C’est depuis Cannes qu’Aurélie Filippetti a pris sous le bras une des recommandations du rapport Lescure : la fin de la suspension, sanction de la réponse graduée en sus des 1 500 euros d’amende. Selon la ministre, cette fin serait entérinée par décret dans le mois qui vient.
Ce n’est plus une surprise : la suspension d’accès d’un mois, sanction complémentaire aux 1 500 euros de contravention, sera supprimée par l’actuel gouvernement. Depuis Cannes, cependant, Aurélie Filippetti a indiqué que cette mesure serait supprimée dans les semaines à venir : « Pour la coupure de la coupure, ça se fera sous la forme d'un décret, donc extrêmement rapidement, dans le mois qui vient je pense » (propos rapportés par l'AFP).
Déconnecter la suspension via l'un des décrets d'application
Pour rectifier ce texte par voie réglementaire et lui donner un vernis moins répressif, les services du ministère de la Culture ne pourront évidemment pas toucher directement à la loi qui est de la seule compétence du pouvoir législatif. Impossible donc de modifier directement l’article L335-7-1 du Code de la prorpiété intellectuelle qui institue cette peine complémentaire. Cependant, cet article prévoit que la suspension n’est juridiquement possible que « lorsque le règlement le prévoit. »
Selon nous, la Rue de Valois pourra ainsi agir par ricochet et cibler l’un des textes d’application. Quel texte ? Tout simplement le décret n° 2010-695 du 25 juin 2010, instituant la « contravention de négligence caractérisée protégeant la propriété littéraire et artistique sur internet » dont le III prévoit que « les personnes coupables de la contravention [de négligence caractérisée] peuvent, en outre, être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d'un mois, conformément aux dispositions de l'article L. 335-7-1. »
Une mesure d'affichage
ll reste que la fin de la suspension, présentée comme moins répressive, n’est qu’une mesure d’affichage. Nous le disons depuis des années : la suspension est une sanction techniquement impossible. Par raccourci, la phase 3 de la Hadopi est trop souvent présentée comme la suspension de l’accès internet en cas de défaut de sécurisation. La réalité est plus complexe !
En mars 2011, nous expliquions déjà que la suspension version Hadopi ne vise que « les services de communication au public en ligne » comme on peut le voir dans les textes précités. C'est une expression juridique très précise. Avec cette nuance, en effet, si l’accès au web est suspendu, les correspondances privées doivent être maintenues tout comme la TV et la téléphonie. Si un juge condamnait Free à suspendre l’accès de Mme Michu, le FAI devrait lui interdire par exemple l’accès au moteur Google mais non à Gmail. L’accès à Yahoo!, mais non à Yahoo! Mail, l’accès à Twitter.com mais non aux messageries privées du réseau social, etc. Cette mesure impossible avait été soulevée par le président de la CNIL, comme nous le révélions après une procédure CADA . La Hadopi nous avait révélé elle-même son incapacité à répondre à cette problématique.
Avec la re-mort de la suspension en juin, dépeindre Hadopi comme un système moins répressif n’est aujourd’hui que pure hypocrisie. D'ailleurs, lorsqu'elle était députée, Aurélie Filippetti ne s'opposait pas seulement à la dernière phase, mais dénonçait directement le principe même des sanctions pour défaut de sécurisation.
La seule survie de l’amende, bientôt reclassée dans les sanctions administratives, permettra au CSA, futur héritier d’Hadopi, de mitrailler des prunes de 60 euros à tour de bras, quand aujourd’hui Hadopi n’a pu que péniblement sécréter trois jugements, dont une seule contravention de 150 euros.