Parti au début du mois d'octobre 2011, Steve Jobs est encore bien présent dans les esprits. Aujourd'hui, avec 18 mois de recul, nous pouvons déjà remarquer ce qui a changé et n'a pas changé chez Apple. À l'heure où certains se demandent si Tim Cook est bien l'homme de la situation, faire un premier bilan peut être intéressant.
L'iPad mini est le seul « nouveau » produit sorti par Apple depuis le décès de Steve Jobs.
Fin août 2011, Steve Jobs annonça officiellement sa démission de son poste de PDG du fait de ses ennuis de santé. Tim Cook le remplaça à la volée. Cette démission, moins d'un mois et demi avant son décès, eut aussi lieu deux semaines après un exploit retentissant : Apple était devenue durant quelques heures la société la mieux cotée au monde, devant le géant pétrolier Exxon Mobil. Quand on connait les difficultés financières traversées par Apple lors des années précédentes, atteindre la plus haute marche de la bourse devant des monstres pétroliers, bancaires, pharmaceutiques et automobiles était plus qu'une performance. Aujourd'hui, après des résultats exceptionnels en 2012, l'action se rapproche d'ailleurs du niveau qui était le sien en août 2011. Preuve que la roue tourne ? Pas forcément.
Pas de réelles nouveautés, mais une forte croissance
Mais depuis le départ de Steve Jobs, que s'est-il passé concrètement ? Concernant les produits, Apple a lancé l'iPhone 4S, l'iPhone 5, les troisième et quatrième générations d'iPad ainsi que le premier iPad mini. Les Mac ont aussi eu le droit des évolutions, la plupart l'an dernier. Il ne s'agit toutefois pas de vraies nouvelles familles de produits. Même logique pour OS X, mis à jour en juillet dernier (Mountain Lion). Bref, depuis la disparition de Steve Jobs, Apple s'est contenté de se reposer sur ses produits actuels. Il serait toutefois difficile de le lui reprocher, ceci pour deux raisons principales.
Tout d'abord, aucune société au monde ne propose de réels nouveaux produits tous les six mois ou même tous les ans. Il n'y a bien que des actionnaires impatients pour demander des nouveautés tous les trois jours. Or le premier iPad ne datant que depuis 2010, il aurait été précipité de lancer autre produit l'an passé par exemple. Enfin, depuis le décès de Steve Jobs, Apple a tout fait pour faire croître ses ventes et garder de fortes parts de marché dans les secteurs où il était établi. Il suffit de comparer les chiffres de 2011 à ceux d'aujourd'hui pour se rendre compte que capitaliser sur les produits actuels était la meilleure stratégie à appliquer.
Entre le troisième trimestre 2011, dernière période où Steve Jobs a officié, et aujourd'hui, Apple a multiplié ses ventes d'iPhone et d'iPad, et stabilisé ses ventes de Mac dans un secteur des ordinateurs très difficile. Depuis ce troisième trimestre 2011, c'est-à-dire en 18 mois, la Pomme a ainsi vendu 210 millions d'iPhone et plus de 100 millions d'iPad, sans oublier les plus de 30 millions de Mac et plus de 60 millions d'iPod écoulés. Hormis du côté du baladeur numérique, il s'agit tout simplement du meilleur bilan pour Apple de son histoire.
Financièrement, la Pomme a d'ailleurs signé une année fiscale 2012 exceptionnelle avec 156,5 milliards de dollars de chiffre d'affaires et un bénéfice net de 41,66 milliards de dollars. Des résultats inégalés dans le secteur high-tech. À titre de comparaison, cela a représenté trois fois le chiffre d'affaires de Google pour l'année 2012, et quatre fois ses bénéfices. À lui seul, Apple a d'ailleurs réalisé les bénéfices nets cumulés de Google, IBM et Microsoft.
De ce point de vue, il est donc bien difficile d'affirmer que l'après Steve Jobs a été mal négocié par Tim Cook et ses employés. Bien sûr, nous ne parlons ici que de 18 mois, une période encore bien courte pour tirer de réelles conclusions. En octobre 2014, soit dans 18 autres mois, l'analyse sera probablement différente. Mais pour l'heure, le bilan de Tim Cook est excellent à tous points de vue. Pourquoi alors est-il si critiqué, au point d'être comparé à Steve Ballmer par le New York Times ? Plusieurs articles dans la presse américaine (ici et là) ont d'ailleurs tout fait pour défendre Tim Cook, expliquant pourquoi il devait rester à la tête d'Apple. Or on ne défend ou n'excuse pas quelqu'un qui n'est pas inquiété.
Reverser des dividendes, un bien pour un mal ?
