Sommé de dire si le gouvernement allait suivre (ou non) la proposition de la commission Jospin qui souhaitait que l'horaire de fermeture des bureaux de vote soit fixé à 20 heures sur l'ensemble du territoire métropolitain, le ministre de l'Intérieur vient de botter en touche. Manuel Valls s'est en effet contenté d'affirmer que l'arsenal législatif était suffisant et que « l'interdiction de publier des sondages classiques la veille et le jour des scrutins a été parfaitement respectée » lors des dernières élections présidentielles.
Le 9 novembre 2012, Lionel Jospin remettait à François Hollande différentes propositions visant à moderniser le fonctionnement des institutions. Parmi ses préconisations (PDF), il en était une qui s’attachait à répondre à un phénomène dont on a beaucoup parlé lors des dernières élections : la diffusion anticipée des résultats électoraux, notamment sur Internet. Le président de la « Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique » prônait alors une harmonisation des horaires de fermeture des bureaux de vote en France métropolitaine. Pour l'ancien Premier ministre et son équipe, il faudrait que tous les citoyens finissent de voter à 20 heures, à la campagne comme à la ville.
Mais alors que d’autres propositions contenues dans ce rapport ont été depuis reprises plus ou moins partiellement par le gouvernement sous forme de projets de loi constitutionnelle, cette préconisation-là semble être passée à la trappe. Au travers d’une question écrite signée par la députée (UMP) Isabelle Le Callennec, le gouvernement était sommé d’indiquer quelles suites il pensait donner à la solution mise en avant par la commission Jospin. Le ministre de l’Intérieur y a justement répondu en fin de semaine dernière.
Pour le ministre de l'Intérieur, l’arsenal législatif est suffisant
En substance, Manuel Valls affirme que tout fonctionne à merveille. Le locataire de la Place Beauvau commence en effet par expliquer que la proposition de fermeture de tous les bureaux de vote à 20 heures « a pour objet d'éviter, face à la multiplication des moyens existants d'information, une diffusion prématurée de résultats partiels ou une estimation de résultats avant la fermeture des derniers bureaux de vote, susceptible de perturber le bon déroulement du scrutin ». Sauf qu’il estime ensuite que « des interdictions législatives sont néanmoins déjà prévues pour lutter contre ce risque ». Il brandit ainsi les dispositions de la loi du 19 juillet 1977, qui permettent de punir de 75 000 euros d’amende la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage, par quelque moyen que ce soit, la veille et le jour du scrutin. Il met également en avant l'article L52-2 du Code électoral, en vertu duquel « aucun résultat d'élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique, en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain », sous peine d’une amende de 3 750 euros.
Le ministre semble surtout écarter la proposition de la commission Jospin. « Grâce aux actions menées conjointement par la Commission des sondages et la Commission nationale de contrôle pour rappeler ces interdictions en vue de l'élection présidentielle de 2012, l'interdiction de publier des sondages classiques la veille et le jour des scrutins a été parfaitement respectée », assure Manuel Valls. Il poursuit : « De même, les organes de presse français, qu'il s'agisse de la presse écrite, des chaînes de radio ou de télévision, ont pleinement respecté l'interdiction de diffuser des résultats partiels ou des estimations de résultats avant la fermeture des derniers bureaux de vote en métropole le dimanche à 20 heures ».
Valls à contre-courant ?
Ce faisant, le ministère de l’Intérieur fait l’impasse sur les constatations de différents observateurs... Les rapporteurs de la commission Jospin ont ainsi fait valoir que « de nombreux sites Internet de médias étrangers, blogs ou réseaux sociaux diffusent, entre la fermeture des premiers bureaux de vote métropolitains à 18h et celle des derniers bureaux à 20h, des informations sur l’issue du scrutin ». Surtout, ils relevaient dans leurs conclusions que ces pratiques « ne pourront que se développer ».
Même la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale (CNCCE), à l’occasion de son bilan de l’élection présidentielle de 2012, reconnaissait en juillet dernier qu’une « très grande partie de la population française avait, avant la fermeture des derniers bureaux de vote, connaissance de l'issue du scrutin d'une façon ou d'une autre, que ce soit par la consultation de sondages publiés sur des sites étrangers, par la diffusion sur internet ou sur les réseaux sociaux d'estimations de résultats ou par le décryptage des signes divers indirectement envoyés par les médias audiovisuels ». L'institution indiquait d'ailleurs dans son rapport que « l'utilisation d'internet et des moyens de communication électronique rend illusoire la possibilité de conserver le secret sur ces estimations confidentielles et d'éviter leur diffusion ». La CNCCE précisait en outre qu'elle avait saisi procureur de la République de plusieurs cas de manquements constatés par ses soins...
Nous avons contacté l’Élysée et le ministère de l’Intérieur afin d’avoir des précisions quant aux projets de l’exécutif s'agissant de cette proposition, sans retour à l'heure où nous écrivons ces lignes.