Pierre Mercklé est sociologue, maître de conférence à l'ENS de Lyon et chercheur au Centre Max Weber. Il a publié un billet intitulé « Le savant et le policier, ou pourquoi je ne participe pas à une enquête de l’HADOPI ». Il raconte avoir été sollicité par un grand cabinet d’études commandité par la Hadopi. Et pourquoi il a décliné l’invitation.
L’enjeu de cette enquête ? Une étude sur « l’évolution des pratiques de partage et le panier moyen de consommation de biens culturels de l’ère prénumérique à nos jours ». De fait, cette étude ne nous est pas étrangère. Elle correspond à l‘appel d’offres lancé par la Rue de Texel en mars 2011. « Le présent marché doit permettre à l'Hadopi de connaître l'évolution des pratiques culturelles et les usages culturels des années 80 à nos jours et l'évolution du panier moyen dédié à la culture » selon l’appel d’offres. Pour cette étude, la Hadopi a mis 50 000 euros sur la table, en guise de budget initial.
Pierre Mercklé s’était vu confier un document en préparation d’un entretien. « Comme le précisait la grille d’entretien qui m’avait été communiquée, il s’agissait de me demander notamment comment avait évolué la notion de pratique culturelle depuis trente ans, et la distinction entre activité de communication et activité culturelle ; comment avaient évolué les modalités d’acquisition, de copie, d’échange et d’utilisation des contenus culturels (…) » Bref, savoir comment a évolué le partage de biens culturels des années 80 jusqu’à nos jours, alors que la Hadopi n’était qu’une institution de roman d’anticipation.
Une mascarade
Problème pour la Hadopi, le chercheur a finalement refusé cette étude. Et surtout, il a pris la peine d’expliquer pourquoi. En six lettres : « HADOPI ». En substance, il ne veut se prêter à ce drôle de jeu avec cette autorité dont la raison d’être est la lutte contre l’échange libre et gratuit. « Je suis défavorable à la conception du droit d’auteur sur laquelle s’appuie cette mission, mais là encore, ce n’est pas le problème. Le problème véritable, c’est qu’à mon sens il y a une grave confusion dans le fait qu’une institution au moins normative (sinon clairement policière), chargée d’une mission qui conduit à la sanction judiciaire des contrevenants à une règle qu’elle doit promouvoir, puisse en même temps être la commanditaire d’une étude indépendante, dont les conclusions peuvent possiblement porter sur le bien-fondé économique et social de cette règle. »
Et l’intéressé de fustiger cette grave confusion des genres. « Une partie de la tradition sociologique s’est inaugurée par l’établissement d’une distinction inconciliable entre « le savant » et « le politique ». On peut évidemment discuter l’intransigeance de la position wébérienne, mais pas au point de se prêter au jeu de l’alliance entre le savant et le policier qui sous-tend la sollicitation qui m’a été adressée. Ce n’est pas que les missions de police soient détestables par principe, c’est qu’elles ne sont pas compatibles avec les missions scientifiques ».
Etudier le partage et proclamer son impasse
Vient ensuite la question des fameux Labs. Rappelons que ces cellules n’ont aucune existence juridique, mais elles sont un lieu où le secrétaire général de la Hadopi se plait à convier tous les opposants. On le comprend, l’enjeu est simple : il vise à rapprocher la critique du critiqué et dans le même temps contenir les dissensions sous le toit de la Rue de Texel. Ces labs donnent dans le même temps le sentiment de transparence quand tambourine aux étages inaccessibles de la Rue de Texel, l'usine de la riposte graduée.
Mais le sociologue ne s’attache pas à ces points. Il note avant tout un sujet créé dans ces fameux Labs intitulé « l’impasse du partage ». Et cela fait mouche. « Comment peut-on à la fois prétendre étudier sans a priori les pratiques de partages, et en même temps proclamer « l’impasse du partage » sur la page d’accueil de ses « labs » ? On dirait que l’HADOPI a déjà la réponse à sa question avant même de l’avoir posée… Ici, concrètement, et malgré toutes les déclarations de principes imaginables, je ne dispose d’aucune garantie sur les usages de mes réponses, et plus généralement sur les usages de l’étude ainsi commanditée, de plus dans un contexte encore compliqué par la précarité de l’avenir proche de ladite institution ».
Il souligne aussi que le sujet de l'enquête a fait l’objet d’une consultation dans le forum des Labs. Annoncée le 28 novembre 2011 elle devait s’achever le 30 novembre 2011. Pierre Mercklé l’assure : voilà autant d’indices qui montrent que la « HADOPI fait de la politique, et donc elle ne peut pas prétendre faire de la science. Ses études sont politiques, pas scientifiques. Je pourrais m’y prêter à deux conditions : 1. À condition de ne pas être sociologue, et 2. À condition d’être favorable à la politique ainsi défendue. Hélas, au moins une de ces deux conditions n’est pas remplie… »