Défense, cybersécurité et espace : le triptyque de la Commission européenne

Vivement une série sur le space Command
Tech 9 min
Défense, cybersécurité et espace : le triptyque de la Commission européenne
Crédits : koto_feja/iStock

L’Europe doit investir massivement et rapidement dans la défense, la cybersécurité et l’espace. Trois domaines intimement liés avec des enjeux considérables pour l’avenir. La Commission européenne dévoile son programme et annonce le lancement d’un projet de constellation à basse altitude, concurrent de SpaceX.

Dans la suite du discours de septembre 2021 de la présidente Ursula von der Leyen sur l’État de l’Union, la Commission européenne fait plusieurs annonces dans le contexte de « la boussole stratégique » pour la sécurité et la défense. L’idée est donc de « faire face aux menaces actuelles et futures ».

L’année dernière, elle rappelait que les menaces « cyber » au sens large du terme évoluaient rapidement : « des attaques hybrides ou cyberattaques à l'intensification de la course aux armements dans l'espace ». Aujourd’hui ce constat est plus que jamais d’actualité.

Cybersécurité et espace : les amants maudits

Thierry Breton (commissaire européen chargé du marché intérieur, de la politique industrielle, du tourisme, du numérique, de l'audiovisuel, de la défense et de l'espace) tenait hier une conférence de presse sur deux enjeux stratégiques étroitement liés : l’espace et la défense, et le lancement d'un système de connectivité spatiale sécurisée (voir le dossier).

« De nombreux évènements récents ont confirmé qu'il est essentiel que l'Europe investisse de manière substantielle et urgente dans la défense, la cybersécurité et l'espace ». Comme avec le Chip act, les annonces se multiplient ces derniers temps avec à la clé des annonces concrètes. Le commissaire précise ainsi les trois priorités de la Commission européenne.

Défense : la Commission veut plus d’achats groupés

Premièrement, il faut « renforcer le développement et l'achat en commun de capacités de défense ». Cela passera par le Fonds Européen de Défense (FED), « un véritable outil du financement capacitaire européen », précise le commissaire. Ce fonds s’étale sur plusieurs années – 2021 à 2027 – avec 8 milliards d’euros, dont « 1,9 milliard d’euros investis, d’ici la fin de 2022, dans des projets de recherche et de développement des capacités en matière de défense ».

« Aujourd'hui, seul 11 % de la dépense publique en défense se fait en commun, bien loin de l'objectif de 35 % affiché par les États membres. Ce sera l'un des objectifs du Fonds de défense », explique Thierry Breton. La Commission prévoit plusieurs « carottes » pour appâter les États membres : « exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) d’ici le début 2023 », « nouvelles solutions de financement d’ici la mi-2023 » et réviser « éventuellement les mécanismes de bonus du Fonds européen de la défense ».

Un rapport sur les dépendances stratégiques… mais classifié

Deuxième priorité : « réduire les dépendances stratégiques notamment technologiques », un axe dans la lignée du Chip Act que vient de dévoiler la Commission. « Nous allons élaborer, avec les États membres, un rapport biannuel classifié sur l'état de nos dépendances stratégiques et, comme nous le faisons pour la défense, un plan capacitaire pour la sécurité ».

Enfin, la troisième partie consiste à mieux protéger les espaces contestés : « C'est un domaine nouveau, et l'Union européenne est seule face à ces menaces. De nouveaux espaces de conflits émergent : le cyber, les menaces hybrides et l'espace. C'est justement là où notre action au niveau de la Commission et de l'Union a le plus de valeur ajoutée, inclus sur des éléments très opérationnels sur lesquels l'OTAN n'est pas ou peu présente ».

Vers un Frontex du cyberespace

Sur la question du cyber, Thierry Breton explique que « l'Europe n'est aujourd'hui pas organisée pour faire face à des attaques d'ampleur ». En effet, comme le rappelle à juste titre l’adage, la solidité d’une chaine dépend de son maillon le plus faible. Dans le cas présent, « l'Union est aussi forte que son maillon le plus faible ». Plusieurs travaux sont en cours, notamment une « v2 » de la directive NIS (Directive Network and Information Security).

La commission veut aller plus loin, notamment sur les produits avec le Cyber Resilience Act, ainsi que sur les infrastructures avec des centres d'opérations de cybersécurité (SOCs, Security Operation Centres). « Ce seront nos gardes-frontières virtuels, en quelque sorte le Frontex  [Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, ndlr] du cyberespace ».

Afin de renforcer la cybersécurité et la cyberdéfense, la Commission « demandera aux organisations européennes de normalisation d'élaborer des normes harmonisées en matière de cybersécurité et de respect de la vie privée ». Thierry Breton est persuadé que « les États-Membres sont désormais prêts à aller plus loin ensemble pour être plus efficaces, moins dispersés et plus coordonnés ». Face aux continents américain et asiatique, l’Europe doit en effet jouer la carte de l’union.

