Le ministère de la Culture a demandé à l'AFNOR de créer une disposition de clavier qui permette d'écrire français correctement. Une mission importante pour l'association, qui veut rester dans la lignée de l'AZERTY connu de tous et doit présenter sa copie à l'été. Cela alors que des dispositions alternatives, comme le BÉPO, existent déjà.
Le clavier AZERTY a des cours de rattrapage à prendre en termes de français. À la mi-janvier, le ministère de la Culture annonçait s'attaquer à cet outil de notre quotidien, considéré comme la principale limite à une bonne écriture du français. Certains caractères, comme les majuscules accentuées, sont difficiles à écrire avec nos claviers actuels sans solution logicielle complémentaire.
Pour la peine, le ministère a donc demandé à l'Association Française de NORmalisation (AFNOR) de rédiger la première norme de disposition de clavier français, qui comble ces lacunes. Elle doit mettre en consultation publique un premier document, qui pourrait servir de base aux futurs claviers de nos chères machines, ce dès début 2017. Il faut dire qu'il y a urgence, estime l'association.
« Nous avons de grosses ressources de productivité dans le clavier. Pourtant, en France, nous avons un peu un dinosaure face à nous. Nous sommes le seul pays industriel francophone dont le clavier ne permet pas d'écrire correctement le français et les langues environnantes » comme l'espagnol, ni les langues régionales, nous explique Philippe Magnabosco, chef de projet à l'AFNOR.
L'association a plusieurs missions, notamment déterminer quels caractères exactement manquent à l'appel sur nos claviers et quelle est la meilleure solution pour les rendre directement accessibles, sans ajouter de touches. Un défi auquel d'autres groupes, comme les utilisateurs de claviers BÉPO, ont déjà tenté de répondre.
Écrire français, ce n'est pas si facile
« Il y a des manques sur le clavier AZERTY actuel utilisé en France, qui sont directement hérités de la machine à écrire » nous explique Philippe Magnabosco. Des limites qui n'ont plus de raison d'être sur les claviers physiques, débarrassés des contraintes mécaniques de leurs aïeuls. De plus, les polices d'écriture sur PC disposent depuis longtemps de l'ensemble des caractères du français.
« L'ordinateur peut le faire. Les polices sont là, les caractères sont là. Le clavier n'y donne pas accès. Ce n'est pas normal. Il faut donc que le clavier rattrape l'ordinateur. C'est là-dessus que nous intervenons » affirme l'AFNOR.
Dans sa documentation, le ministère de la Culture liste les manques les plus flagrants : les caractères accentués (dont ceux en majuscule), les « doubles chevrons » ou encore les ligatures (comme « æ »), y compris en majuscule. Étonnamment, ce problème est moins présent avec les dispositions de touches d'autres langues, qui servent d'inspiration à l'association de normalisation.
D'un côté, le clavier belge (également AZERTY) dispose d'une touche dédiée aux accents aigus et une aux accents graves. « Cela leur permet aussi d'accentuer l'espagnol, l'italien et d'autres langues européennes, dont le néerlandais, ce qui est pratique quand on est en Belgique » explique Magnabosco. Les Allemands et Suisses ont eux du QWERTZ, quand les Canadiens tapent avec du QWERTY, qui propose une touche par lettre accentuée. « C'est une option qui est très efficace, mais qui s'éloigne un peu plus du modèle de clavier qu'on a sous les yeux », ce dont il n'est pas question ici, pondère le chef de projet.
Des « lacunes béantes » sous Windows
Une autre solution est de regarder ce que proposent déjà les systèmes d'exploitation actuels. Tous ne sont pas égaux devant le respect du français, Windows accusant le plus grand retard. « C'est vrai que, sur Linux et les Mac, on n'a pas les mêmes limitations que sur Windows. Sur Windows, il y a vraiment des lacunes béantes, au point que certains caractères saisissables en minuscules ne le sont pas en majuscules. C'est étrange. On peut écrire un y-tréma minuscule (ÿ) si on veut, mais pas un y-tréma majuscule » détaille Magnabosco.
Bien entendu, il existe des solutions logicielles, comme Allchar ou le logiciel libre WinCompose. Mais le but est ici de trouver des solutions qui pourraient être applicables partout sans avoir à nécessiter le moindre logiciel supplémentaire.
Sur Linux et OS X, l'une des solutions est ainsi d'écrire la version majuscule d'une lettre accentuée en combinant la touche Verrouillage avec ladite lettre accentuée alors que sur Windows, la même combinaison donne un chiffre.
Si la démarche est louable, deux questions restent selon l'AFNOR. La première est de pouvoir exécuter la même combinaison pour toutes les lettres. La seconde est, simplement, d'en informer l'utilisateur. « La grande majorité des utilisateurs Mac ne savent pas qu'ils peuvent taper facilement un accent aigu majuscule. Ce n'est pas gravé sur le clavier » estime le chef de projet.
Mais pour qui s'intéresse un peu au sujet des claviers et de leurs normes sait qu'il existe déjà une solution, qui tient compte des particularités du français, des langues étrangères et régionales. Cette option, « ergonomique » selon l'AFNOR, est le clavier BÉPO.
La solution libre du BÉPO
Dans les faits, cette disposition est libre de droits et disponible sur les principaux systèmes d'exploitation. La première version du BÉPO a été finalisée en 2008, par une communauté d'utilisateurs formée au début des années 2000. Il est inspiré du clavier Dvorak, dont l'adaptation française avait été effectuée sous droit d'auteur peu avant. Ils ont répliqué la méthodologie et obtenu leur propre disposition.
