Après les aveux, la poudrière de l’affaire Cahuzac vient relancer par contrecoup la question des liens entre les professionnels de la santé et l’industrie pharmaceutique. Une excellente occasion pour évoquer à nouveau les ombres du décret Sunshine qui tarde encore à être publié par le ministère de la Santé.
Dans Le Monde, notamment, on peut lire que « selon le parquet de Paris, un témoin interrogé dans le cadre de l'enquête préliminaire ouverte le 8 janvier avait déclaré que "les sommes versées sur ce supposé compte proviendraient de laboratoires ». D’après l’avocat de l’ex-ministre, cela ne concernerait qu’une partie des sommes, l’essentiel provenant de ses anciennes activités de chirurgien. L’enquête, lancée après les révélations de Mediapart, est en cours. Toujours présumé innocent, Jérôme Cahuzac a été mis en examen mardi pour « blanchiment de perception par un membre d'une profession médicale d'avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale. »
Le nécessaire besoin de transparence entre les professionnels de la santé et les laboratoires pharmaceutiques est une question sur le feu depuis bien longtemps. La loi du 29 décembre 2011 sur la sécurité du médicament et des produits de santé (dite loi Bertrand) a pour ambition de lutter contre les conflits d’intérêts. Problème, l’un de ses décrets d’application, dit Décret Sunshine par référence aux normes américaines, va à contre-courant de ce mouvement. Ce décret – qui n’a toujours pas été publié - vise à révéler les avantages consentis par les laboratoires aux professionnels de la santé. Seuls soucis, la version de travail de ce texte souffre déjà de défauts.
Obtenue en octobre 2012 par PC INpact, cette version est mitraillée de verrous et de seuils pour éviter que les liens d’intérêts ne soient révélés dès le premier euro versé. « Des mécanismes savants de cumuls, de tranches et de seuils ne permettront pas au public de connaître les sommes effectivement versées par les industriels aux professionnels de santé, ceci au nom d’une soi-disant simplification » regrettait à la même époque l’Ordre National des médecins. « En dépit des observations de la Cour des comptes, il n’est pas prévu de rendre obligatoire la transmission, par voie électronique, des dizaines de milliers de conventions entre médecins et industriels de la santé adressées à l’Ordre des médecins ». Autre chose, « Les rémunérations versées aux professionnels de santé en contrepartie des travaux effectués pour le compte des entreprises ne seront pas rendues publiques. La nature même de ces travaux ne sera pas connue, au nom du respect du secret des affaires qui l’emporte ici sur la protection de la santé publique. »
Ce n’est pas tout ! Même lorsque les laboratoires passeront au travers de ces seuils, conditions et autres filtres, il est même prévu d’interdire l’indexation de ces informations dans les moteurs de recherche. Lorsque les données seront diffusées, les entreprises du secteur devront en effet prendre « les mesures techniques nécessaires pour assurer l’intégrité du site sur lequel elles rendent publiques [ces] informations (…), leur sécurité et leur protection contre l’indexation par des moteurs de recherche » (extrait de la version 2012 du projet de décret).
En clair, les jolis cadeaux faits par les labos aux professionnels de la santé pourraient être diffusés dans une sous-sous-sous-sous page du site d’une vague filiale où un verrou (robots.txt) en empêchera l’indexation par Google, Bing et tout autre moteur normalement efficace. Par ricochet, c'est toute la réutilisation de ces informations qui est contrariée et ce alors que le mouvement Open Data trace aujourd'hui son sillage en France.
Selon l’avocat Sébastien Pradeau, avocat spécialisé en droit de la santé et membre du Think Tank « Loi Bertrand » - sponsorisée par des fabricants de solutions pour mettre en place ce suivi, la dernière version connue du décret changerait cependant de cap : le détail précis des avantages accordés par les industriels serait à terme publié sur un site de service public, indique-t-il dans une note récente. « Toutefois, prévient le juriste, en l’absence de calendrier quant à la mise en œuvre de ce site, et à titre transitoire, les publications pourraient intervenir sur le site internet de chaque industriel ou d’un groupe d’industriel. » Ce fameux décret Sunshine, après examen en Conseil d’État et par la CNIL, devait être publié à partir de ce mois d’avril, toujours selon le juriste. Mais contacté, il nous révèle que le nouveau calendrier serait fixé aux alentours du mois de juin. « Il sera aussi important d'avoir la circulaire sur l'application du décret et notamment les relations avec les associations des médecins. »
Et pour la non-indexation des moteurs ? Pour l'heure pas de nouvelle. Il faudra donc découvrir son sort dans le Journal Officiel, une fois le décret signé de la ministre de la Santé, Marisol Touraine.
Le projet de décret a déjà été remanié suite au scandale des pilules contraceptives de nouvelle génération. En attendant, « si le vrai décret Sunshine avait été publié à l’époque, nous confie aujourd'hui le Dr. Philippe Foucras, ancien président de l'association indépendante Formindep, les firmes auraient de fait publié ce qu’elles auraient versé à l’ex-ministre lorsqu’il était médecin ou conseil... »