Si l'on pointe régulièrement les problèmes financiers des industries culturelles et leur incapacité chronique à s'adapter aux besoins des consommateurs, que dire de la presse, qu'elle soit papier ou en ligne ? Non seulement le public ne suit plus, mais elle doit s'accorder au marché très fluctuant de la publicité. Pire encore, certains journaux ont tenté divers paris audacieux, et les échecs ont parfois été cuisants. De quoi se demander si un jour la presse trouvera la clé.
La désertion des lecteurs
Selon le bilan de l'OJD pour le mois de mars, les ventes des quotidiens nationaux français ont été catastrophiques, avec des baisses allant jusqu'à 16,6 % pour Libération, ou encore 12 % pour le JDD et 10 % pour Le Parisien. Sur cinq ans, les reculs sont parfois supérieurs à 20 % pour certains journaux, hormis Le Figaro et la Croix qui ont tiré leur épingle du jeu. Et sur dix ans, l'érosion atteint parfois les 40 % pour des titres comme Libération.
Et à ce jeu-là, la France est loin d'être une exception. Que ce soit ailleurs en Europe ou en Amérique du Nord, de nombreux quotidiens et magazines ont vu leurs ventes s'effondrer depuis dix ou vingt ans, avec parfois une accélération ces cinq dernières années. Le New York Times est par exemple passé sous le million d'unités écoulées en 2009 pour la première fois depuis près de 30 ans.
Licenciement de masse voire fermeture complète
La chute des ventes papier, qui n'est pas compensée par l'audience (parfois très élevée) des sites web, a logiquement eu pour conséquence un effondrement du chiffre d'affaires et des bénéfices, quand il y avait des bénéfices. Pour certains, cela a plutôt rimé avec un creusement des pertes. Une étude de Pew Internet démontrait d'ailleurs que la presse papier était passée entre 2003 et 2012 d'un chiffre d'affaires publicitaire de 45 milliards à 19 milliards de dollars. Un effondrement à comparer à la croissance des revenus en ligne de la presse, qui sont passés durant la même période de 1,2 milliard à moins de 4 milliards de dollars.
Pour pallier ces gigantesques problèmes financiers, deux réactions sont généralement mises en place. La première est d'augmenter les tarifs pour compenser le recul de l'audience et des recettes publicitaires. Cette année encore, la plupart des grands quotidiens ont augmenté leurs tarifs de 10 à 20 centimes d'euro, soit sur l'année l'équivalent de plusieurs dizaines d'euros par lecteur.
L'autre réaction est bien entendu de se séparer des journalistes. Du Français La Tribune, à l'Espagnol El Pais, en passant par les Américains New York Times et Washington Times, l'Allemand Springer (Bild), le Britannique Telegraph et l'agence de presse Reuters, des milliers de journalistes ont dû plier bagage ces dernières années dans le monde (on parle d'une réduction d'un tiers depuis 2000). Et au regard du marché actuel, retrouver un emploi dans cette branche relève du miracle.
Mais s'il y a des licenciements, c'est que l'organe de presse en question survit malgré tout. Ce n'est toutefois pas le cas de tout le monde. En Allemagne, le Financial Times Deutschland a tiré sa révérence. En France, dans un tout autre domaine, IG Magazine fermera ses portes en juillet prochain. Et SVM et PC Expert en ont fait de même il y a quelques années, même si concernant ce dernier a signé son retour il y a quelques jours. Aux États-Unis, la crise est telle qu'un site nommé Newspaper Death Watch référence depuis 2007 les quotidiens disparus ou en voie de disparition.
Un avenir sombre
Que des journaux licencient ou ferment pourrait paraître peu inquiétant et cyclique si cela ne durait pas depuis une vingtaine d'années dans certains pays. Mais le plus alarmant reste bien les paris ratés constatés ces dernières années. The Daily, spécifiquement conçu pour l'iPad à coup de millions de dollars, devait montrer la voie et le futur pour la presse. Lancée début 2011, l'aventure prit fin moins de deux ans plus tard.
Une véritable claque pour le secteur, et qui n'est malheureusement pas la seule. Nous venons par exemple d'apprendre cette semaine que Newsweek, qui avait abandonné le papier fin 2012 pour se concentrer sur le Web, est déjà à vendre. Une nouvelle qui fait froid dans le dos sachant que de nombreux journaux ont déjà abandonné le papier pour la toile, et d'autres le feront assurément dans un futur proche.
