Alors que la presse en ligne continue de se chercher un modèle économique, certains semblent avoir trouvé une nouvelle parade afin d'assurer la gratuité du contenu : le chantage par le partage, caché sous une couche de « Gamification ». Faudra-t-il désormais devenir un homme-sandwich pour s'informer ?
Le modèle de l'information gratuite sur internet semble arriver à bout de souffle, surtout lorsque celle-ci se veut de qualité plutôt que de miser sur le « buzz » ou l'« infotainement ». C'est d'ailleurs une problématique qui ne date pas du numérique. La presse papier a en effet longtemps assuré sa rentabilité non pas par les abonnements ou la publicité, mais via des sources tierces telles que les petites annonces ou les aides de l'état par exemple.
Le financement de la presse : une problématique de plus en plus complexe
Si ces dernières sont toujours d'actualité (bien que la presse en ligne n'ait pas droit à la TVA à 2,1 % pour les abonnements), les petites annonces ont été siphonnées par l'arrivée d'Internet, d'eBay et autres sites tels que Le bon coin. Les abonnements existent bien, mais ne sont pas (encore) dans les habitudes des internautes et la majorité des revenus doit se faire via des services complémentaires, des partenariats ou de la publicité.
Mais comme nous l'indiquions récemment, des outils comme Adblock limitent les choses sur ce dernier point. Bien que certains médias n'hésitent pas à en remettre une couche pour compenser, d'autres alternatives voient le jour pour assurer un chiffre d'affaires décent. L'une de celles que nous avons déjà évoquées est la fin de la séparation entre l'information et la publicité, qui prend diverses formes.
Deux approches vis-à-vis de la problématique des revenus publicitaires : laquelle est la bonne ?
Récemment, nos confrères des échos évoquaient le modèle choisi par Forbes pour se relancer. Une réussite en terme d'audience, le nouvel objectif unique de toute la profession ou presque. La recette ? Une centaine de journalistes licenciés, remplacés par des centaines de contributeurs. La paie ne se fait d'ailleurs pas au clic, mais à la fidélisation de l'internaute (voir ici pour le détail) afin de s'assurer un salaire qui peut aller jusqu'à six chiffres (deux seulement en 2012). 400 à 500 contenus sont ainsi générés par jour, avec une baisse de qualité générale, mais avec une amélioration sur les 10 % qui sont considérés comme les meilleurs, selon le responsable du site ancien de chez AOL, Lewis D'Vorkin.
Les portes sont aussi ouvertes à ceux qui ont des intérêts spécifiques dans des entreprises par exemple, mais sur la question du publi-reportage, la réponse est claire : « Franchement, pensez-vous qu'un journal qui relaie la voix des entreprises soit plus noble ? Chez "Forbes", au moins, tout est transparent : on sait dans quelle entreprise travaille l'auteur et on expose les éventuels conflits d'intérêts dès le premier paragraphe » rapportent nos confrères. Un point de vue que D'Vorkin détaillait récemment dans un billet mis en ligne sur Forbes.
La publicité se mêle au contenu, alors que les marques deviennent des éditeurs
Mais cela va plus loin puisque des contenus rédigés directement par les entreprises sont aussi publiés, dans une présentation identique à celle des articles mais via une rubrique spécifique : Brand Voice. Le lecteur adepte de la consommation rapide de l'information fera-t-il la différence ? Qu'importe, le résultat est là : 15 millions de visiteurs uniques par mois, ce qui semble profiter à la version papier, et un résultat net qui connaît son plus haut historique depuis 2006.
Brand Voice, le programme de contenu sponsorisé de Forbes
Le Washington Post via BrandConnect (voir cet exemple) ou encore le Huffington Post semblent d'ailleurs suivre la tendance. Aux USA, ils permettent ainsi aux marques de rédiger directement des contenus au sein de leurs pages. Des opérations spéciales qui ne touchent pas que nos confrères outre-Atlantique. Alors que l'on voit déjà dans les documents publicitaires de certains confrères français apparaître ces pratiques : les sections sponsorisées, infographies créées à la demande et autres mini-sites accompagnés d'un bouton publicitaire plus ou moins discret commencent à se multiplier. Et ensuite ?
