La France a fait preuve de prudence en matière de vente de médicaments en ligne, puisque le gouvernement réserve cette activité aux seuls pharmaciens déjà titulaires d’une officine. Un projet d’arrêté du ministère de la Santé, qui pousse la pilule un peu trop loin, reste coincé au travers de la gorge de l’Autorité de la concurrence. Celle-ci vient de lui adresser un avis (très) défavorable.
Un article du code de la santé publique (L 5121-5) prévoit que « la dispensation, y compris par voie électronique, des médicaments doit être réalisée en conformité avec des bonnes pratiques dont les principes sont définis par arrêté du ministre chargé de la santé ». Bonnes pratiques et commerce électronique ? Les conditions de saisine du gendarme de la concurrence étaient réunies. Il doit en effet être consulté sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant pour effet direct d’imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente.
Le ministère des Affaires sociales lui a transmis pour avis son projet d'arrêté, mais l'Autorité de la concurrnence considère qu'il inflige « un ensemble important d'interdictions et de restrictions » au commerce de médicaments en ligne. « Des dispositions particulièrement restrictives de concurrence », « non justifiées par des considérations de santé publique » tacle l’autorité.
Quelques exemples ?
Le ministère de la Santé voudrait interdire les sites présentant à la fois des médicaments et des produits d’hygiène, cosmétiques ou de premiers soins (parapharmacie). Un choix qui va « limiter significativement l’attractivité des sites » répond l’Autorité de la concurrence, d’autant qu’un client voulant acheter des médicaments autorisés et d’autres produits devrait se rendre sur deux sites différents. Et se voir ponctionner deux fois des frais de port. Quant aux pharmaciens désireux d’investir le Web, ils devraient financer deux sites de commerce en ligne...
Seraient aussi interdits les liens vers d’autres sites que les autorités de santé et le conseil de l’ordre des pharmaciens, l’usage de « newsletters » ou l’ouverture d’un forum de discussion. Si l’interdiction des espaces contributifs se comprend (problème de responsabilité, modération, etc.) il n’est pas très judicieux d’interdire les newsletters qui peuvent apporter des informations relatives à la prévention et au bon usage des médicaments.
Les moteurs ou comparateurs payants interdits
Les sites français ne pourraient par ailleurs être référencés dans des moteurs de recherche ou dans des comparateurs de prix contre rémunération. Un mauvais choix selon l’Autorité : d’un, la publicité anime la concurrence et donc un ajustement des prix. De deux, les acteurs étrangers peuvent s’offrir des publicités sur ces mêmes services, ce qui risque de disqualifier les acteurs français.
Sur la question des prix, le gouvernement voudrait qu’impérativement, le prix des médicaments dispensés au comptoir de l’officine ou par voie de commerce électronique soit identique. Avec les frais de port, les prix pratiqués en ligne seraient ainsi mécaniquement plus élevés qu’en officine. L’autorité de la concurrence conteste et rappelle que s’il y a des prix maximas pour les médicaments remboursés, rien n’interdit la vente à prix inférieur. Quant aux autres médicaments, les prix sont libres et la concurrence doit jouer à plein régime.
Autre chose, les locaux de stockage devraient être les mêmes, interdisant toute sous-traitance. Des contraintes artificielles de logistique, répond l’Autorité qui préfère la sous-traitance en amont et la gestion dans des locaux adaptés.
Ce n’est pas tout, le site du pharmacien devrait mettre en place un questionnaire obligatoire pour récolter de nombreuses informations sur le client pour chaque commande. Excessif, juge là encore l’autorité de contrôle, qui considère qu’un client qui a déjà acheté un médicament pourrait n’avoir qu’à confirmer des informations déjà saisies préalablement.
Enfin, les livraisons ne pourraient se faire qu’au domicile du patient, selon le ministère de la Santé. L’autorité répond qu’il suffirait que la livraison puisse intervenir contre la preuve de l’identité du client, par exemple, pour régler cette difficulté.
Une discrimination à rebours
Quantité de règles encerclent déjà ce type d’activité, le code de la santé publique, les règles de déontologie des pharmaciens, la jurisprudence, les règles sur le commerce électronique, le code des postes, la CNIL et la LCEN... Bref, pour l’Autorité de la concurrence, « il serait regrettable de marginaliser les officines françaises en les privant d'opportunités nouvelles de développement, alors que leurs concurrentes établies dans d'autres États membres en bénéficieraient, y compris en servant la demande française. » Une vraie discrimination à rebours pour les pharmaciens français… « Le projet d'arrêté contenant un ensemble de dispositions particulièrement restrictives, dont l'accumulation conduit à créer un cadre extrêmement contraignant et limitatif, il aurait pour conséquence – s'il était adopté en l'état – de brider toute initiative commerciale en termes de prix, de gammes de produits et de services nouveaux et de priver le patient consommateur des avantages liés à la dématérialisation des ventes. »