Au Computex, tout le monde avait les yeux tournés vers les processeurs à plus de dix cœurs et autres débauches de LED. Mais c'est ailleurs qu'il fallait regarder pour voir un changement d'ampleur se mettre en œuvre : l'annonce des détails autour de la Compute Card d'Intel.
Au CES de Las Vegas, Intel dévoilait de manière plutôt discrète un nouveau concept : la Compute Card. On savait alors peu de choses sur ce produit, sinon qu'il s'agissait de proposer le cœur d'un PC sous la forme d'un module de la taille d'une carte bancaire, avec un connecteur unique et standard.
On y voyait alors une manière de permettre une mise à jour simple et rapide, aussi bien dans une machine du quotidien que dans un environnement professionnel ou de type embarqué. Mais impossible d'en savoir plus, Intel étant resté relativement muet à ce sujet, tout comme ses partenaires.
Le Computex était donc l'occasion idéale pour nous d'en savoir plus. Et outre les annonces de la société à l'occasion de sa conférence, nous avons pu nous entretenir avec Bruce Patterson, qui est en charge du projet.
Quatre références et un dock, lancement en août
Commençons par le commencement : ce qu'Intel a annoncé à l'occasion du salon de Taipei. Tout d'abord que les livraisons de Compute Card commenceront dès le mois d'août prochain. Quatre références seront disponibles, toutes au même format : une carte dont les dimensions sont de 94,5 x 55 x 5 mm.
Elles embarquent 4 Go de LPDDR3 @ 1 866 MHz, du Wi-Fi 802.11ac, du Bluetooth 4.2 et 64 ou 128 Go de stockage. Le processeur, lui, va du Celeron N3450 (Apollo Lake) au Core i5-7Y57 (Kaby Lake). Ce dernier a l'avantage de gérer vPro, et donc des fonctionnalités spécifiques, notamment concernant l'administration en entreprise.
De nombreux partenaires sont déjà partie prenante du projet et montraient des prototypes : Contec, ECS, Foxconn, LG Display, MoBits Electronics, NexDock, Sharp, Seneca, SMART Technologies, Suzhou Lehui Display et TabletKiosk. Dell, HP et Lenovo travaillent pour leur part à des intégrations.
Tous ceux qui veulent construire des produits autour de la Compute Card sont invités à le faire. Pour cela, Intel propose un design kit et des guides de références de manière ouverte. Ainsi, le constructeur espère voir tout un écosystème se créer autour de ses produits d'ici la fin de l'année.
En attendant, un dock (147 x 60 x 20,5 mm) a été dévoilé. Conçu par Intel il peut accueillir une Compute Card et propose une connectique assez complète (USB, DisplayPort, HDMI), de manière à transformer un tel produit en véritable Mini PC.
Une initiative ouverte, mais sous contrôle
Mais une fois que l'on a posé ces faits, de nombreuses questions se posent. Tout d'abord concernant l'ouverture du projet. Car si chaque constructeur pourra s'adapter aux Compute Card, sera-t-il possible d'en trouver qui ne sont pas fabriquées et vendues par Intel ? Ici la réponse est simple : c'est non.
Lorsque nous l'avons interrogé sur le sujet, le géant de Santa Clara s'est d'ailleurs montré clair : la liaison entre la carte et les stations d'accueil se fait de manière « authentifiée ». Ainsi, si quelqu'un venait à reproduire un produit du même format et la même connectique, il ne fonctionnera pas forcément avec des produits pensés pour les Compute Card.
« Nous ne voulions pas que l'utilisateur puisse avoir une expérience décevante » nous explique Bruce Patterson qui imagine sans doute mal un utilisateur mettre en place une carte à base de puce ARM dans une station d'accueil et ne pas avoir accès à l'écosystème Windows ou même à une machine disposant d'un minimum de puissance et de compatibilité.
Un Compute Module de Raspberry Pi
Pour autant, est-ce que la porte est entièrement fermée à une ouverture complète du format à l'avenir ? L'expérience de Thunderbolt, désormais entièrement ouvert, a montré que trop de contrôle pouvait étouffer une innovation. Il existe déjà des solutions modulaires chez des constructeurs, les Compute Module chez Raspberry Pi, etc. Réussir à mettre tout le monde d'accord autour d'un format unique pourrait être bénéfique.
« Nous y avons pensé lors de la conception, mais cela ne nous semblait pas être la bonne solution dans un premier temps » insiste Patterson qui ne ferme néanmoins pas totalement la porte. Intel veut sans doute déjà tester sa solution et lui laisser une chance dans un environnement maitrisé avant d'éventuellement élargir les choses... au risque que l'écosystème se mette d'accord autour d'une solution concurrente entre temps.
Une évolution vers Thunderbolt, déjà de nombreux produits
Reste qu'Intel a misé sur des solutions standards, notamment pour ce qui est du port qui exploite une variante de l'USB : le Type-C plus extension. Celle-ci est optionnelle, mais permet pour le moment d'avoir un débit largement suffisant et de pouvoir transmettre des données, des flux PCIe ou vidéo, en attendant de pouvoir passer la seconde avec Thunderbolt. Cela permettra une plus grande flexibilité et des débits plus importants.
