Après examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, les sénateurs ont voté un coup de pouce appuyé aux logiciels libres. Le service public de l’enseignement numérique et de l’enseignement à distance devra en effet utiliser « en priorité des logiciels libres et des formats ouverts de documents ». Une première dans l'histoire parlementaire applaudie par les promoteurs du libre. Le texte doit encore être validé par les députés.
Le 25 mai, le Sénat a adopté, par 176 voix contre 171, le projet de loi pour la refondation de l'école de la République. L’une des dispositions adoptées pose les fondements d’un « service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance ». L’enjeu ? Prolonger les cours dispensés par les enseignants, mettre en ligne des ressources pédagogiques tout en proposant divers outils de suivi des élèves et de communication avec les familles.
Au Palais du Luxembourg, sans doute inspiré par la circulaire Ayrault, les sénateurs ont insisté pour que « ce service public utilise en priorité des logiciels libres et des formats ouverts de documents ». Ce sont les parlementaires communistes qui ont souhaité mettre ce coup d’accélérateur sur les solutions libres.
Leur amendement initial était même plus ambitieux encore puisqu’il exigeait que ce service public « utilise exclusivement » du libre et des formats ouverts. En commission Culture, la rapporteur Françoise Cartron a néanmoins exprimé des doutes sur l’adverbe « exclusivement », préférant l’expression « en priorité ».
La colère du Syntec et de l'AFINEF
Allégé, cet amendement a malgré tout provoqué la colère du Syntec Numérique (syndicat professionnel représentant 1 200 entreprises du numérique) et de l'AFINEF (groupe représentant une cinquantaine d’entreprises du secteur de l'e-education). Ils estiment que l'offre e-éducative française risque de manquer de lisibilité à l'international, « notamment en direction de continents où le pluralisme et la neutralité technologique conditionnent la pénétration des marchés. » Ils jugent « ces dispositions évidemment inconstitutionnelles », illégales et contraires au droit européen. « Écarter la fourniture de certaines solutions, en imposant un type de logiciels, violerait les principes fondamentaux de la commande publique consacrés tant au niveau français qu’européen et jamais démentis » avancent-ils.
« Malgré un avis défavorable du Gouvernement en commission, la rédaction retenue (…) porte atteinte au principe de neutralité technologique qui est la règle notamment pour la commande et l'achat publics », insistent-ils. De fait, le gouvernement ne s’est pas opposé à ces amendements comme on peut le constater dans les comptes rendus des débats. Et pour cause, il était absent comme le remarque l’April, association pour la promotion du libre. L’amendement n’a pas fait davantage l’objet de discussions en séance publique où était pourtant présent le ministre de l'éducation...
Une petite loi, un grand moment
L’April, qui se bat justement pour que les marchés soient dépollués des mentions de marque en faveur des logiciels propriétaires, applaudit. « C'est sans doute la première fois que « logiciels libres » est inscrit dans une petite loi en France.» Elle rétorque d'ailleurs que les choix du Sénat sont parfaitement dans les clous. « Demander du logiciel libre spécifiquement est un signal fort, en faveur d'un service public de l'éducatif numérique ouvert à tous. » Même son de cloche chez Linagora ou à l'AFUL pour qui justement "la mission de l'école n'est pas d'être le client captif des Industries Numériques Éducatives."
L'April rappelle pour sa part l’analyse faite par le Conseil d’État dans sa décision du 30 septembre 2011. Un arrêt rendu à propos du logiciel « Lilie », objet d’un marché lancé par la Région Picardie pour des espaces numériques de travail, contesté par des acteurs privés du secteur. Le choix de l’open source « le rend librement et gratuitement modifiable et adaptable aux besoins de la collectivité par toute entreprise spécialisée dans l'installation de logiciels supports d'espaces numériques de travail » répondra la haute juridiction administrative. Ainsi, il « ne peut être regardé ni comme ayant pour effet de favoriser [l’éditeur] qui a participé à sa conception (…) ni comme ayant pour effet d'éliminer » les autres entreprises spécialisées qui ont toutes les compétences requises « pour adapter le logiciel libre Lilie aux besoins de la Région Picardie.»
La « petite loi », texte du projet de loi voté par les sénateurs, est désormais renvoyée aux députés où les débats pourront reprendre. Il sera donc intéressant de voir si le gouvernement décide finalement de s’opposer à ce texte, alors que son projet initial marquait déjà une référence appuyée aux solutions libres.