Des rapports qui devaient être livrés fin 2021, en vain. Des nominations toujours pas publiées au Journal officiel… La thématique de la redevance Copie privée est frappée par une succession de retards. Panorama de ces atermoiements.
« Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard le 31 décembre 2021, un rapport portant sur la rémunération pour copie privée ». Près de deux mois après ce terme, le document exigé par le législateur n’a toujours pas été publié, ni même bouclé, selon nos sources.
Ce rapport doit détailler « notamment l'évolution progressive de l’assiette de la redevance et de son barème depuis sa création », mais aussi analyser « sa dynamique, l'attribution effective de sa recette et les modalités de publication en libre accès de l'ensemble des données afférentes ».
Le même document doit en outre formuler « des propositions visant à améliorer la transparence et l'efficacité du fonctionnement de la commission [copie privée] et des pratiques de remboursement de ladite rémunération à destination des professionnels ».
Ce n’est pas tout puisque le Gouvernement devait également remettre au Parlement, toujours avant le 31 décembre 2021, « une étude des impacts économiques de la rémunération pour copie privée ».
Une étude réalisée « en particulier » sur les supports d'enregistrement d'occasion, et donc aussi sur les supports neufs. Selon sa pertinence, elle pourrait permettre de jauger les distorsions induites par la redevance sur ces marchés. En fonction des résultats, le rapport esquissera « des scénarii d'évolution possible de cette rémunération ».
Si les choses avancent lentement, quatre inspecteurs ont été missionnés pour l'occasion.
Les quatre inspecteurs au rapport
Selon nos informations, le premier rapport sera rédigé à 4 mains, par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires culturelles.
Toujours d'après nos sources, à l’Inspection générale des finances, le sujet est pris en charge par deux inspectrices : Oumnia Alaoui et l'économiste Anne Perrot. Au ministère de la Culture, la mission a été confiée à deux autres inspecteurs généraux, Isabelle Maréchal et Serge Kancel.
Ces deux derniers avaient déjà travaillé en commun pour « rédiger un code des usages et des bonnes pratiques de l’édition des œuvres musicales ». En 2018, Serge Kancel fut lui-même désigné référent « permanent et transversal pour les festivals ». Des festivals financés par les 25 % de la copie privée.
Alourdir l’empreinte culturelle sur un numérique verdoyant
Ces rapports attendus avaient été programmés suite à un amendement du député Éric Bothorel (LREM), adopté en mai 2021 à l’occasion des débats autour de la future loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique.
Une manière de compenser la révolution introduite par cette loi, par un amendement cette fois gouvernemental : l’extension de la redevance copie privée aux supports d’occasion, qu’ils soient reconditionnés ou non.
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La loi a finalement été publiée au Journal officiel le 16 novembre 2021, date qui expliquerait le retard dont souffrent les rapports programmés pour le 31 décembre dernier.
D'abord la charrue, puis les boeufs
Côté perception, la Commission copie privée a pour sa part su s'empresser de mettre la charrue bien avant les bœufs.
Cinq mois plus tôt, le 1er juin 2021, comme révélé dans nos colonnes, l’instance abritée par le ministère de la Culture adoptait déjà un barème spécifique pour frapper ces téléphones et tablettes remis sur le marché. Le barème publié au JORF est inférieur respectivement de 40 et 35 % à celui des produits neufs.
Pour la Rue de Valois, rien de choquant, bien au contraire : « la Commission copie privée a ainsi démontré sa capacité à assujettir les supports reconditionnés dans des conditions permettant le développement de la création, sans pour autant méconnaître d'autres enjeux, notamment écologiques ou économiques » s’était félicitée Roselyne Bachelot pas plus tard que le 14 septembre dernier.
La ministre de la Culture a justifié ce curieux calendrier (une disposition réglementaire précédant une loi) par le souci gouvernemental de « conforter » dans un texte législatif « la solution équilibrée à laquelle a abouti la Commission ».
Toujours pas de nomination en Commission copie privée
D’autres retards sont néanmoins à relever. Ils concernent cette fois la nomination des nouveaux membres de la Commission copie privée.
Le 6 novembre 2021, Thomas Andrieu a remplacé Jean Musitelli à la présidence de l’instance, cependant l’arrêté de nomination des membres des trois collèges (culture 12 sièges, consommateurs 6 sièges, industriels 6 sièges) n’a toujours pas été pris.
Résultat l’instance comate et ne peut poursuivre les travaux sur la rampe. Et quels travaux ! Les ayants droit, qui sont en position de force au sein de cette commission, espèrent toujours l’assujettissement des disques durs nus, ordinateurs et autres PC portables. Une étude d’usage a même été bouclée par l’institut CSA.
Autre sujet sur le grill, la question du time shifting. Copie France a en effet décidé d’attaquer Orange pour cette fonctionnalité que les bénéficiaires des flux considèrent comme relevant du champ de perception.
Sans commission, impossible d'extraire le moindre barème spécifique ou adopter pourquoi pas une décision interprétative, d’autant qu’à l’approche du grand rendez-vous électoral, l'assujetissement de ces nouveaux univers pourrait être bien mal vu.
Quid des reconditionneurs ?
Du côté des supports reconditionnés, Copie France avait assigné en 2020 une dizaine de sociétés pour contraindre chacune d’elles à déclarer les produits remis sur le marché, pour ensuite réclamer le paiement de la dîme culturelle. Le tout, avec rétroactivité de cinq ans.
L’organisme collecteur de la redevance pour les ayants droit a donc subitement renversé sa doctrine interne qui estimait jusqu’à la réforme de 2021 que ces biens étaient hors champ.
Selon nos informations, plusieurs contentieux ont été radiés durant l’été, faute de dépôt de conclusions de Copie France. Cependant, des entreprises nous indiquent que les ayants droit les ont réassignées… tout en augmentant les montants réclamés.
Pour les reconditionneurs et autres spécialistes de l’occasion, c’est donc la soupe à la grimace d’autant que les promesses venues de l’Élysée, sous forme d’aides d’Etat notamment, patinent.
Le jour venu, côté contribuable, il faudra s'armer d'une pédagogie fine pour justifier le versement de ces aides publiques afin de compenser le paiement d’une redevance perçue par les industries culturelles frappant des supports d’occasion ayant déjà subi un tel assujettissement.