Un hébergeur n’est pas tenu de rechercher proactivement si des contenus illicites sont sur ses serveurs. Cependant, un article du Code pénal destiné à sanctionner la revente illicite de billets de concert rappelle que ce principe est relatif. C'est ce qui vient d'être affirmé à la plateforme américaine Viagogo par le tribunal de commerce de Paris.
La plateforme de ventes de billets de concert Viagogo a une nouvelle fois été poursuivie par des producteurs de spectacles notamment des BB Brunes, de Christophe Maé, Iron Maiden, Muse, Rammstein ou encore Sigur Ros. Sur Viagogo quiconque peut vendre des billets de concert. Ce marché parallèle et ces spéculations n’ont jamais été aux goûts des producteurs qui s'arment avec d'une disposition piochée dans le Code pénal. Sous pression de la profession, l'article 313-6-2 a été en effet instauré par la loi du 12 mars 2012 sur l’organisation des manifestations sportives et culturelles.
Le texte sanctionne le fait (1) de vendre ou d’exposer à la vente, (2) des billets d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, (3) de manière habituelle, (4) sans l'autorisation du producteur ou de l'organisateur. Si les conditions sont vérifiées, un site peut être puni jusqu’à 15 000 € d'amende voire 30 000 € en cas de récidive.
Viagogo s’estimait non soumis à cet article, car abritée sous le régime des hébergeurs. Cette bourse en ligne « n’intervient ni dans la rédaction des annonces, ni dans la fixation du prix ». La société ne devient jamais propriétaire des billets et ne prodigue pas conseil. Elle est passive. Et justement, le régime de l’hébergement lui interdit d’être soumis « à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles [les sociétés d’hébergement] transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». .
L'hébergeur peut être condamné pour des annonces publiées par l'hébergé
Le tribunal de commerce de Paris, dans son ordonnance du 20 mars 2013 - une procédure d’urgence - ne va pas retenir l’argumentation. L'article du Code pénal prohibe le fait « d’exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d’accès ... à un spectacle vivant ». Il n’opère aucune distinction entre les moyens technologiques utilisés. De rédaction très générale, il peut s’appliquer à tous, même aux intermédiaires qui ont le statut d’hébergeur.
C’est donc une brèche importante : si un hébergeur n’a pas à surveiller les contenus stockés, il est malgré tout tenu de le faire en pratique via cet article. Le tribunal ajoutera d'ailleurs qu’« en organisant sur internet une bourse de vente de billets de spectacles, Viagogo expose en vue de la vente (...) [des] titres d’accès à des spectacles vivants, de manière habituelle ». Son activité tombe donc directement dans les filets de l’article L 313-6-2 du Code pénal. Et c’est toujours à Viagogo de se débrouiller pour vérifier si les auteurs des annonces sont autorisés par les organisateurs des spectacles. Le tribunal ne dit pas comment. Il se contente de dire que « Viagogo est la seule à connaître l’identité de son annonceur et donc à avoir la capacité à vérifier, ou à assurer qu’il est bien habilité à vendre les billets du spectacle qu’il propose ou qu’il ne le fait pas à titre habituel. »
1000 euros d'astreinte par annonce et par jour
La juridiction rappellera enfin qu’en application de l’article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Selon lui « l’existence de circuits de revente de billets, en l’absence de tout contrôle, peut facilement conduire à un certain nombre d’abus, dénoncés depuis longtemps par les associations de consommateurs ». Il évoque le risque de falsification des billets et surtout la spéculation et des prix qui flambent.
Finalement, le tribunal de commerce de Paris exigera de Viagogo le retrait de toutes les annonces dénoncées par les producteurs, « à moins que cette offre n’émane d’une personne autorisée », sous astreinte de 1000 € par jour de retard et par offre illicite constatée. La plateforme devra également verser 2000 euros pour les frais des demandeurs.
Quelques jours avant cette ordonnance Viagogo avait déjà été condamné au retrait de plusieurs annonces de vente de billet, cette fois devant le tribunal de commerce de Nanterre.