Lisa Su, PDG d'AMD : « avec EPYC nous voulons atteindre 10 % de parts de marché, pour commencer »

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Lisa Su, PDG d'AMD : « avec EPYC nous voulons atteindre 10 % de parts de marché, pour commencer »
Crédits : AMD

Cela fait maintenant trois ans que Lisa Su a pris les rênes d'AMD, et semble plutôt bien s'en sortir. Alors que la société est à la croisée des chemins, nous avons eu l'occasion d'interroger la PDG afin d'en savoir plus sur sa stratégie.

Lors de notre passage à Austin à l'occasion de l'annonce des processeurs EPYC 7000 d'AMD, nous avons eu l'occasion d'interroger Lisa Su en privé, avec quelques autres journalistes. L'occasion de faire le point avec celle qui a, en trois ans seulement, redressé la société à de nombreux niveaux. 

Même si la route de la rentabilité sera encore longue, tous les voyants semblent au vert, ou presque. Le constructeur est présent massivement dans les consoles de jeu qui sont un marché de masse, a effectué un retour plutôt apprécié dans le monde des processeurs pour ordinateurs de bureau, et veut faire de même dans les serveurs.

Seul le secteur des cartes graphiques semble avoir encore un peu de mal à se déployer comme il le devrait, malgré un gros travail sur la partie applicative et la mise en place d'une approche orientée vers l'open source. Espérons que Vega permettra de changer cela, même si l'organisation de son lancement laisse pour le moment peu de place à la confiance.

Ainsi, AMD a évoqué des plans jusqu'à 2020 (voir notre analyse) qui doivent mener la société à une nouvelle forme de croissance et à une reconstitution de ses marges, alors qu'Intel et NVIDIA dominent dans leurs secteurs respectifs. Mais derrière les grands principes, comment la PDG et son équipe comptent-ils mener à bien des projets si ambitieux ?

Stay focus

Tout d'abord en se focalisant sur ce qui compte. « Lors de nos meilleures années, la gamme Opteron représentait 25 % de parts de marché [fin 2006, ndlr]. Jusqu'à EPYC, nous avons été distraits par de nombreuses activités et le marché des serveurs n'était clairement plus notre priorité. [...] J'ai toujours considéré AMD comme une société avec du potentiel, et mon job, avec l'ensemble du management, a été de débloquer ce potentiel en assurant une bonne exécution » a débuté Lisa Su. 

De fait, la société est toujours quasiment absente des datacenters. Elle voit ce marché juteux comme une source de revenus importants, qui lui permettra de s'assurer une bonne performance financière pour peu que son lancement soit couronné de succès.

« Selon moi, AMD va être l'une des entreprises du secteurs avec la plus forte croissance. Lors de notre analyst day, nous avons détaillé comment nous voulons assurer un taux de croissance à deux chiffres sur les trois ou quatre prochaines années. Le marché du datacenter ira au-delà de ça [...] Cela prendra 4 à 6 trimestres pour que les clients prennent le temps de monter leurs proof of concept et fassent leurs évaluations. C'est à peu près sur cette durée que nous comptons » précise Su, qui compte sur EPYC pour embellir ses résultats dès 2018. 

Et tout cela serait surtout le fruit de décisions difficiles mais assurées, afin de ne plus s'éparpiller comme par le passé, notamment pour se concentrer sur Zen, quitte à ne rien proposer à court terme : « Nous pensions que c'était le bon choix. Nous avons aussi opté pour une approche MCM et l'exploitation des liens Infinity Fabric car nous pensions que cela nous donnerait la flexibilité nécessaire pour proposer différentes configurations et évoluer vers les prochaines générations ».

MCM, flexibilité et grosses specs

AMD semble en effet particulièrement fier de ce choix de composer ses processeurs avec quatre dies plutôt que d'avoir misé sur une puce unique, comme cela peut être le cas habituellement. « C'était sans doute notre meilleure décision » précise Lisa Su qui souligne que les équipes ne s'attendaient pas à obtenir de si bonnes dispositions. 