Certaines agences ont d'ailleurs bien saisi la tendance : le but est ainsi de prendre une forme hybride, qui génère du contenu rédactionnel afin de pouvoir y apposer par la suite la communication d'éventuels clients. Si cette approche « d'accompagnement des marques » semble de plus en plus assumée par ceux qui misent plus sur les contenus divertissants que l'information avec un traitement de fond, la frontière est encore assez mince et pas toujours clairement affichée.
Si l'on peut accepter qu'une émission de divertissement serve de vecteur de promotion musical à travers son générique, ou que des humoristes deviennent les égéries d'un opérateur de télécommunication, qu'en est-il pour ceux qui décryptent au quotidien ce qui se passe dans la vie de leurs lecteurs ?
Car dès lors que l'information n'est plus un pouvoir ou un droit, mais un divertissement et que, pour la presse, informer n'est plus un devoir ou une responsabilité, mais un acte quotidien que l'on peut déléguer à de simples stagiaires, les choses ne peuvent avancer dans le bon sens.
Orange est partenaire du Festival de Cannes
Car cette tendance ne peut qu'aller plus loin. Que penser actuellement d'un site GeForce.com qui analyse les jeux des partenaires et les performances des produits de la société, d'un Republic of Gamers qui présente les dernières cartes mères haut de gamme d'ASUS ou même d'un Orange Live qui traite du monde de la culture et du numérique, et notamment de projets dont Orange est partenaire ? Les marques ont cet avantage sur la presse de disposer d'un budget conséquent pour ce qui n'est pour elles que de la communication. Mais quid de l'information ?
Pour assurer sa rentabilité : augmenter l'audience, quoi qu'il en coûte
L'autre solution pour assurer les revenus d'un site qui se finance par la publicité est de maximiser son audience. Une audience avide de nouvelles faciles à consommer et à digérer. Nous avons déjà évoqué les différentes solutions que certains utilisent pour multiplier le nombre de pages vues, un élément qui est une drogue pour les responsables de la publicité alors que c'est à la limite les visiteurs uniques qui devraient être le centre des préoccupations de chacun.
Certains semblent avoir trouvé une nouvelle pratique qui pourrait bien faire fureur chez ceux qui ont vu dans les « Social readers » l'avenir du journalisme : transformer les lecteurs en hommes sandwich à coup d'incitation au partage, sous peine de devoir payer pour lire le contenu. Une pratique un rien étrange qu'il est déjà prévu de noyer sous le terme de « Gamification », une tendance déjà exploitée par de nombreux services en ligne pour se faire connaître et fidéliser leur audience.
Après les Badges Foursquare : le badge du meilleur rabatteur de comptes Premium ?
Dans la pratique, qu'est-ce que cela pourrait donner ? C'est assez simple : les sites qui disposent d'un « Paywall » font souvent face au manque de volonté de l'internaute qui n'est pas habitué à payer pour lire un contenu, tout journalistique et intéressant soit-il. Dès lors, il faut trouver un moyen de lui donner un accès gratuit, mais pas sans contrepartie. Won Hee Chang, qui tente de relancer une version web du magazine Sasangge semble avoir trouvé la solution : attribuer des points aux lecteurs qui partagent un contenu sur les réseaux sociaux, ceux-ci permettant de lire gratuitement du contenu comme le rapportent nos confrères de Business Week.
Tu veux me lire ? Assure ma promo !
Tout le monde semble gagnant dans l'affaire : le lecteur qui ne débourse pas un centime, et le site qui voit la viralité de ses contenus démultipliée. Mais comme il semble inimaginable pour un magazine papier de demander à ses lecteurs d'aller rabattre les abonnements auprès de ses amis pour disposer d'un an de lecture gratuite, on se demande si un tel modèle pourra prouver son efficacité. D'autant que la problématique de la monétisation reste toujours posée : ces nouveaux lecteurs apporteront-ils les revenus suffisants au site qu'ils consultent ?
Quoi qu'il en soit, il sera intéressant de voir le résultat de cette expérience et de toutes celles qui pourront en découler au sein des différents médias qui font de plus en plus souvent face à la réalité du besoin d'être rentables. Ce sera dans tous les cas au lecteur de trancher : quelle information veut-il, quel financement lui convient-il ? Car au final, ce sera toujours à lui de payer la note, que ce soit en tant qu'abonné, que contribuable ou que consommateur.