Pourquoi (et comment) on peut écouter des soldats russes être trollés en Ukraine

Allô ! Non, mais allô quoi !…
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Pourquoi (et comment) on peut écouter des soldats russes être trollés en Ukraine
Crédits : bobaa22/iStock/Thinkstock

Sur Twitter, nombreux s'étonnent que des spécialistes du renseignement d'origine sources ouvertes (OSINT) ont découvert que des militaires russes envoyés en Ukraine communiqueraient en clair en utilisant de simples talkies-walkies, et qu'il est possible de les écouter sur le web.

De nombreuses photos commencent en effet à circuler montrant des talkies-walkies récupérés dans les affaires de soldats morts ou prisonniers. D'autres expliquent où aller les écouter, et sur quelles fréquences.

« Les forces régulières russes communiquent en clair »

Dans un thread retweeté plus de 11 000 fois, @sbreakintl, le compte Twitter d'une entreprise britannique qui veut « démocratiser le renseignement géospatial », explique que « les renseignements acquis depuis le début de l'opération militaire russe sur l'Ukraine ont montré un immense manque de soutien logistique : pour la première fois dans l'histoire moderne des conflits, les forces régulières russes communiquent en clair, de façon telle que n'importe qui peut les écouter ».

Il explique en effet avoir collaboré avec des passionnés de radio amateur et des traducteurs, dans le monde entier, depuis la semaine passée, pour documenter les communications qu'ils parvenaient ainsi à écouter. Il raconte ainsi avoir pu entendre un soldat préparant une attaque d'artillerie sur une cible civile, mais également comment leurs communications ont été brouillées afin d'entraver leurs capacités de coordination.

Ils auraient également entendu des rapports faisant état de pertes, de soldats blessés, ainsi que des engueulades entre soldats. Au court d'un combat à l'ouest de Kyiv (Kiev, dans sa graphie russophone), ils ont aussi appris que 20 soldats morts et 300 blessés avaient été ramenés sur une base opérationnelle avancée de l'armée russe.

Ils en ont aussi entendu certains pleurer lors d'un combat près de Kharkiv, se plaindre de manquer d'essence, de cartes, ou encore réclamer un soutien aérien :

« Toutes les conversations ont montré un troublant manque de coordination entre les unités, allant même parfois jusqu'à se tirer dessus. Mais aussi, outre le simple fait qu'ils soient équipés de radios analogiques, un manque de soutien logistique.

À cause des communications non sécurisées, les fréquences ont été constamment brouillées par les civils, parfois au milieu des combats, rendant l'infanterie au sol incapable de fonctionner correctement et devant se replier. »

« Une communauté entière s'est créée autour de ces communications, scannant et enregistrant actuellement tout ce qui les intéresse », précise le thread, afin de « créer des heures d'enregistrements intenses de bavardages de l'armée russe, chacun démontrant une armée non préparée à une telle situation » :

« Nous mettrons bientôt autant d'enregistrements bruts que possible à la disposition des journalistes et des traducteurs, dans l'espoir de faire la lumière sur une situation historique où une armée régulière est traquée par des milliers d'individus. »

Radio-amateurs néerlandais, Bear Hunting et Anonymous

Cherchant à vérifier et recouper ces informations, nous avons pu remonter à la source des ces écoutes, ainsi qu'au Discord où ont été compilées ces écoutes radiophoniques que, par souci de confidentialité, nous préférons ne pas divulguer au vu de la guerre en cours.

Le 22 février, un passionné de radio amateur publie un mode d'emploi de la surveillance des ondes pendant le conflit ukrainien : « La radio est la façon dont les forces militaires communiquent sur le champ de bataille. Cela soulève la question suivante : les opérateurs de radio amateur et les auditeurs d'ondes courtes peuvent-ils être aux premières loges de l'agression russe en cours en Ukraine ? ».

Le 23 février, un décret officiel ukrainien interdit aux stations de radio amateur de fonctionner pendant 30 jours. 

24 février, @te3ej, qui se présente comme un vétéran de l'armée de l'air britannique et passionné par l'aviation et la radio HF, tweete avoir écouté un bombardier stratégique russe sur la page http://websdr.ewi.utwente.nl:8901/. Son compte Soundcloud est truffé, depuis des années, de tels enregistrements radio de communications militaires.

Cette page permet en effet d'écouter et contrôler un récepteur à ondes courtes situé au club radioamateur ETGD de l' Université de Twente, aux Pays-Bas. Plus de 1 500 personnes y sont connectées, partageant par chat et sur un « logbook » les fréquences et communications qu'ils ont pu y écouter.

Réagissant au tweet de @te3ej, un doctorant de l'école de guerre du King's College de Londres apporte son expertise sur les conclusions que l’on peut tirer de cette interception des communications du bombardier. Précisant évidemment que, si le message de @te3ej est vrai, « il s'agirait [pour les Russes, ndlr] de mener des frappes de missiles de croisière stratégique », pas de bombes nucléaires. 

Leurs messages, retweetés par plus de 1 200 personnes, sont notamment repris, commentés et amplifiés dans la foulée par plusieurs autres amateurs d'OSINT voulant documenter la guerre en cours, et autres passionnés de radio amateur et de guerre électronique.

Le 25, le lien vers la page web du club de radioamateur néerlandais est encore plus partagé, à mesure que l'invasion de l'Ukraine a commencé. Il est de plus associé à l'expression « Bear Net » (ou « Bear Hunting », en référence à la surveillance radio des réseaux de bombardiers stratégiques de l'armée de l'air russe), laissant supposer une possible frappe aérienne à venir.

Dans la foulée, un compte lié à Anonymous et fort de près de 230 000 followers partage un enregistrement sur Twitter, retweeté plusieurs milliers de fois, et dont la courte vidéo de démo totalise depuis 1,5 million de vues.

Puis, un internaute partage un second enregistrement où l'on voit, et entend, que le signal est brouillé par des messages antiguerre assimilant Poutine à Hitler, sur fond de « Scatman (Ski Ba Bop Ba Dop Bop) ».

L'afflux sur le site est tel qu'il dépasse le nombre d'utilisateurs autorisés, et fait planter le serveur. Se référant à Anonymous, certains appellent à brouiller les signaux, fournissant aussi des liens vers les fréquences utilisées par les bombardiers, ou prises en photo sur des papiers censés avoir été récupérés auprès de soldats russes.

Le 28, quelqu'un remarque ce qui ressemblerait à des communications émanant des troupes au sol, et demande si quelqu'un pourrait traduire les communications. Un autre souligne qu'il est donc possible d'entendre sur Internet des soldats russes paniqués communiquer de façon non sécurisée.

Depuis, le lien est partagé tant par des amateurs d'OSINT que par les nombreux utilisateurs de Twitter cherchant à se renseigner sur ce qui se passe en Ukraine. @te3ej, lui, en a depuis profité pour mettre en ligne l'enregistrement d'un canal militaire russe « trollé » avec des musiques des années 80, dont les génériques de James Bond, McGyver ou encore « Agadoo do do »...

 

S'il est possible que les communications interceptées puissent être de faux nez, on notera cela dit que l'équipe de volontaires sur Discord se répartit la charge pour les traduire et vérifier, et qu'il s'agit aussi d'experts en OSINT, précisément habitués à effectuer des fact-checks et à débusquer les infox.

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