après les derniers changements intervenus dans son offre et dans le secteur. Notamment l'arrivée d'un nouveau PDG à la tête d'Intel, alors que le géant de Santa Clara continue de recruter au sein de son équipe en charge de la construction d'un nouveau GPU, attendu pour 2020.