Droit à l’oubli : la CNIL rêve d'un droit au déréférencement

Des filtres à particuliers dans un moteur

Imagine-t-on Jérôme Cahuzac exiger le nettoyage de Google pour se refaire une santé sociale et médiatique ? Dans le cadre de la réforme du droit des données personnelles en Europe, c’est pourtant un scénario qui n’est pas exotique. La CNIL milite en effet pour que soit institué un droit au déréférencement, une composante du droit à l’oubli.

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La réforme du règlement européen relatif à la protection des données personnelles est le siège de plusieurs préoccupations. Les grandes entreprises américaines exercent un puissant lobbying pour protéger leur pré carré. Les autorités des États membres font quant à elles valoir leur point de vue sur la problématique de la donnée personnelle, ce nouveau pétrole numérique, dans le nouveau cadre du numérique. L’exercice est périlleux puisqu’un fragile équilibre doit être trouvé par exemple entre l’innovation des acteurs du numérique et la protection des personnes. Obligation de transparence, consentement plus explicite au recueillement des données, portabilité des données (possibilité de récupérer des données personnelles dans un service en ligne), etc.

Un droit à la désindexation

Au sein de la CNIL, une question particulière obsède les esprits. C’est celle du droit à l’oubli. Le sujet est porté à Bruxelles par la Commission nationale de l'informatique et des libertés dans la jungle des milliers d’amendements qui fleurissent sur le chemin parlementaire du projet de règlement. Depuis plusieurs jours, nous avions entendu plusieurs « bruits », sans confirmation jusqu’alors sur ce sujet.

 

Finalement, Isabelle Falque Pierrotin, présidente de la CNIL, a exposé au détour d’une phrase sur France Info son souhait de voir instauré un droit à la désindexation comme composante du droit à l'oubli. « Un droit au déréférencement qui permettait au citoyen que ses données personnelles n’apparaissent plus dans les résultats des moteurs de recherche lorsque le droit à l’effacement a été reconnu pour le citoyen. » La CNIL va ainsi lancer une consultation publique pour recueillir l’avis de tous.

Quid de la transparence, de la presse, des historiens... ?

Cette question n’est pas anodine. Alors que le sujet de la transparence est aujourd’hui au cœur même des débats politiques, le droit à l’oubli viendra aussi imposer l’opacité dans les outils de requêtes. Surtout, le sujet va soulever des problèmes épineux.

 

Un exemple ? Les sites de presse ont des articles référencés par les Google et autres Bing ou Yahoo!. Si un personnage, qui a eu les honneurs de l’actualité à un moment donné, exerce son droit à l’oubli contre les moteurs, que faire ? Faut-il que l’ensemble des médias supprime son nom ? Ou que les sites de presse jouent avec le fichier Robots.txt pour interdire désormais le référencement des articles en cause ? Et que dire des blogs ? Ou des encyclopédies libres... ? 

 

Le personnage public aux multiples boulets pourra-t-il exiger le grand nettoyage des moteurs sous l’unique raison que ses données personnelles (son nom et son prénom) y soient mentionnées en clair ? Que devront faire les historiens, les archivistes, les chercheurs qui racontent les faits d’une période donnée de la vie politique ou économique ? Les thèses et autres travaux seront-ils interdits de référencement ?

Plusieurs fronts en faveur de la désindexation

Témoignage d'un mouvement d'ensemble, la CNIL n’est pas la seule à s’intéresser de près à la question du déréférencement ou du sous-référencement. Au sein du CSPLA, conseil juridique du ministère de la Culture, des travaux sont menés dans l’optique cette fois de la propriété littéraire et artistique. Dans les travaux en cours, le Conseil se demande par exemple s’il serait « raisonnable d’exiger une autorisation préalable au titre de référencement ». Ou encore « existe-t-il un droit à être référencé ? », voire s’il ne faudrait pas « imaginer des mécanismes de labellisation (référencement oui ou non / référencement prioritaire du répertoire licite ?) »

 

Le ministère de la Santé n’est pas en reste. Le décret dit Sunshine est attendu dans les prochaines semaines. Motivé par la transparence, il vient mettre en lumière les liens entre professionnels de la santé et l’industrie pharmaceutique. La loi du 29 décembre 2011 sur la sécurité du médicament et des produits de santé (dite loi Bertrand) tend en effet à lutter contre les conflits d’intérêts. Le décret d’application vise à organiser la diffusion de ces liens d’intérêts. Cependant, une des dispositions impose que les industriels prennent « les mesures techniques nécessaires pour assurer l’intégrité du site sur lequel elles rendent publiques [ces] informations (…), leur sécurité et leur protection contre l’indexation par des moteurs de recherche ».En clair, les cadeaux des labos seront diffusés sur Internet, mais interdits de référencement.

Le précédent devant la Cour de justice de l'Union européenne

Dans un arrêt du 9 novembre 2010, la Cour de Justice de l'Union européenne a déjà jugé que l’obligation de publication des noms des personnes physiques bénéficiaires d'une aide ainsi que des montants perçus était une mesure disproportionnée : « la publication sur un site Internet des données nominatives relatives aux bénéficiaires du FEAGA et du Feader et aux montants précis perçus par ceux-ci constitue, en raison du fait que ces données deviennent accessibles aux tiers, une atteinte au droit des bénéficiaires concernés au respect de leur vie privée, en général, et à la protection de leurs données à caractère personnel, en particulier. »

 

Seul détail, si le droit à l’oubli est un séduisant garant de la vie privée, jusqu'où peut il occulter la nécessaire transparence, le droit à l’information, la liberté d’entreprendre ou les questions de santé publiques ? Nous attendons plus de détail sur les positions de la CNIL, que nous avons contactée hier.

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