L'avantage du BÉPO est double : il intègre les caractères manquants de l'AZERTY tout en réorganisant les touches, pour limiter les mouvements des doigts. « Le but premier du BÉPO n’est pas d’être plus rapide, mais plus confortable. On devient plus précis à la frappe, on fait moins de fautes et la vitesse s'améliore naturellement. C’est très empirique, mais j'ai gagné au moins 20 % de vitesse de frappe » nous explique Mimoza, un ingénieur informatique utilisateur de cette disposition.

« Ce qu’on recommande en apprentissage, c’est de pratiquer 5 minutes par jour tous les soirs. Cela vient petit à petit. Certains changent du tout au tout du jour au lendemain, mais ce n’est pas le plus simple. L'apprentissage est très pratique avec cet agencement pratique. Toutes les voyelles à gauche et les consonnes à droite, par exemple » explique-t-il.
Mimoza s'implique notamment dans Ergodis, l'association formée en 2014 autour de cette disposition, par exemple via des conférences lors d'événements sur le libre. « L’association est à l’image de la communauté : s'il n’y a pas de chantier pressant, elle est assez dormante » explique Mimoza. En ce moment, des discussions sont en cours autour d'une « v1.1 » adaptée aux demandes de l'AFNOR, pour ajouter les derniers caractères encore manquants.
Des exigences minimales et plusieurs options
Malgré l'existence de cette disposition « ergonomique », le travail de l'AFNOR reste important. Le but est de fixer des exigences minimales, qui s'appliqueraient à la fois à un AZERTY modifié et au BÉPO. Les deux dispositions seraient plutôt des options dans la norme, l'une classique (AZERTY complété), l'autre ergonomique (BÉPO).
« Il faut que ces deux options soient équivalentes en termes de résultat. Je suis un utilisateur français, je fais un peu de programmation, j'écris de temps en temps dans une ou plusieurs langues étrangères, j'ai parfois besoin de prendre en compte le patrimoine de ma région... Comment est-ce que j'intègre cela dans un clavier sans avoir à ouvrir de table de caractères ou taper des codes compliqués ? » pose l'AFNOR.
L'élaboration de la norme a commencé en décembre dernier. L'association est en train de constituer le groupe de travail. « Par contre, on veut aller vite. Ce n'est pas un sujet sur lequel on a besoin de travailler des mois et des mois pour se mettre d'accord » affirme Philippe Magnabosco.
Cela a tout de même démarré en amont. Un premier tour de table a eu lieu en 2014, dans lequel les défenseurs du BÉPO ont été invités. De même, le chef de projet suit leur liste de diffusion depuis plusieurs années. « Les tout premiers échanges que j'ai pu avoir avec BÉPO doivent remonter aux années 2008 ou 2009, peut-être ! Mais rien n'avait de forme précise à l'époque. Je les ai recontactés en septembre ou octobre 2014, au moment où le sujet commençait à vraiment devenir sérieux » se souvient Magnabosco.
« Dans l’état actuel, je pense que le BÉPO peut très bien remplir le rôle de disposition officielle. Ce serait un énorme bénéfice de pouvoir y passer » estime Mimoza de l'association Ergodis. Mais pour l'AFNOR, la question est surtout d'adapter l'AZERTY pour le compléter. « Notre idéal est que tout le monde ait les moyens d'accentuer les capitales sans s'en rendre compte, à l'occasion de l'achat d'un nouvel ordinateur, etc. On ne va pas faire de passage à l'euro ! » affirme son chef de projet.
Une adoption qui dépendra des industriels
Si tout va bien, la norme de clavier sera utilisable dès janvier 2017 dans les appels d'offre de l'administration. Une fois la norme publiée, deux scénarios existent : soit elle concernera surtout les administrations, soit les industriels s'en empareront pour remplacer l'AZERTY actuel. Même si l'administration représente « plusieurs centaines de milliers d'exemplaires par an », le grand public n'y aura accès que via le matériel qui leur est destiné.
L'AFNOR compte sur un fait simple : un nouvel AZERTY ne modifierait pas la disposition physique du clavier, mais simplement la gravure des touches et les pilotes. Cela ajouterait simplement des informations. Si ce travail industriel peut prendre un peu de temps, l'effort ne serait pas si coûteux en lui-même.
Cela sera cependant essentiel à une adoption par le plus grand nombre. Il en est de même pour le BÉPO même si l'on trouve quelques produits chez les revendeurs comme les modèles Typematrix aux alentours de 130 euros ou des modèles un peu plus accessibles dans des boutiques spécialisées.
Il faudra aussi voir comment les systèmes d'exploitation l'intègreront. « Les normes sont d'application volontaire. Non, Microsoft n'est pas obligé d'appliquer la norme. Mais, oui, bien sûr, on est intéressés à ce qu'ils le fassent et on est en contact avec eux » à l'international, indique Philippe Magnabosco. Avec une norme publiée l'an prochain, les effets pourraient donc être rapides.
Reste la question finale des claviers virtuels, qui ne sont pas concernés par cette nouvelle norme. Pour le chef de projet de l'AFNOR, ils sont indissociables de la saisie assistée, qui est un sujet en soi. S'il n'est pas question de le traiter ici, « il n'y a pas de raison que les exigences appliquées aux claviers physiques ne le soient pas aux claviers virtuels » estime enfin l'association.