Nous étions hier au TGI de Paris pour une nouvelle audience de l’affaire Allostreaming, que nous suivons depuis ses débuts. Ce dossier qui approche de sa deuxième année vise à industrialiser des procédures de blocage et de filtrage des sites miroirs de sites une première fois bloqué par la justice. Une affaire qui intéresse de près la mission Lescure ainsi que la Hadopi.
La salle des pas perdus du TGI de Paris, le 28 mars 2013
L’affaire est ambitieuse puisqu’elle vise à faire reconnaitre par la justice la pleine efficacité d’un logiciel très particulier. Développé par l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle avec l’assistance de TMG, ce logiciel prétend repérer la réapparition des sites une première fois bloqués par la justice. Cette tourelle informatique alerte alors directement les FAI aux fins de nouveau blocage et les moteurs pour en supprimer le référencement. Le tout, et c’est le charme du dispositif, sans passer par la case juge. Les ayants droit de l’audiovisuel voudraient que la justice reconnaisse cette arme singulière et leur laisse donc le soin de régler ce nettoyage directement avec les FAI et les moteurs. Pour ce faire, ils activent un article voté avec la loi Hadopi, l'article 336-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Question préjudicielle de Yahoo!
Hier, nous étions en compagnie de tous les acteurs réunis dans le bureau de Magali Bouvier, première vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris. Il s’agissait spécialement d’examiner une question préjudicielle que Yahoo! aimerait voir soulevée. En substance, la société américaine considère qu’un moteur est sans lien avec le contenu qu’il indexe. Il ne peut donc mettre fin ou prévenir les atteintes aux droits au sens strict comme le voudraient les ayants droit. On le sait, les ayant droit actionnent le fameux article 336-2 qui les autorise à réclamer « toute mesure » de « toute personne ». Problème : dans le texte européen (article 8-3 de la directive sur le droit d’auteur), ces mêmes réclamations ne peuvent se faire que chez les « intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ». On voit ainsi que l’ « intermédiaire » technique européen est devenu tout le monde en France dans le 336-2.
Seulement, le sujet étant complexe, les ayants droit ont réclamé un report de cet examen, lequel a été accepté par Yahoo!. La question préjudicielle devrait finalement être examinée au printemps en même temps que l’audience au fond.
Google pousse à la médiation avec les ayants droit
Fait notable, l’avocate de Google Inc. et Google.fr a milité pour qu’une médiation soit de nouveau tentée dans ce dossier. « Mes clients ont toujours cru à une solution alternative [à ce jugement] » affirme Maître Alexandra Neri. Selon elle, des points de discorde persistent mais des pas ont été faits vers un rapprochement fructueux. « Pourquoi ne pas nous donner une chance d’essayer de rediscuter sur les points de discorde. Si on avait l’expertise d’un médiateur qui permettrait d’apaiser les passions (…) je pense que dans trois mois, on pourrait arriver à une solution. La nature de ce litige impose une solution alternative ». Selon Google, la décision rendue par le TGI sera nécessairement frappée d’appel, une action en cassation, voire une question préjudicielle. « Pourquoi ne pas faire preuve de pragmatisme et de bon sens ? ». Maître Soulie, l’avocat des ayants droit, acquiescera : « Les négociations peuvent reprendre à tout moment. »
Dans le passé déjà, les FAI s’étaient opposés à un trop large consensus dans ce dossier très épineux. « Nous sommes dans une affaire qui porte sur des règles d’ordre public, des libertés fondamentales ! » expliquait déjà SFR en octobre 2012. « Le procès-verbal de conciliation est une forme de contrat judiciaire » poursuivra Orange. « On ne peut contracter sur des droits fondamentaux (…) On ne peut pas se concilier sur des droits dont nous n’avons pas la libre disposition ». La juge Magali Bouvier avait déjà tenté de contourner ces craintes, invitant les acteurs à discuter non sur ce qui doit être décidé, mais sur ce qui peut être proposé, sur les modalités... Mais l’hypothèse d’une médiation avait été tout autant fraîchement accueillie par Orange : « un tiers n’a pas à nous expliquer quoi faire, c’est à vous, Mme la présidente, de le faire ».
Si Google prône une mesure de médiation alternative au jugement, l’avocat de SFR sera moins ambitieux à emprunter cette voie douce : « Les FAI ne peuvent pas implémenter de mesures de blocage sans décision judiciaire » martèlera l’avocat. « Par conséquent quelle que soit l’issue de la médiation, il faudra un jugement ». SFR listera ainsi les quatre divergences principales subsistant dans ce dossier : « le choix de la technique de blocage (IP ou DNS), la charge des coûts du blocage, le blocage des sites futurs - une question de principe qui ne peut ne aucun cas être résolue par l’intervention d’un quelconque médiateur ou conciliateur - et enfin la question de l’astreinte à laquelle on s’oppose. »
Le cadre d'Allostreaming dépasse largement la seule dimension judiciaire, celle d'un litige avec un dommage et une éventuelle sanction. Cette affaire est en réalité suivie de près par bon nombre d’acteurs et pourrait bien être l'un des plus importants dossiers en matière de propriété intellectuelle. La Hadopi n’a pas caché, dans un récent rapport, vouloir s’en inspirer dans la lutte contre les sites de streaming et de direct download. Elle propose ainsi de traquer elle-même la réapparition des miroirs des sites une première fois bloqués. Ce scénario est très exactement celui préconisé par les ayants droit du cinéma et de la musique devant la mission Lescure. Le code du logiciel TMG/Alpa étant finalisé, il n'y aurait plus qu'à mettre à jour techniquement le système d'information de la Rue du Texel pour doter la Hadopi de ce nouveau pouvoir financé sur fonds publics.