Le sénateur de Moselle Jean-Louis Masson vient de questionner Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'économie numérique. Il veut en substance savoir si l’anonymat des blogueurs ne pouvait pas être levé, avec une sanction à la clé en cas de résistance.
Le sénateur demande à la ministre « si une personne ouvrant et animant un blog est tenue, comment en matière de presse écrite pour le directeur de la publication, d'indiquer son identité et si le refus d'y satisfaire est sanctionné. »
La question n’a pas eu de réponse à ce jour, mais Jean Louis Masson se focalise une nouvelle fois sur le sujet. En mai 2010, il déposait justement une proposition de loi pour que soit levé l'anonymat des blogueurs non professionnels. Le sénateur voulait à cette fin « protéger les éventuelles victimes de propos inexacts, mensongers ou diffamations qui sont, hélas, de plus en plus souvent colportés sur la toile » (texte de la proposition).
À ce jour, la LCEN oblige les professionnels à « mettre à disposition du public des éléments précis permettant de les identifier » (nom, prénom, numéro de téléphone, raison sociale, identification de l’hébergeur, etc.). La même loi autorise les non professionnels à rester anonymes aux yeux du public. Masson voulait donc assimiler « l'éditeur non professionnel au directeur de la publication » afin d’astreindre les blogueurs à ces obligations.
Si la proposition avait prospéré, elle aurait impacté tous ceux qui postent sur leur Skyblog ou OverBlog. De même, puisque la notion de « blogueurs » n’est pas définie, auraient été visés également ceux qui tiennent une page Facebook. Tous auraient dû dévoiler leurs nom, prénom, domicile et numéro de téléphone, ou encore adresse courriel...
Un mur de protestation
Dans une tribune, Pierre Chappaz (Wikio), Jean-Baptiste Clot (Canalblog), Frédéric Montagnon (OverBlog), Tristan Nitot (président de Mozilla Europe) ou encore Jeremie Zimmermann et Philippe Aigrain, de La Quadrature du Net, avaient vivement dénoncé ce texte, contraire selon eux à la liberté d’expression. « Les blogueurs qui choisissent l’anonymat le font pour des raisons liées à leur vie professionnelle ou personnelle. Sans cet anonymat beaucoup arrêteraient de bloguer. »
Ses auteurs rappelaient que les normes sont déjà fournies pour assurer la protection contre la diffamation, puisque les hébergeurs doivent par exemple fournir les données d’identification de l’auteur d’un contenu litigieux. « Il n’est donc nul besoin d’une loi supplémentaire qui aurait pour seul effet de brider la liberté d’expression des internautes. »
Nicolas Poirier, responsable juridique JFG Networks / Overblog, rappelait d’autres évidences dans un texte paru dans nos colonnes : obliger un internaute à publier ses coordonnées comme un professionnel rend illusoire « d'avoir la certitude absolue que l'identité qu'il a communiquée est réelle ». En outre, il est aisé de faire publier un droit de réponse quand un commentaire déplaît. Le juriste dénonçait le risque d’effet boomerang de la proposition Masson : « les internautes qui ne diffament pas sur leur blog, mais qui à l'inverse, partagent des bouts de vie, des informations, des recettes de cuisine, des idées de loisirs (…) risquent, en révélant leur identité sur internet, d'êtres harcelés par des internautes malintentionnés, et eux, totalement anonymes. »
L’intéressé concluait par ce petit clin d’œil : « à titre d'exemple très parlant, nombre de vos collègues sénateurs, députés, sinon ministres, font usage de blogs à titre non professionnel aujourd'hui pour communiquer avec leurs électeurs : nous ne sommes réellement pas persuadés qu'ils seraient enchantés de devoir communiquer leurs coordonnées personnelles sur leurs blogs pour pouvoir continuer cet échange avec les internautes au quotidien... »
La députée Marie-Jo Zimmermann (Union pour un Mouvement Populaire, Moselle) a pris pour son compte la question du sénateur Masson. Elle vint d'interroger en ce sens Fleur Pellerin, comme on peut le voir sur le site de l'Assemblée nationale. Notons qu'au Sénat, la question a été redirigée vers le ministère de la Culture et de la Communication.