Space command et Traffic management en Europe

Concernant l'espace, la Commission veut généraliser la dimension de défense dans les infrastructures, avec le « Dual by design » pour les nouveaux projets ; c’est-à-dire qu’ils intègrent à la fois une composante civile et militaire. C’est notamment le cas de la constellation de positionnements par satellites Galileo. À moyen terme, le but est d'atteindre une capacité de « connaissance commune de la menace » voire un « space command ».

Thierry Breton en profite pour faire une petite digression sur le Space Traffic Management (ou gestion du trafic spatial) de l’Europe : « L'espace est de plus en plus contesté, mais il est aussi de plus en plus congestionné. Les places sur les orbites sont de plus en plus compliquées à réserver et les fréquences deviennent rares. Et les débris se multiplient ».

Les débris augmentent le risque de collision et donc les dangers potentiels pour les satellites, y compris évidemment les satellites militaires de surveillance et/ou de renseignement ; Galileo et Copernicus sont évidemment concernés. La situation ne va pas s’améliorer : « On va lancer plus de 20 000 satellites dans les dix années qui viennent, avec les risques de débris que cela implique ».

La gestion du trafic spatial repose pour le moment sur dix actions à mener entre 2022 et 2024. « La première action consiste à mettre en place, au cours des quatre prochains mois, un processus de consultation avec toutes les parties prenantes concernées, afin d'évaluer les besoins ainsi que les effets de la GTS sur les différents domaines d'action de l'Union », précise la Commission dans sa foire aux questions.

Constellation en orbite basse : l’Europe entre « dans la course »…

Malgré cet encombrement de l’espace, notamment sur les orbites basses, l’Europe va lancer sa propre constellation « sécurisée », à l’image de Starlink de SpaceX, Kuiper d’Amazon, Lightspeed de Telesat, ainsi que OneWeb du Royaume-Uni et de l’indien Bharti Global : « Nous entrons aujourd'hui dans la course aux constellations à orbites basses », lâche Thierry Breton. 

Ce projet dessert quatre objectifs. La connectivité bien évidemment, puisque « seuls 56 % des ménages de l'UE ont un accès à haut débit et il existe encore trop de zones mortes ». Contrairement aux satellites géostationnaires, les constellations basses permettent d’avoir une latence de l‘ordre de plusieurs dizaines de ms, contre des centaines.

La résilience avec un plan B « pour que l'Europe reste connectée quoi qu'il arrive ». La sécurité est le troisième point : « Nous voulons construire une infrastructure ultra sécurisée avec chiffrement quantique. Nous devons projeter l'Europe dans l'ère du chiffrement quantique ; c'est la souveraineté technologique de demain. Nous allons accélérer la maitrise de ces technologies ».

Cette constellation « contribuera à la protection des infrastructures critiques, à la surveillance, aux actions extérieures, à la gestion des crises et aux applications qui sont essentielles pour l'économie, la sécurité et la défense des États membres ». Rappelons que la guerre dans l’espace – froide pour le moment – a déjà débuté depuis plusieurs années.

Le dernier point est géostratégique : « Nous pourrons fournir de la connectivité à toute l'Afrique. C'est un formidable accélérateur de développement économique pour ce continent ».

… avec un budget de 6 milliards d’euros, dont 2,4 milliards de l’Union

Le coût total de ce projet est estimé à 6 milliards d'euros. Le financement proviendra de différentes sources du secteur public (budget de l'Union, contributions des États membres et de l'ESA) et d'investissements du privé ; un partenariat public-privé est pour le moment l’option privilégié.

La contribution de l’Union au programme est de 2,4 milliards d'euros à prix courants entre 2022 et 2027. La Commission ajoute que « le développement d'une nouvelle infrastructure apporterait une valeur ajoutée brute comprise entre 17 et 24 milliards d'euros, et créerait des emplois dans l'industrie spatiale de l'Union ».

Le calendrier est ambitieux : le développement et le déploiement initiaux des services pourraient commencer à partir de l’année prochaine. La fourniture des premiers services et les essais en orbite de la cryptographie quantique sont attendus d'ici à 2025, « de sorte que le déploiement complet du système et de sa cryptographie quantique intégrée permettrait la fourniture des services complets d'ici à 2028 », précise la Commission dans sa FAQ sur la connectivité sécurisée.

L’Europe veut être indépendante et la Commission le rappelle haut et fort : « toute dépendance critique à l'égard d'infrastructures de télécommunications par satellite non européennes nuirait à l'intégrité, à la résilience et à la durabilité des opérations de l'Union ». Néanmoins, « la participation au programme pourrait être ouverte à des pays tiers ou à une organisation internationale sur la base de la conclusion d'un accord international ».

Il faut maintenant passer des paroles aux actes… ce qui est n’est pas toujours facile. Dans le domaine de l’espace, l’Europe multiplie à la fois les succès avec des missions d’exploration et des lancements aux petits oignons d’Ariane 5, mais aussi des retards importants sur la mise en route d’Ariane 6, de Vega-C et sur les travaux concernant un lanceur réutilisable.

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