Quelques espoirs (?)
Malgré la situation dramatique du secteur, doit-on pour autant sortir un revolver et jouer à la roulette russe ? Pas forcément. Nous pouvons tout d'abord rappeler que le New York Times, après de lourds licenciements, une augmentation de ses tarifs et une évolution de son site internet (vers le payant) a retrouvé une bonne santé financière, même si encore très fragile. Mieux encore, il n'a jamais été aussi peu dépendant de la publicité, bien que cela pourrait changer à l'avenir.
Le grand pari des repreneurs de France Soir : 100 % sur iPad.
En France, les résultats de Mediapart, Arrêt sur Images ou encore de Canard PC sont assez encourageants, même si tout aussi fragile. Toujours dans l'Hexagone, on pourra noter que France Soir, que certains pensaient condamné à jamais, existe encore après une mue majeure. Le journal est ainsi passé en un rien de temps d'un quotidien papier au site internet exclusivement, avant de fermer et de ressusciter peu de temps après en une application iPad et en version hebdomadaire. Un pari incroyable alors que l'échec de The Daily a pourtant de quoi refroidir les ardeurs. France Soir a toutefois une équipe très restreinte (une dizaine de journalistes) et a mis en place un modèle d'affaires assez original, l'hebdomadaire se transformant en quelque sorte en cybermarchand intermédiaire (en savoir plus).
LaPresse+, un pari à surveiller de près
Mais miser sur les tablettes et en particulier l'iPad semble bien être l'une des solutions d'avenir envisagée par les journaux et magazines malgré le fiasco The Daily. L'un des cas récents les plus emblématiques est sans aucun doute le quotidien québécois La Presse. Ce dernier a lancé en avril dernier une application qui a pris trois ans de travail et un investissement colossal de quarante millions de dollars canadiens (un peu moins de 30 millions d'euros). Un investissement qui parie logiquement sur l'avenir. Nommée LaPresse+, cette application est gratuite et ne nécessite pas d'abonnement pour accéder au contenu complet (alors que le journal papier est payant). Elle ne fonctionne que sur iPad, et encore, la première version de la tablette d'Apple ne peut la gérer.
Si l'on exclut son défaut de ne pas être multiplateforme, l'application LaPresse+ a en fait trois atouts majeurs dans sa manche qui pourraient bien inspirer les autres journaux. Tout d'abord, donc, elle est 100 % gratuite, ce qui augmente ses chances d'obtenir une forte audience rapidement (The Daily fonctionnait sur la base d'un abonnement). Deuxièmement, le journal a vraiment travaillé son application et il ne s'est donc pas contenté d'afficher le contenu du site ou du papier en version tablette. LaPresse+ est pensée de A à Z pour la tablette, ce qui décuple son intérêt par rapport à une application banale. Après tout, il y a eu trois ans de travail et quarante millions de dollars investis. Enfin, l'application est résolument tournée vers la publicité. Contrairement à France Soir qui mise peu sur les annonces, LaPresse+ est pensée pour la publicité, ce qui est indispensable quand on est disponible gratuitement.
Le lancement de cette application n'a pas été sans créer de remous, d'autant qu'il s'est accompagné de modifications sur le site web, avec des articles tronqués en plein milieu et renvoyant vers... LaPresse+. Un renvoi qui est particulièrement problématique pour ceux ne disposant pas d'un iPad. Cela n'empêche pas le journal québécois de viser 400 000 utilisateurs dès la fin de l'année et bien plus encore dans les années à venir.
Le but plus ou moins dissimulé de La Presse est simple : que tout le monde bascule sur LaPresse+ (une version Android arrivera fin 2013 ou en 2014), lui permettant d'arrêter sa version papier, très coûteuse à distribuer dans ce territoire grand comme cinq fois la France (métropolitaine). Si ce scénario est encore loin d'être réalisé quand on sait que La Presse est tirée à plus de 200 000 exemplaires (soit deux fois plus que Libération), il n'en demeure pas moins impossible. Après tout, les tablettes se généralisent, et la gratuité de LaPresse+ est un véritable atout pour attirer en premier lieu les lecteurs actuels.
La mort du journal papier et une presse disponible (uniquement ?) sur tablette soit gratuitement avec publicité, ou payante. C'est peut-être bien le futur de la presse. Il n'est toutefois pas certain que tous les lecteurs veuillent suivre cette tendance. Mais auront-ils le choix ?