Le Sénat veut réguler Google par la théorie des infrastructures essentielles

Facebook également dans le viseur

Dans un rapport d’information intitulé « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? » signé Catherine Morin-Desailly, la commission des affaires européennes du Sénat propose différentes solutions pour corriger la domination des grands acteurs du numérique. L’une d’elles reposerait sur l’assimilation de leurs activités à des « infrastructures essentielles », une ancienne théorie qui permettrait de les contraindre à des obligations d'équité et de non-discrimination.


« Aujourd'hui, si elle décide enfin de canaliser la domination des grands acteurs du numérique, l'Union européenne ne dispose que de la panoplie d'outils prévue pour réguler la concurrence. Or leur rigidité et la lenteur de leur mise en oeuvre apparaissent en partie inadaptées à l'ère numérique ». C’est par ces propos que la commission des affaires européennes se penche sur les questions concurrentielles soulevées par les monstres du secteur. Elle racle au passage la faible précipitation des instances européennes pour purger ce différend né voilà deux ans et demi. « Google serait crédité d'une part de marché de 90 % sur la recherche en ligne dans l'Union européenne, et cette position dominante a été dénoncée comme abusive par plusieurs entreprises, qui se sont tournées vers la Commission européenne. C'est avec une lenteur coupable que la DG Concurrence a fini par le reconnaître, le marché s'étant rapidement structuré autour de ce quasi-monopole de Google sur la recherche en ligne »

 

La commission des affaires cite ainsi la vingtaine de plaintes qui visent les pratiques du géant américain. Agrégateurs et éditeurs d'information, services de cartographie et de référencement, des plateformes publicitaires et des sites de comparaison de prix, ou encore le secteur du voyage. La Commission européenne a déjà estimé que Google abusait d'une position dominante dans le marché de la recherche en ligne. Les causes - multiples - visent notamment l’abaissement « dans ses résultats de recherche [du] rang de services concurrents, qui se spécialisent dans la fourniture aux utilisateurs de certains types de contenu spécifiques tels que les comparateurs de prix (…) ainsi qu'en accordant à ses propres services de recherche verticaux (c'est-à-dire spécialisés dans un domaine précis comme les voyages ou les restaurants) un placement préférentiel, afin d'exclure les services concurrents. »

Un traitement trop long du dossier Google

La Commission européenne examine actuellement les engagements proposés en retour par Google. Selon les instances européennes, une solution négociée serait préférée à un long contentieux. Au Sénat, on préconise surtout un mécanisme accéléré pour le règlement de ces différends, en prenant soin de noter que l’affaire en question a débuté en 2010 et traine encore aujourd’hui. De même, il faudrait qu’un tiers indépendant vérifie les futurs engagements de Google. Catherine Morin-Desailly ne veut pas oublier par ailleurs le précédent Microsoft, sanctionné pour avoir violé ses engagements de 2009. « L’amende infligée à Microsoft, même si elle est élevée (561 millions d'euros), ne constitue-t-elle finalement pas le prix que Microsoft est prêt à payer pour avoir pu évincer la concurrence pendant de longs mois ? »

 

Morin Desailly cite également la plainte d’Icomp (Initiative for a Competitive Online Marketplace) – un collectif d’une cinquantaine d'entreprises de l’Internet et des médias pour ententes anticoncurrentielles. « Google aurait conclu des accords avec des fabricants d'ordinateurs pour garantir la compatibilité des fonctionnalités du moteur de recherche, voire une pré-installation de celui-ci dans la barre d'outils, ou encore pour qu'il soit programmé comme le moteur de recherche exclusif par défaut (comme dans Internet Explorer). Ce comportement s'étend désormais à la téléphonie mobile, où Google déploie largement son propre système d'exploitation mobile, Android, grâce à des accords d'exclusivité avec des fabricants d'appareils ou des développeurs de logiciels, et conclut des accords exclusifs aux termes desquels Google devient le moteur de recherche par défaut sur les mobiles (avec Apple notamment) ». Selon la commission du Sénat, la récente acquisition de Motorola Mobility par Google risque tout autant d’accélérer le processus en donnant à Google l’accès à de nombreux brevets pour imposer d'autres restrictions anticoncurrentielles.

 

Le collectif Icomp, qui compte Microsoft dans ses rangs, est visiblement excédé par ces difficultés et a ainsi exposé à la sénatrice que Redmond pourrait même se retirer du marché européen. C’est en tout cas ce que l’éditeur a signifié au commissaire à la concurrence.

La théorie des infrastructures essentielles

Outre l'accélération du traitement de ces litiges, Catherine Morin-Desailly préconise d’autres pistes pour juguler la domination des géants de l'internet. L'une vise à appliquer la théorie des infrastructures essentielles. Une notion qu'on retrouve déjà dans le tout récent rapport du Conseil national du numérique sur la neutralité du net. Cette théorie née aux États-Unis en 1890, a été reprise devant la Cour de justice des communautés européennes en matière de monopole historique et par l'ARCEP en France. « Cette notion (…) désigne une installation ou une infrastructure qui est indispensable pour assurer la liaison avec les clients et/ou permettre à des concurrents d'exercer leurs activités et qui ne peut être reproduite dans des conditions raisonnables (s'agissant du temps requis ou du coût). »

 

Ce régime pourrait ainsi être appliqué aux fournisseurs de contenus et d'application ayant acquis une position dominante dans l'économie numérique. « L'exercice de certaines activités économiques devient en effet impossible sans le recours à la facilité qu'ils représentent, ce qui peut notamment constituer un frein à l'innovation, mais aussi menacer le pluralisme. » Pour le cas du géant de la recherche, le traitement serait simple. Sur le papier en tout cas. « Ne pourrait-on juger à ce titre que l'accès à Google, moteur de recherche quasi monopolistique dans l'Union européenne et devenu porte d'entrée pour accéder aux données en ligne (comme l'a analysé le Conseil français de la Concurrence dans son avis d'octobre 2010)96(*), devrait être ouvert et offert dans des conditions justes et non discriminatoires aux entreprises pour lesquelles cet accès est incontournable ? »

 

Avec la notion de facilité (ou plutôt infrastructure) essentielle, il s'agirait d'imposer des obligations d'équité et de non-discrimination aux géants du net tout simplement « parce qu'ils ont acquis une position dominante durable et que certaines activités économiques deviennent impossibles sans recourir à eux. »

Facebook également dans le viseur

Concrètement, le rapport sénatorial envisage un contrôle préalable de l'algorithme du moteur de recherche de Google, en plus des procédures actuelles. Ce contrôle serait confié alors à la Commission européenne ou un organe ad hoc. « Ceci permettrait d'échapper à la multiplication des accords qu'un fournisseur comme Google conclut avec différentes entreprises dans plusieurs pays européens, conformément à ce qui s'apparente à une « tactique du salami ». Dans le cas récent du conflit entre Google et les éditeurs de presse français, la menace brandie par Google de déréférencer la presse est révélatrice du pouvoir de marché abusif dont jouit Google à l'égard de quelques éditeurs de contenus dont 60 millions d'euros, octroyés fin janvier 2013, ont finalement suffi à éteindre les revendications. »

 

Google n'est pas le seul ciblé par cette assimilation à des infrastructures essentielles. Facebook serait également dans le viseur « dans la mesure où il devient difficile de rejoindre un autre réseau social que celui-là dès lors qu'il compte un milliard d'utilisateurs. »

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