« Avec la technologie FinFet, plus votre die est large, plus l'impact sur le rendement et les coûts est négatif. C'est grâce à l'approche MCM que nous pouvons proposer toutes ces E/S et ces fonctionnalités sur l'ensemble de la gamme. EPYC ne sera sans doute pas parfait pour toutes les tâches, [...] mais le résultat est allé au-delà de nos espérances. »

Outre l'impact positif sur les caractéristiques des processeurs, ou les meilleurs rendements puisque la taille de la puce est segmentée en quatre éléments, la patronne du constructeur a l'impression d'être arrivé avec le bon produit, au bon moment. Un résultat qui est le fruit de bonnes décisions, mais qui comporte aussi un certain facteur de chance dans une industrie où le cycle de conception des produits prend plusieurs années.

AMD EPYC Tech DayAMD EPYC Tech Day

« Nous espérions obtenir un bond important en terme d'IPC, tout en restant derrière notre concurrent. Mais nous avons obtenu des performances meilleures qu'attendu. Nous savions que nous allions proposer plus de cœurs, ce qui explique nos bons résultats sur SPECfp et SPECint. Nous voulions aussi proposer plus de bande passante, plus d'E/S et je pense que nous y sommes parvenus. Nous pensions que c'est ce que les gens voudraient à l'avenir [...] Nous ne savions pas à quel point ce serait important. Qui pouvait savoir que le GPU Computing serait aussi présent qu'il ne l'est actuellement ? »

Entraîner l'écosystème et s'adresser à tous

Mais disposer de la bonne technologie avec un timing favorable est une chose, encore faut-il réussir à délivrer, convaincre et surtout disposer des équipes sur place pour aller chercher les gros clients, leur démontrer l'intérêt des produits. Or, sur ce terrain aussi AMD a perdu de sa superbe ces dernières années. 

Pour Lisa Su, ce n'est pas forcément un problème. La société a en effet déjà signé avec de grands noms du secteur tels que Dell, HPE, Baidu ou encore Microsoft pour la partie Azure. Il ne s'agit d'ailleurs pas là d'exclusivités, mais de premières annonces, d'autres devant arriver dans la seconde moitié de l'année. 

AMD EPYC Tech DayAMD EPYC Tech Day

« Les services de cloud et les grandes entreprises étaient une priorité pour nous. Cela s'est fait en parallèle mais il s'avère que ce sont les acteurs du cloud qui peuvent déployer le plus rapidement. En entreprise les applicatifs sont nombreux, variés et les phases de test peuvent demander du temps. Ce sera ensuite au tour des PME/PMI, qui sont plutôt à la recherche de solutions tout-en-un. »

Ainsi, EPYC sera aussi proposé via des canaux de distribution plus classiques et pourra s'attaquer au marché des stations de travail. On a d'ailleurs déjà vu Supermicro évoquer des boîtiers au format tour 4U pour ces processeurs. Mais AMD semble être conscient que ce lancement n'est qu'une première étape et que tout cela prendra du temps. 

« Comme vous le savez, le marché du datacenter ne bouge pas aussi rapidement que celui du gaming, mais nous devrions proposer des solutions pour tous d'ici les six prochains mois » promet Su, qui nous assure qu'avec la montée en puissance de la plateforme et au fil de ses gains en maturité, on devrait aussi voir les équipes se renforcer.

10 % du marché, pour commencer

Mais quel est l'objectif à court et long terme ? Si la société parle facilement de ses projets financiers d'ici à 2020, elle n'a pour le moment pas évoqué les parts de marché qu'elle espère chiper à la concurrence d'ici là. 

« Je pense qu'un objectif raisonnable pour nous, sans forcément attendre trois ans, c'est de viser une part de marché à deux chiffres, soit plus de 10 % » De quoi promettre une belle santé à la société puisque cela représentera un marché de pas moins de 16 milliards de dollars rien que dans le domaine des processeurs. Ce n'est d'ailleurs qu'une étape intermédiaire, « pas notre objectif final » nous précise Lisa Su.

