Un an et demi après l’arrivée des premiers Mac M1, Microsoft a fini par proposer une version Apple Silicon de son OneDrive. Chez DropBox, c’est encore pire, seule une bêta étant disponible. Que s’est-il passé ? Une migration technique complexe, en partie liée à un changement imposé par Apple.
Pour de nombreux éditeurs, proposer une version compilée Apple Silicon n’a pas été un problème. Microsoft, très en retard sur OneDrive, a été une des premières grosses entreprises à fournir des applications adaptées, notamment Office. En l’espace de quelques mois beaucoup ont suivi et, à ce rythme, on pouvait presque penser que tout serait terminé en moins d’un an. Même World of Warcraft était prêt le jour J.
Au bout de quelques mois cependant, des îlots de « résistance » sont apparus, notamment autour des applications basées sur Electron. Et même après que ce dernier eut été disponible en version Apple Silicon, toutes n’ont pas suivi aussi rapidement. Spotify par exemple ne propose une version pour Mac M1 que depuis quelques mois, Discord en est encore aux tests sur sa branche Canary, Twitch ne donne pas de nouvelles…
On pensait au moins que les clients de synchronisation cloud n’auraient, eux, pas ces problèmes. Ils en ont, du moins certains d’entre eux. Si l’on fait le compte des plus connus, la version Apple Silicon de OneDrive vient tout juste de sortir et est incomplète, Dropbox travaille toujours sur sa bêta, Google Drive ne la propose que depuis quelques mois, et il n’y encore rien pour MEGAsync. NextCloud montre presque l’exemple avec une version finale sortie il y a trois mois.
Que s’est-il passé pour que les entreprises du cloud galèrent à ce point ?
La transition vers Apple Silicon n’est pas le seul problème
S’il ne fallait que compiler un client capable de synchroniser des données, on aurait certainement depuis longtemps des versions optimisées Apple Silicon. Cependant, OneDrive et Dropbox vont un peu plus loin et proposent des fonctions supplémentaires. L’une en particulier pose un problème : présenter de manière transparente aux utilisateurs des fichiers stockés en ligne, comme s’ils étaient présents sur la machine.
Nous avons largement abordé le sujet dans nos dossiers sur les solutions cloud. Il s’agit d’une technique permettant d’afficher un « placeholder », une icône donnant l’apparence que le fichier est là, sans que ses données soient réellement sur la machine. Elles ne sont récupérées que si le fichier doit être ouvert pour lecture ou modification.
Cette fonction, baptisée « Fichiers à la demande » chez Microsoft, permet entre autres d’économiser de la place sur le stockage local. Tous les clients autorisent bien sûr le rapatriement permanent de tout ou partie des données, par exemple en laissant dans le cloud un dossier rempli d’images lourdes, mais en téléchargeant un autre ne contenant que des documents.
Or, Microsoft et Dropbox utilisent tous deux certaines extensions du noyau de macOS pour réaliser ces opérations. Et si vous avez suivi l’évolution du système d’Apple, vous savez que la société cherche à s’en débarrasser pour passer par un mécanisme beaucoup plus sécurisé. En clair, l’une des fondations techniques de ces services ne sera plus disponible avec macOS Monterey 12.3, dont la sortie est maintenant imminente. Microsoft et Dropbox ne doivent donc pas seulement compiler une version Apple Silicon de leurs applications, mais les revoirs en profondeur pour ne serait-ce que proposer les mêmes fonctionnalités de base.
Les deux entreprises étaient au courant depuis un moment et ont donc lancé il y a des mois des préversions de clients optimisés Apple Silicon et tenant compte de cette modification. Il est fort probable qu’un chantier commun ait pris place avec Apple, averti des difficultés.
En janvier, Microsoft indiquait ainsi que macOS 12.2 serait la dernière version du système supportée par la version classique de OneDrive, et que la mise à jour 12.3 introduirait d’importants changements visant à mieux supporter les fichiers à la demande. On pouvait lire également que les volumes en HFS+ ne seraient plus supportés par ce nouveau client, APFS devenant obligatoire.
Un chemin de croix
Si vous avez jeté un œil aux commentaires sous l’annonce de Microsoft, vous avez pu voir une très longue liste de retours pleins de colère. Environ dix pages de messages d’incompréhension et de plaintes, notamment devant un très mauvais fonctionnement et une plus grosse consommation de ressources, là où – justement – la compilation vers Apple Silicon devait apporter une grande réactivité.