La raison principale pour laquelle Tim Cook est critiqué ne concerne pas les ventes d'Apple, ni même ses résultats financiers ou les marges réalisées (malgré leurs baisses), mais bien l'action de la société et les dividendes reversés. Concernant ces dernières, c'est bien simple, aucun dollar n'a été reversé aux actionnaires durant de longues années. Apple profitait de sa croissance folle et surtout de sa capacité à faire rêver et donc à donner confiance pour tirer la valeur de son action vers le haut. Mais mi-mars 2012, la société annonça certainement l'évènement le plus important de l'après Steve Jobs : Apple mettra en place un programme de rachat d'actions et surtout, elle versera enfin des dividendes à ses actionnaires. Pour rappel, les derniers dividendes reversés par Apple dataient de l'an 2000, soit avant même la sortie du premier iPod.
Cette nouvelle majeure, à l'heure où l'action atteignait les 600 $ et valorisait donc Apple à plus de 560 milliards de dollars (première société au monde), était toutefois à double tranchant. D'un côté, cela récompensait enfin des actionnaires qui pour beaucoup détenaient des actions d'Apple depuis des années sans recevoir aucune contrepartie. De l'autre, une telle nouvelle, malgré son côté attendu et prévisible, impliquait un coup d'arrêt à la bulle Apple. En effet, une entreprise qui reverse peu voire pas du tout de dividendes est généralement une société en confiance, qui croit en son avenir et estime donc que ses investisseurs peuvent bien encore patienter. A contrario, et nous le voyons tous les jours, les entreprises stagnantes voire en régression n'hésitent pas à arroser leurs actionnaires très régulièrement afin de les forcer à garder leurs actions. Ce qui maintient plus ou moins artificiellement la valeur d'une action et donc d'une société.
À titre d'exemple, tout en restant dans le secteur high-tech et d'internet, Google ne reverse toujours pas de dividendes à ses actionnaires. Et son action est à son plus haut historique. Pourtant, les pressions pour que le géant du web reverse des dividendes se multiplient ces dernières années, d'autant plus que sa croissance ralentit. En 2009, le consultant américain Jeff Segal expliquait ainsi que « Google ferait mieux de se décider à verser des dividendes », ce qu'il n'a toujours pas fait quatre ans plus tard. Avant de rajouter : « dans le domaine des nouvelles technologies, les entreprises sont réticentes à franchir ce pas, car pour elles, ce serait reconnaître que leur marché est maintenant arrivé à maturité. » Une remarque qui rejoint ainsi la nôtre.
A contrario, Microsoft, dont l'action stagne voire régresse selon les périodes, reverse régulièrement des dividendes aux actionnaires. Mieux encore, le niveau de ces dividendes est très élevé par rapport à la moyenne du secteur. Et ces hausses de dividendes sont toutes arrivées depuis l'arrivée de Steve Ballmer à la tête de Microsoft. Cela explique ainsi pourquoi ce dernier est vivement critiqué, ces dividendes n'étant en réalité que l'arbre cachant une forêt d'incertitudes et de croissance molle.
Apple peut-il encore faire rêver ?
Tim Cook ne s'est toutefois pas contenté d'annoncer en mars 2012 la redistribution de 45 milliards de dollars entre 2012 et 2015 (dont 10 milliards de rachats d'actions). Il a aussi annoncé cette semaine une augmentation du dividende pour les actionnaires, et des rachats d'actions à hauteur de 60 milliards de dollars. En somme, en un peu plus d'un an, Apple a revu ses plans et dépensera finalement près de 100 milliards de dollars d'ici 2015. Là encore, la nouvelle est à double tranchant. Certes, pour les actionnaires, la nouvelle est bonne financièrement. Mais cela démontre surtout qu'Apple n'est plus capable de maintenir son action à des niveaux élevés sans utiliser ces stratagèmes. Ce n'est pas pour autant un aveu d'échec, car prévoir un tel plan sur plusieurs années démontre qu'Apple sera capable de générer beaucoup d'argent d'ici 2015, ce dont personne ne doute par ailleurs.
Mais faire de l'argent est-il suffisant ? Le monde de la bourse n'est pas des plus rationnels, il l'a maintes fois prouvé. Plus que le présent et même le futur proche, ce sont les perspectives à long terme et la capacité à faire rêver qui comptent pour de nombreux investisseurs. Quand un Google développe ses lunettes high-tech, ce n'est pas uniquement dans une perspective d'en écouler des millions d'unités à plus ou moins long terme. C'est aussi et surtout un moyen de faire rêver et d'alimenter l'imagination (certains diront illusion) de la population, et par conséquent des actionnaires. Mais Apple, lui, a-t-il les capacités de faire rêver comme au temps de Steve Jobs ? Là est toute la question.