Mais voilà, Intel ne compte sans doute pas se laisser faire. Certes le constructeur s'est largement endormi sur ses lauriers et ne devrait rien avoir de bien excitant à mettre sous la dent de ses clients avant quelques temps. Pour autant, il prépare sa gamme Xeon Scalable et va sans doute tout mettre en œuvre pour ralentir la croissance de la concurrence.

Avec des réserves de cash conséquentes et une position largement dominante, il y a de quoi faire, même sans verser dans les pratiques commerciales contestables. Intel devrait aussi être tranquille sur le marché des puces sur plus de deux sockets qui ne semble pas dans les priorités d'AMD qui indique seulement regarder comment le marché va évoluer dans les années à venir à ce niveau. Il s'agit actuellement d'une minorité des ventes.

AMD Bilan Finances Prévisionnel 2020AMD Bilan Finances Prévisionnel 2020

Convaincre par les produits et les usages

« Nous savons que nous n'allons pas nous confronter à Broadwell très longtemps [...] Mais si vous regardez notre positionnement, je suis très confiante. Ce que les clients veulent, c'est une véritable proposition de valeur et un produit aussi bon que possible. Et ce que nous apportons en termes de prix/performances, d'E/S, de mémoire est d'un intérêt significatif. Oui, la concurrence aura des programmes commerciaux, nous aurons les nôtres. Mais le prix des processeurs ou le nombre de sockets ne sont pas le principal » assène Lisa Su, qui semble bien persuadée que le retour d'AMD sera avant tout assuré par la force des produits et les opportunités qu'ils offrent. 

« Il s'agit de permettre à des clients de faire des choses qu'ils ne peuvent pas faire actuellement, ou alors de manière bien plus coûteuse [...] nous montrons au client ce qu'il est possible de faire, que vous pouvez connecter un processeur 1S à quatre GPU pour obtenir 100 TFLOPS de puissance, sans switch, processeur ou overhead supplémentaire. Une telle machine sera simplement plus performante et je ne pense pas qu'un programme commercial puisse faire oublier cela. » AMD se positionne ainsi en libérateur d'un marché en manque de flexibilité et de concurrence, une approche relativement réaliste.

« Ce qui va garantir notre succès, c'est une bonne exécution, étape par étape » précise Su en nous affirmant qu'elle a déjà ressenti un changement de perception des partenaires au fur et à mesure de la conception d'EPYC. « Lorsque nous avons livré les premiers exemplaires, les clients nous disaient que ce n'était pas mal. Mais avec le temps, et l'arrivée de nouvelles puces, nous avons vu leur intérêt et les équipes dédiées croitre [...] Oui, un bon produit ne fait pas tout, un très bon produit non plus. Mais nous pensons que nous sommes en train de changer les choses sur ce marché ».

Une première étape, un projet sur la durée

Pour convaincre, AMD compte aussi sur son écosystème plus ouvert, même si la société semble consciente qu'il lui faudra encore travailler sur ses solutions logicielles. L'investissement dans ROCm et MIOPEN est important, et jugé comme tel par les équipes, mais ce n'est que le début alors que la concurrence a déjà bien avancé sur ce terrain.

Si un plus grand rapprochement entre les ingénieurs qui travaillent sur les CPU et les GPU est évoqué, il n'est pas question de les fusionner ou même de lier les produits outre mesure. Ils fonctionneront tout aussi bien avec des solutions concurrentes d'Intel et NVIDIA, même si AMD croit à l'intérêt de proposer des solutions tout-en-un et maitrisées de bout en bout. Il lui faudra néanmoins convaincre de manière plus globale avant d'en arriver là.

AMD Radeon InstinctAMD Radeon Instinct ROCm MIOpen

Car comme pour Ryzen, EPYC est un projet de long terme. La société a déjà indiqué que la plateforme était prévue pour au moins deux générations, qui profiteraient d'une finesse de gravure en 7 nm. « Cette technologie montre déjà de bons résultats, et marquera un bond important par rapport au 14 nm. Nous avons décidé de passer outre le 10 nm car l'investissement en termes de conception ne nous semblait pas se retrouver dans le gain consommation/performances. Le 7 nm apportera des gains plus significatifs » promet Lisa Su.

