Hier soir peu avant minuit, le gouvernement a fait passer son amendement visant à ne plus faire du libre, une priorité dans le service public éducatif numérique. Le vote a été acquis avec les voix du PS et de l’UMP, malgré l’opposition des écologistes et des radicaux.
Voilà quinze jours, les sénateurs votaient un amendement offrant une place de choix au libre : le futur service public de l’enseignement numérique et de l’enseignement à distance « utilise en priorité des logiciels libres et des formats ouverts de documents », affirmait-il. Une disposition qui ne fut ni contestée lors des débats au Sénat, ni devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.
Cependant depuis, le Syntec Numérique (syndicat professionnel représentant 1 200 entreprises du numérique) et l'AFINEF (groupe représentant une cinquantaine d’entreprises de l'e-education) ont vertement critiqué la petite phrase, qui violerait selon eux les règles de la commande publique, le droit européen et même la constitution… L’April, association pour la promotion du libre, rétorquait que le Conseil d’Etat a pourtant déjà validé un appel d’offres désignant nommément une solution libre.
PS et UMP unis pour refuser cette priorité
En vain. Comme prévu, Vincent Peillon, ministre de l’éducation, a fait voter hier soir un amendement déposé en dernière ligne droite par le gouvernement. Il gomme le texte sénatorial pour lui préférer une version beaucoup plus édulcorée : « Dans le cadre de ce service public, la détermination du choix des ressources utilisées tient compte de l’offre de logiciels libres et de documents au format ouvert, si elle existe. »
« Le choix de la licence ne se pose donc pas a priori, mais doit procéder d’une réponse à une nécessité ou à des besoins qui auront été clairement identifiés » a insisté le ministre, prétextant des « difficultés juridiques » dans la version votée au Sénat.
Se souvenant de la version du Sénat, Laurent Grandguillaume estime que ce débat « mériterait une étude approfondie par rapport aux avantages et aux inconvénients et notamment aux coûts qui peuvent être générés aujourd’hui par un certain nombre de logiciels et à la fracture numérique que cela peut poser pour des familles (…) ». Selon le député PS, « la question de la priorité donnée aux logiciels libres aura été plus claire si cela avait été inscrit en tant que telle dans la rédaction. » La priorité donnée au logiciel libre « posait un vrai problème juridique », renchérira Thierry Solère, expliquant que le groupe UMP allait voter l’amendement gouvernemental.
La tentative de 1999
Cette promotion du libre dans les services publics n’est pas une première au Parlement. En décembre 1999 au Sénat, une proposition de loi tendant à généraliser dans l'administration l'usage d'Internet et de logiciels libres avait déjà été déposée. « Pour garantir la pérennité des données accessibles, faciliter les échanges et assurer le libre accès des citoyens à l'information, il faut que l'utilisation dans l'administration ne dépende pas du bon vouloir des concepteurs de logiciels» exposaient ses auteurs, Pierre Lafitte, René Trégouët et Guy Cabane.
Plus qu’une priorité, la proposition proposait alors de rendre obligatoire l’usage par les administrations publiques de logiciels libres. « Toute utilisation de logiciels propriétaires dont le code source ne serait pas publié pour des utilisations spécifiques par ces services restera licite sous réserve d'une autorisation délivrée par une agence du logiciel libre ». Faute d’avoir été examinée à temps, cette proposition est depuis devenue caduque.
Le regret des écologistes et des radicaux
Le texte examiné hier était pourtant beaucoup moins ambitieux. Rejointe par les radicaux, l'écologiste Barbara Pompili regrettera l'amendement Peillon-Ayrault : « face à la force économique des logiciels propriétaires, laisser se faire les choses ne suffit pas. Il faut des politiques beaucoup plus volontaristes, car les forces en jeu sont dissymétriques ! »
Retirer la priorité au libre, « risque d’être vu comme une forme de soumission qui serait difficilement justifiable » estime la députée de la Somme. « Les logiciels libres et les formats ouverts sont les seuls à permettre un accès égalitaire et pérenne aux ressources numériques. Les formats propriétaires – et nous en avons tous fait l’expérience – nous obligent à acquérir régulièrement des mises à jour logicielles qui de plus en plus incorporent des conditions d’utilisation restrictives. Promouvoir les logiciels libres, c’est l’essence même de l’esprit de solidarité et d’égalité républicain. »