Le 4 mars, la Direction centrale du renseignement intérieur (ou DCRI) a réclamé d’urgence la suppression d’une entrée de Wikipedia francophone visant une installation militaire française. Problème, ces informations sont disponibles depuis des lustres sur l’encyclopédie libre. Surtout, privée d’explication, la Wikimedia Foundation ne voit pas en quoi ces renseignements sont couverts par le secret de la défense nationale. La DCRI a cependant fait pression à coup de menaces et d’intimidations pour récolter… un bel effet Streisand.
Sous les képis de la DCRI, on estime que cette entrée décrivant la Station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute contreviendrait aux dispositions de l’article 413-11 du Code Pénal. Avec lui, est puni de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende quiconque portera à la connaissance du public une information couverte par le secret de la défense nationale.
Problème, depuis les États-Unis, la Wikimedia Foundation considère que rien dans ces informations ne pose problème. Et pour cause, selon la WMF, jamais la DCRI n’a estimé utile d’expliquer les motivations de sa demande. Bref, dans un pays à la civilisation plus ou moins avancée, ce n’est pas parce que les autorités froncent des sourcils que l’intermédiaire doit censurer les contenus mis en ligne par un tiers contributeur.
Qu’à cela ne tienne. Ce jeudi 4 avril, la DCRI a convoqué dans ses locaux l’un des contributeurs bénévoles de Wikipedia « faisant partie des personnes ayant accès aux outils pour supprimer des pages sur l’encyclopédie », explique un communiqué de Wikimedia Francophone. Sauf que Rémi Mathis, ce bénévole et président de l'association Wikimedia, n’est pas l’auteur du contenu. Il a découvert l’origine du problème qu’une fois entre les murs de la DCRI. Menacé de garde à vue et de mise en examen, il a finalement obtempéré. Dans le même temps, il a prévenu les autres administrateurs du danger de la restauration de l’article. La trace de cette alerte est visible sur ce lien.
Évidemment, la méthode a suscité la colère de Wikimédia qui « ne comprend pas et n’admet pas que l’on utilise intimidation et méthodes expéditives contre un bénévole œuvrant pour un accès libre et gratuit à la connaissance pour le plus grand nombre. »
De l’autre côté de l’Atlantique, la Fondation dénonce elle aussi cette mesure. Michelle Paulson, membre du service juridique de la WMF se dit « sensible aux soucis de sécurité nationale, mais dans les cas où il n’y a pas de menace ‘’apparente‘’, mais juste une vague demande non justifiée de menace de sécurité nationale, nous avons besoin de plus d’information avant d’envisager de retirer du contenu - faire autrement serait autoriser la censure pour limiter la libre expression, ce qui serait un assaut direct sur les valeurs de la communauté Wikimedia. »
Sur le Net, la mesure étonne et détonne. « Quand on creuse un peu plus loin, on se rend compte que l'article existe depuis 2009, commente par exemple le blogueur Authueil. C'est seulement début 2013 que le contre-espionnage s'en inquiète. Mais le pire, c'est que l'article est en grande partie écrit grâce aux informations données dans un reportage télévisé, donc la vidéo est disponible ici. Toute l'information est donc largement publique et diffusée en de nombreux endroits. Pourquoi cibler spécifiquement Wikipédia et qui plus est, utiliser des méthodes de barbouzes ? Qui est responsable si toutes ces informations se sont retrouvées sur internet ? » On trouve d’ailleurs d’autres contenus très complets sur ces installations comme ce blog qui cite d’ailleurs aussi cette vidéo où on découvre un major, commandant de la station militaire.
Ce coup de ciseaux pour le moins surprenant de la DCRI a surtout enfanté d’un bel effet dont peuvent être fières nos autorités. L’article n’avait presque aucune visite ces derniers mois. Le document retiré a finalement été reposté et dans l’encyclopédie, il est désormais l’un des plus lus depuis ces dernières heures. La presse nationale et surtout internationale s'est emparée du sujet, qui a par exemple eu les honneurs de Slashdot. L’article a en outre été traduit dans différentes langues, en anglais et allemand notamment.
Le phénomène fait ricaner autour de la planète comme tout effet Streisand qui se respecte. Mais il fait beaucoup moins rire quand on en revient aux fondamentaux : voilà des responsables du renseignement accusés d'utiliser la menace et l’intimidation sur les tempes d’un bénévole. Qui brandissent un article du code pénal et la sacrosainte défense nationale, sans autre justification. Et qui parviennent ainsi à censurer l’expression d’un tiers contributeur dans le temple mondial du savoir commun.