Une confiance forte dans le PC et x86

Pour l'avenir, elle ne semble pas inquiète de voir les géants du Net travailler sur leurs propres puces, ou de l'arrivée d'ARM. « Parfois les tâches sont tellement spécifiques que des acteurs peuvent décider de les traiter via des ASIC, du FPGA ou d'autres solutions. Je pense que c'est une bonne chose, il faut adapter les puces aux besoins applicatifs. Cela ne change pas la dynamique du marché. [...] ARM propose de son côté de bonnes architectures, que nous utilisons dans certains de nos produits. Mais dans le marché du serveur, x86 restera de mon point de vue l'écosystème dominant. Est-ce que ARM peut se faire une place à certains endroits ? Oui, mais x86 restera dominant. »

On retrouve dans les propos de la patronne d'AMD la même confiance que celle qu'elle a dans le PC et ses 250 millions d'unités vendues par an. Un marché qu'elle juge en phase de stabilisation, même si elle constate un désamour de l'entrée de gamme au profit des machines pour joueurs. Une aubaine pour Ryzen, Vega et leurs futurs remplaçants, dont elle compte bien profiter.

Mais nous ne pouvions pas évoquer un tel sujet sans lui parler des français de Shadow, et de la tendance plus globale à séparer la puissance de calcul des interfaces de la machine. Que ce soit pour l'exporter dans des serveurs ou dans un boîtier pour GPU externe, on voit bien qu'il s'agit là d'une volonté marquée par un nombre croissant d'acteurs du marché.

« Le marché du cloud gaming est intéressant mais AMD ne compte pas s'y développer. Nous comptons nous déployer à travers ces services, leur fournir le matériel nécessaire, mais pas les proposer nous-même » répondit-elle, lorsqu'elle était interrogée par l'un de nos confrères sur l'arrivée prochaine de GeForce Now sur Mac et PC

Shadow Blade TarifsGeForce Now Mac

« Mais je pense effectivement que les solutions virtualisées vont croitre dans les années à venir. Nous travaillons avec plusieurs clients sur des solutions VDI et du rendu graphique dans le cloud, et il y aura certainement d'autres usages. » AMD semble confiant sur le fait que sa roadmap lui permettra de séduire ces nouveaux acteurs, tout en continuant à écouler de nombreuses machines au grand public pour encore de nombreuses années.

EPYC, Ryzen, Threadripper : d'où sortent ces noms ?

Restait la question qui tue : d'où peuvent donc bien venir des noms comme Ryzen, EPYC ou Threadripper ? Si nous n'avons pas pu obtenir de détails sur les raisons profondes de tel ou tel choix, Lisa Su nous a confirmé que 40 à 50 noms ont circulé avant d'arriver à ces résultats, qui ont été tranchés par vote.

« Nous avons évoqué la possibilité de continuer avec la marque Opteron, mais il s'agit pour nous d'une nouvelle page et nous avons senti qu'EPYC convenait bien pour les dix prochaines années, et vous pouvez tous le prononcer, il est donc parfait » a-t-elle ajouté, non sans humour. Autre petite confidence : Threadripper n'a pas été l'objet d'un vote, mais a été choisi par les ingénieurs. « Ceci explique cela » ont conclu les quelques journalistes présents dans la salle.


À noter :

Cet article a été rédigé dans le cadre du Tech Day d'AMD organisé à Austin du 19 au 21 juin, où nous avons été conviés par la société. Celle-ci a pris en charge nos billets d'avion, notre hébergement et la restauration sur place. Conformément à nos engagements déontologiques, cela s'est fait sans aucune obligation éditoriale de notre part, excepté le respect des dates d'embargo (NDA), et sans ingérence de la part d'AMD ou de son agence de communication. 

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