Séisme dans le monde des navigateurs : Google vient d’annoncer qu’il arrêtait de se concentrer sur le moteur de rendu Webkit pour se focaliser sur un «fork » nommé Blink. Les ambitions de l’éditeur ne sont désormais plus compatibles avec les caractéristiques de Webkit et Opera a décidé de suivre le mouvement. Entre avantages, inconvénients et répercussions, analyse d’une situation complexe.
Webkit le bienheureux (ou presque)
Webkit est toujours présenté sous la forme d’un moteur de rendu open source, célèbre pour ses performances et pour le support des technologies du web. Webkit est à la base un fork initié par Apple du moteur de rendu KHTML, c’est-à-dire un projet parallèle utilisant ses bases. Conçu pour être léger, il est devenu ces dernières années omniprésent dans la sphère mobile. Plus récemment, Opera a annoncé son passage à Webkit, créant ainsi un pôle de trois éditeurs (avec Apple et Google) face à Internet Explorer, et isolant de fait Mozilla.
Alors que cette omniprésence est désormais pointée du doigt comme un vecteur potentiel d’affaiblissement de la richesse du web, l’organisation de Webkit représente également un obstacle dans certains cas. On compte environ une vingtaine de participants actifs, et il existe régulièrement des tensions autour de l’implémentation des standards et des fonctionnalités. La gouvernance du projet se fait également sur fond d’affrontements fréquents entre Apple et Google, le second étant devenu plus actif ces dernières années.
Blink : Google entame une procédure de divorce
L’annonce de Google est claire : l’éditeur ne veut plus participer au projet Webkit. Il prend donc littéralement ses affaires et quitte le domicile conjugal. Dans la pratique, la firme réalise en fait un fork, prend la base actuelle comme fondation d’un nouveau projet. Ce dernier, nommé Blink, sera dans un premier temps très proche de Webkit. Ce n’est qu’avec les mois puis les années que les changements se feront plus évidents.
Il est à noter que Google prend d’énormes pincettes dans son annonce. Le ton est à l’excuse, l'éditeur précisant que la « décision n’a pas été facile à prendre ». Il ne s’embarrasse pas non plus d’une foule de raisons puisqu’une seule est avancée : une différence fondamentale dans les approches sur les processus multiples. Chrome propose en effet de créer un processus différent par onglet pour isoler les contenus dans des espaces mémoire séparés. Webkit, depuis sa version 2, le propose également, mais sur une base différente. Pour Google, il était donc temps de se simplifier la vie.
Les conséquences pour Google
Quitter le projet Webkit et se concentrer sur Blink est donc essentiellement un moyen pour Google de faciliter son travail en vue de ses projets. Il ne faut pas oublier que Chrome, et donc son moteur de rendu, sont au coeur d’un système d’exploitation. De la même manière que Mozilla se sert de Gecko pour Firefox OS, il faut que Google puisse avancer en ayant les mains libres sur les améliorations, car elles auront toujours plus de conséquences avec le temps.
Premièrement, Blink va permettre assez rapidement un grand nettoyage dans le code. La participation à Webkit oblige par exemple la maintenance de huit systèmes différents de compilation du code, comme indiqué par le développeur Eric Seidel, qui travaille sur Chrome (et anciennement sur Safari). Avec Blink, Google pourra compiler son code comme il l’entend, et uniquement pour les plateformes qui l’intéressent. L’éditeur annonce d’ailleurs pouvoir supprimer 7000 fichiers, représentant en tout 4,5 millions de lignes de code.
Deuxièmement, les avancées opérées sur Blink resteront de la seule responsabilité de Google, de fait maître en sa demeure. Le nouveau projet est sous son unique gouvernance et les améliorations pourront donc se faire au rythme choisi et sans rendre de comptes à qui que ce soit. Un argument de poids quand on sait à quel point la concurrence entre les navigateurs s’est accentuée.
Les conséquences pour le web et la décision d’Opera
Lors du passage d’Opera à Webkit, les réactions ont été particulièrement intéressantes et on en trouvait alors essentiellement de deux types. D’une part, ceux qui se félicitaient d’une union grandissante autour d’un moteur de rendu capable de fédérer les développeurs et donc d’unifier le support des technologies du web. D’autre part, ceux qui regrettaient au contraire un appauvrissement de la concurrence et donc de la richesse du web, ainsi qu’une prévalence dangereuse de Webkit dans le développement web. Ces mêmes personnes craignaient, comme c’est le cas parfois dans le monde mobile, que Webkit dicte ses règles à l’avenir, remplaçant ainsi le rôle pédagogique et unificateur du W3C.
De ce point de vue, le « risque » est désormais écarté. La décision de Google est en effet suivie de celle d’Opera. L’éditeur a en effet confirmé à The Next Web que la prochaine mouture majeure du navigateur utiliserait Blink. Un choix logique puisque le passage à Webkit se fait déjà sur la base de Chromium, qui sert lui-même de fondation open source à Chrome. Conséquence : la grande famille Webkit perd son acteur principal ainsi qu’une autre figure emblématique.
Google est persuadé que la décision aura finalement un impact positif sur la concurrence et donc sur le rythme global des avancées des technologies du web. Évidemment, tout ne sera pas rose pour autant. Même si une partie des développeurs web sera heureuse que tous les oeufs ne se retrouvent plus dans le même panier, cela signifiera dans la pratique des tests plus nombreux pour vérifier la compatibilité des pages web avec les navigateurs. Google a toutefois précisé que les fonctionnalités de Webkit qui ne sont pas encore des standards au W3C pourront toujours être appelées avec le préfixe « -webkit ».
Et tout n’est encore réglé. Car si Google est un acteur majeur du web, il n’est pas le seul à avoir fait partie de Webkit. D’autres entreprises, avec un poids plus ou moins important, sont de la partie : Samsung, Nokia, Adobe, Amazon ou encore BlackBerry. Cela signifie que ces entreprises devront tôt ou tard faire le choix de rester dans le projet original et de continuer à y participer collectivement, ou de suivre Google et son nouveau moteur Blink. Au risque de devoir subir des décisions unilatérales de la part de Google.
Les conséquences seront probablement beaucoup plus nombreuses, et la situation devra se décanter dans les prochains mois pour en percevoir tous les détails de cette décision majeure. En attendant, les développeurs intéressés pourront se rendre sur la page officielle du projet.