Vient ensuite la question des types de produits concernés. Lors de l'annonce en janvier dernier, on pouvait penser que l'objectif était uniquement le marché de l'embarqué. Intel a néanmoins décidé de clarifier un peu les choses avant le lancement : oui la visée des Compute Cards est « industrielle ».
Elle vise à révolutionner la façon dont sont pensés, déployés et mis à jour des produits comme les écrans d'affichage, les caisses enregistreuses, les robots, mais aussi les appareils connectés de notre quotidien ou même certains ordinateurs. C'est en cela que cette solution est bien plus importante pour le futur de la société que la VR ou la dernière génération de CPU mise sur le marché.
Parmi les solutions exposées, on voyait ainsi un écran Dell avec un emplacement Compute Card permettant d'en faire une machine tout-en-un, le portable de NexDock, une tablette destinée à une utilisation dans le domaine médical ou encore un tableau blanc visant le marché de l'éducation. Sharp exposait même un module destiné à ses TV via un format maison qui embarquait lui-même une Compute Card.
Tant de solutions que l'on pourra améliorer juste en changeant la carte, tout en gardant le reste de la machine intacte s'il est fonctionnel. À l'inverse, si c'est la « coquille » qui nécessite une mise à jour ou qui est en panne, elle pourra être changée sans mal. Côté tarif, rien de précis ne nous a été confirmé, mais cela devrait tourner entre 150 et 400 euros.
« Nous voulons désolidariser l'intelligence de la machine de sa partie mécanique » explique Patterson, ce qui implique au passage qu'Intel sera le fournisseur exclusif des processeur, stockage, mémoire et d'une partie de la carte mère. Des composants qui sont pour une bonne partie à l'origine de la valeur d'une machine.
Une intégration déjà bien pensée à tous les niveaux
Côté refroidissement on pouvait voir un large dissipateur en aluminium extrudé qui était suffisant selon le constructeur pour assurer un fonctionnement à 50°C de température ambiante avec n'importe quelle carte de la gamme.
Autre élément à prendre en compte, celui de la liaison entre la carte et son dock. Comme nous l'avons évoqué plus haut, celle-ci se fait de manière authentifiée, ce qui apporte certains avantages. Notamment celui de pouvoir assigner une carte à un utilisateur en particulier, qui pourra être reconnu comme tel une fois la carte connectée.
Il en est de même pour un constructeur qui voudrait limiter l'utilisation à certaines cartes précises : un utilisateur, une gamme, etc. On imagine assez mal un constructeur de frigo laisser n'importe qui mettre en place une carte avec un simple Windows nu d'installé. Il pourra alors décider de ne laisser démarrer que celles qui sont vendues par ses soins, avec un système particulier.
Autre élément à noter : celui de l'insertion, du maintien et de l'éjection de la carte. Dans un cadre industriel, celle-ci pourra être maintenue par un système de crochet si nécessaire, afin d'éviter tout retrait par erreur. Les constructeurs qui le souhaitent pourront même gérer une éjection logicielle, qui sera opérée de manière automatique suite à l'extinction de Windows par exemple. Un usage de ce genre était d'ailleurs montré lors de la démonstration à laquelle nous avons pu assister :
La Compute Card d'@IntelFrance peut être automatiquement éjectée une fois la machine éteinte ▶️▶️▶️ pic.twitter.com/iuWI3FSQZg
— Next INpact L@bs (@Next_Labs) 1 juin 2017
Un projet d'avenir, mais le plus gros du travail reste à faire
Bref, si tout n'est pas parfait dans la Compute Card, notamment du fait du contrôle qu'Intel veut garder sur son projet pour le moment, on ne peut être qu'intrigué et enthousiasmé par une telle initiative.
Nous ne le disons que trop souvent, mais le marché du PC a payé ces dernières années le désir des constructeurs à partir dans des tendances à l'intérêt douteux, sans réelle innovation. Ici, Intel montre qu'il sait encore surprendre et changer la donne, bien plus que lorsqu'il nous vante ses solutions de VR pour fans de cricket.
Le géant de Santa Clara le sait, sur un tel marché il sera seul pendant un bon moment. Même si des concurrents venaient à se fédérer autour d'un format ouvert, cela pourrait leur prendre des mois, voire des années. Sans parler de la capacité nécessaire pour concevoir un produit de cette taille avec une puce telle qu'un Core i5-7Y57.
Certes, contrairement à ce que pense Intel cette solution ne sera pas applicable partout. On imagine mal une TV connectée passer à une plateforme x86 du jour au lendemain, alors que le secteur se fait révolutionner par Android TV et autres solutions maison qui exploitent plus souvent des puces ARM. Mais dans de nombreux secteurs, cela pourra effectivement changer la donne.
Il reste encore à la société à convaincre et à continuer de faire évoluer son initiative. Celle-ci semble déjà plutôt bien murie, avec des pistes d'améliorations déjà dans les tubes. Assurément, Intel a joué avec cette gamme de produits une carte maitresse qui pourrait porter une part non négligeable de ses revenus à l'avenir. Reste à transformer l'essai.