Les petites hypocrisies d’Aurélie Filippetti sur Hadopi

Anesthésie générale

« Ce n’est parce que ça n’a pas été exercé que ce n’est pas une atteinte aux libertés fondamentales, ni d’ailleurs que ça ne pourra pas être prononcé ». Au détour d’une longue interview à Libération, la ministre de la Culture est venue réexpliquer l’intérêt de supprimer la suspension d’accès à Internet.

ministère culture
À nos confrères qui lui demandent pourquoi ne pas avoir supprimé la riposte graduée, plutôt que la seule coupure d’accès, « qui n’a d’ailleurs jamais été exercée », Aurélie Filippetti répond d’un trait que : « ce n’est pas parce que ça n’a pas été exercé que ce n’est pas une atteinte aux libertés fondamentales, ni d’ailleurs que ça ne pourra pas être prononcé. » (l'interview, accès payant)


La locataire de la Rue de Valois laisse entendre que la suspension est en soi une atteinte aux libertés fondamentales. Problème, le Conseil constitutionnel ne l’a pas jugé ainsi. Ou plutôt, c’est parce que cette suspension venait en opposition avec la liberté d’information et de communication qu’il a laissé au seul juge le soin de jauger la sanction adéquate. Nuance.


Pour la ministre, comme Marie Françoise Marais, cette suppression se fera sans passer par la loi mais par un simple décret. PC INpact en a déjà  précisé l’astuce : l’article L335-7-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que la peine complémentaire de suspension s’applique uniquement « lorsque le règlement le prévoit. ». Le décret du 25 juin 2010 qui institue la « contravention de négligence caractérisée » joue ce rôle de règlement : il prévoit que « les personnes coupables de la contravention […] peuvent, en outre, être condamnées à la peine complémentaire de suspension [...] pour une durée maximale d'un mois, conformément aux dispositions de l'article L. 335-7-1. » En gommant ces quelques mots, la suspension sera supprimée juridiquement de la réponse graduée. D’un claquement de doigts.

La suspension depuis longtemps suspendue

C’est cependant une vue de l’esprit, et là réside toute l’hypocrisie de la réforme de celle qui s’opposait autrefois au principe même de la négligence caractérisée. Cela a été expliqué maintes fois dans nos pages : techniquement cette peine est impossible et contrairement à ce qu’affirme la ministre, la peine en question « ne pourra pas être prononcée. »


Par raccourci, on parle de la fin de la suspension « de l’abonnement ». En réalité, le code de la propriété intellectuelle vise uniquement la suspension « à l’accès aux services de communication au public en ligne ». Derrière ce long terme pompeux, on trouve l’accès à des services comme Google.fr ou le portail Yahoo, mais non les correspondances privées ou la TV et la téléphonie. En clair ? Si un juge venait par extraordinaire imposer cette suspension à un abonné, son FAI serait dans l’impossibilité technique de la mettre en œuvre. Il devrait sinon interdire Google.fr, non à Gmail. Empêcher Yahoo.Fr, non à Yahoo! Mail. Contrecarrer Facebook, non les messages privés du réseau social.

Un dispositif de sanction plus fluide, moins coûteux, plus rapide contre l'abonné

La fin de la suspension est et reste une façade, du vernis, du clinquant qui permet de dépeindre le futur d’Hadopi en un régime très doux. En réalité, là est la force de la mission Lescure, ce dispositif va devenir diablement plus incisif. Sans suspension possible, l’intervention du juge n’est plus nécessaire puisqu’il n’y a plus d’atteinte théorique à une liberté fondamentale. Le CSA – ou n’importe quelle autorité - pourra alors mitrailler ses amendes de 60 euros à tour de bras. Voilà pourquoi dans l'Expansion, Marie François Marais est enchantée par la mort de cette suspension impossible : « une amende administrative rendrait le dispositif plus fluide, moins coûteux, plus rapide et plus opérationnel ». La présidente du collège de la Hadopi va même jusqu’à ajouter que « la coupure d'accès n'a jamais eu bonne presse ». Comme si l’amende avait un taux d’acceptation plus important alors que même le PS vomissait la mesure.

Passe-passe

À nos confrères de Libé, la ministre de la Culture retente le tour de passe-passe... qui ne passe justement plus très bien : « Et puis on supprime l’Hadopi, vous avez remarqué ? Elle disparaît. Le CSA, qui va d’ailleurs être amené à travailler de plus en plus avec l’Arcep via un comité de consultation, aura parmi ses missions celle qu’on peut encore appeler la réponse graduée, mais qui ne sera pas éternelle. » Belle et jolie expression là encore ! Le « pas éternel », c’est en effet demain comme une minute avant l’infini.

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