Microsoft semble avoir à ce point peiné pour passer par les nouvelles API de macOS qu’il en a oublié la moitié des fonctions au passage, tout en imposant les fichiers à la demande, sans autre réglage. Conséquence, de nombreuses personnes ont publié des messages salés pour faire comprendre à l’éditeur qu’elles ne pouvaient plus travailler :
« Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi forcez-vous les Fichiers à la demande chez vos clients, n’est-ce pas suffisant qu’ils soient activés par défaut ? Mes 70 Go de données OneDrive ne sont plus stockés localement. Je n'ai pas toujours de connexion internet. Vous me privez de mes fichiers. Il m'est également impossible d’effectuer des recherches dans l'intégralité des textes. Les fichiers à la demande sont également trop lents, attendre une seconde pour voir apparaitre le contenu des dossiers n'est pas acceptable. »
Il restait possible de faire un clic droit sur un fichier ou un dossier pour demander à OneDrive que le contenu soit toujours présent en local. Mais, là encore, la fonction ne donnait pas toujours le résultat escompté.
Le 24 février, l’éditeur a finalement indiqué qu’une importante mise à jour était disponible pour la préversion Apple Silicon de OneDrive. À son bord, le retour de la capacité de télécharger toutes ses données localement, la suppression de certaines icônes de statut qui fonctionnaient mal et plusieurs corrections de problèmes qui empêchaient Spotlight et Time Machine de fonctionner. Au vu de la liste, on s’étonne que l’éditeur ait pu lancer une version si élaguée.
File Provider, le framework Apple pour gérer les données dans le cloud
Une partie des problèmes rencontrés par certains clients de synchronisation vient de l’utilisation obligatoire de File Provider, qui force certains éléments à fonctionner différemment. Chez Microsoft, on explique par exemple que File Provider rend le mécanisme central des Fichiers à la demande plus fiable, d’où le choix d’imposer ce fonctionnement à tous.
Sur cette question de « fichiers pas réellement là », Dropbox a aussi des problèmes sérieux. La société travaille depuis un moment déjà sur une bêta de son client pour Apple Silicon avec, là encore, des difficultés sur le reste.
Dans une note technique parue fin janvier, elle avertissait qu’en cas de passage à macOS 12.2, « il se peut que vous ayez des difficultés à ouvrir les fichiers en ligne dans des applications tierces sur votre Mac. Pour contourner temporairement ce problème, vous pouvez ouvrir les fichiers en ligne directement dans le Finder ».
En clair, il faut passer par le Finder et soit double-cliquer sur un fichier pour provoquer son téléchargement et ainsi l’ouvrir, soit faire un clic droit et sélectionner « Rendre accessible hors ligne ». Ce qui, comme dans le cas de OneDrive, peut s’effectuer sur un fichier ou un dossier.
Mais là où le bât blesse dans le cas de Dropbox, c’est que le service fait justement tout dans sa nouvelle orientation pour se débarrasser de la dimension de « fichier ». À l’instar d’Apple, Dropbox tente de changer les habitudes avec de multiples partenariats pour que les utilisateurs ne voient plus que des documents depuis les applications, en évitant qu’ils aient à entrer dans le gestionnaire de fichiers.
Trop peu de préparation
Comme avec toute nouvelle plateforme, on se demande pourquoi rien n’a été prêt plus tôt. Microsoft a pourtant montré avec plusieurs de ses applications – et pas des moindres, comme Office et Visual Studio Code – qu’il était possible d’être sur la brèche et de pouvoir envoyer des versions optimisées à la sortie d’une nouvelle architecture ou quelques mois après.
Pourtant, en dépit d’une phase bêta et de kits de développement, certaines entreprises ne proposent aujourd’hui aucune application optimisée Apple Silicon, alors que tous les Mac lancés depuis 18 mois sont équipés d’une puce M1 ou de ses variantes Pro et Max. un délai anormalement long sur lequel personne ne s’explique.
Si l’on fait le point aujourd’hui sur les principaux clients de synchronisation, on a :
- Dropbox : une version bêta, avec mise à jour quotidienne
- OneDrive : une version finalisée depuis peu, mais pas encore disponible partout
- Google Drive : une version finalisée depuis la nouvelle application lancée fin octobre pour unifier les clients pour entreprises et grand public
- MEGAsync : l’entreprise disait il y a huit mois travailler sur le sujet, mais pas de nouvelles depuis
- NextCloud : version finalisée depuis que Qt propose une mouture Apple Silicon
- kDrive : rien encore
On espère que les problèmes seront résolus rapidement, car la sortie de macOS 12.3 risque de ne pas bien se passer pour tout le monde.