Le commissaire européen Michel Barnier avait chargé António Vitorino - ancien commissaire européen à la justice et aux affaires intérieures - de rédiger un rapport sur la copie privée en Europe. Ses recommandations avaient été accueillies avec du goudron et des plumes par les ayants droit. Le document poursuit malgré tout sa route européenne, a-t-on appris. Prochaine étape ? Le Conseil de l'Union Européenne
Remis au Commissaire européen Michel Barnier en février dernier, le rapport sur la copie privée d'António Vitorino contient plusieurs recommandations destinées à corriger les problèmes de cette rémunération. Ce qui en réalité est une indemnisation vient compenser un préjudice : celui subi par l'ayant droit consécutivement à la possibilité pour le particulier de faire des copies sans son autorisation.
Un système trop morcellé
Cependant, entre chaque État membre, les assiettes, les mécanismes d'assujettissement et les taux sont depuis des années morcelés. Les bénéficiaires aspirent en effet ces sommes selon chaque système national dans les (faibles) limites imposées par l'Europe dans une directive de 2001. Ces disparités viennent du coup perturber les règles de circulation chères à l'Europe, quand elles ne pourrissent pas les flux du fait d'un manque de transparence ou d'un assujettissement trop large.
Vitorino propose aussi de rapprocher le concept de « préjudice » entre les pays. Si la base justificatrice de la redevance pour copie privée est harmonisée, on peut à tout le moins espérer des montants similaires. Aujourd’hui, la France fait partie du peloton de tête parmi les États membres, quand dans d’autres pays, les montants sont moins ambitieux, voire réduits à zéro.
En France, toujours, les ayants droit aspirent leur indemnisation pour copie privée chez les importateurs et fabricants. Si cela facilite la collecte, il y a aussi un autre effet aux reflets très dorés : cela empêche de distinguer les circuits privés des circuits professionnels, qui eux ne sont pas soumis. Les ayants droit sont ainsi obligés de récolter sur tous les flux. Et ce n'est ainsi que depuis 2011 que ces pros peuvent se faire rembourser. De 2001 à 2011, des centaines de millions d'euros ont été aspirés sur leurs épaules au titre de la copie privée sans restitution possible.
Vitorino souhaite du coup que la redevance soit recueillie dans les mains du détaillant et là où réside le consommateur final. Avec un tel modèle, il est théoriquement simple de distinguer le pro du particulier. Une solution qui rapporte beaucoup moins à l'ayant droit (les pros sont expurgés pour de bon) et lui coûte même beaucoup plus (les frais de collecte). Autre chose, l'auteur du rapport s'est encore opposé aussi à ce qu’une redevance soit prélevée sur des contenus dont la licence autorise justement les copies (l’exemple type est celui de la plateforme Apple dont le contrat iTunes autorise 5 copies).
L'opposition des ayants droit français
Les ayants droit français ont été vent debout contre ces recommandations. Des suggestions « de nature à compromettre sérieusement le fonctionnement » écrivaient-ils en réaction. ils refusent aussi un non-assujettissement absolu des professionnels, au motif qu'« un produit acquis par une entreprise peut aussi être utilisé à des fins privées par son personnel ». Quant à une collecte de la copie privée chez le détaillant, cette idée « compliquerait et renchérirait gravement la perception de la copie privée et favoriserait la fraude », avancent-ils.
Malgré ces critiques, le rapport poursuit sa route. Les recommandations Vitorino seront présentées le 29 mai au Conseil compétitivité. Cette instance du Conseil de l’Union Européenne est importante puisqu'elle réunit les ministres nationaux des affaires économiques, de l’industrie et de la recherche. Elle a pour mission de traiter de manière plus coordonnée les questions de compétitivité dans l’Union européenne.
Tour de table au Conseil de l'Union Européenne
Afin d’ouvrir le débat avec les États membres ce 29 mai, un questionnaire vient de leur être adressé. Le secrétariat du Conseil de l’Union Européenne veut faire le point sur les réformes en cours. Comme le montre ce document (PDF, anglais), il regrette aussi que la politique de chaque État membre soit trop variée tant pour les produits frappés que pour les taux appliqués. À la clef de ces règles divergentes, des coûts administratifs et un risque de paiement multiples (risque parfaitement assumé par la France devant la CJUE). « Alors que ces prélèvements peuvent constituer une source lucrative de revenus pour les titulaires de droits dans les États membres (...), ils peuvent également créer des obstacles à la libre circulation des biens et des services. »
Exemple d'interrogation : ne serait-il pas judicieux de clarifier la définition de l’exception pour copie privée de manière à favoriser les nouveaux modèles d’affaires qui reposent sur des licences d’exploitation ?
L'instance sait que la mission ne sera pas simple : « toutes les précédentes tentatives destinées à résoudre [ces difficultés] ont échoué, la plupart des intervenants restant attaché à leurs idées reçues, diamétralement opposées ». Pour favoriser la libre circulation des biens et des services, elle demande malgré tout aux États membres s'il faut appliquer les recommandations d'Antonio Vitorino au niveau étatique ou au niveau européen. Preuve que pour le Conseil, la question n'est plus de savoir s'il faut ou non appliquer ces recommandations, mais comment.