Après l’Assemblée nationale, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à forcer l’installation d’un contrôle parental sur tous les écrans connectés en France. Dans la dernière version, seuls les PC nus achetés par les professionnels seraient exclus du champ d’application.
« S’il faut protéger les enfants dans leur vie réelle, il faut aussi les protéger dans leur vie numérique ». La porte ouverte a été enfoncée hier par Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles, lors de la discussion générale au Sénat.
Cette proposition de loi qui fut travaillée et déposée initialement par le député Bruno Studer (LREM), président de la commission des affaires culturelles, vient donc d’être adoptée par le Sénat. « Ce texte est court, mais son impact sera, je l'espère, important » a commenté Cédric O.
Dans son économie générale, il oblige les fabricants à installer un logiciel de contrôle parental sur l’ensemble des écrans connectés. L’activation de ce dispositif, « aisément accessible et compréhensible », sera proposée aux utilisateurs « lors de la première mise en service de l’équipement ».
Dans les coulisses, cette installation fera l’objet d’une certification, contrôlée par les autres maillons commerciaux, dont les importateurs et les distributeurs. Un PC ou un téléphone qui n’embarquerait pas cette solution pourrait ainsi être retiré du marché sur décision de l’Agence nationale des fréquences (ANFR).
Si aujourd’hui bon nombre d’écrans connectés disposent déjà d’une solution de contrôle, la proposition de loi pourrait ne pas s’en satisfaire. Elle renvoie en effet à un décret le soin de définir les caractéristiques que devront embarquer ces solutions, pour autant qu’elles permettent de restreindre l’accès aux « services et contenus susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ». De fait, un champ particulièrement vaste.
Derrière la simplicité apparente de cette proposition, au Sénat, plusieurs amendements ont mis le doigt sur d’importantes difficultés.
Naturisme sénatorial : exemption des PC professionnels sans OS
Et pour cause… Une série d’amendements identiques (là ou là) a pointé le risque d’une interdiction de la vente de matériel informatique sans système d’exploitation (ou ordinateurs « nus »).
En effet, l’obligation d’installer un contrôle parental pèsera sur les fabricants « d’équipements terminaux destinés à l’utilisation de services de communication au public en ligne donnant accès à des services et contenus susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ».
Or, comment installer un tel contrôle parental sur une machine destinée à être connectée à Internet, mais vendue sans OS ? N’y a-t-il pas un risque d’interdire ce commerce, faute pour ces fabricants de pouvoir répondre à cette future loi ?
Face à l’incertitude, le sénateur du groupe écologiste Thomas Dossus comme la sénatrice Amel Gacquerre (Union centriste) ont souhaité lever les doutes. Techniquement, leurs amendements, inspirés des travaux de l’association April de défense et de promotion des logiciels libres, se contentaient de préciser que l’obligation de fournir un logiciel de contrôle parental ne concernerait que les ordinateurs équipés d’un système d’exploitation.
« Ces amendements me semblent satisfaits car les équipements nus n'entrent pas dans le champ du texte » a considéré Cédric O, lors des débats. Le secrétaire d’État au numérique a donc dénoncé l'inutilité de ces rustines. Et donc que la proposition de loi ne concernerait que les ordinateurs et autres équipements commercialisés avec un OS.
Las, le Sénat aurait pu se contenter de ces explications qui sécurisaient (un peu) la proposition de loi. Mais il a adopté l’amendement déposé en dernière minute par la sénatrice LR Sylviane Noël, rapporteure de la proposition de loi.

Problème, sa rustine législative est mauvaise. Et même très mauvaise. Elle prévient que l’obligation d’installer un logiciel de contrôle parental « ne s’applique pas aux équipements terminaux à usage professionnel mis sur le marché sans être équipés de systèmes d’exploitation ».
Protéger les seuls professionnels aguerris
Dans l’exposé des motifs de son amendement, l’élue LR assure que « la vente d’équipements terminaux et de matériel informatique "nus" demeure très minoritaire, s’adressant à des professionnels du secteur et à des entreprises spécialisées ».
Néanmoins, elle juge « indispensable d’éviter tout effet de bord indésiré auprès d’un public qui n’est pas concerné par le dispositif envisagé, qui vise le grand public, les particuliers, les familles et les parents ».
Cédric O s’est cette fois contenté d’émettre un avis de « sagesse », soit un avis qui laisse les débats se poursuivre, sans exposer la position gouvernementale.
« Il faut éviter tout malentendu s'agissant des terminaux dits nus destinés à des professionnels aguerris. Ceux-ci doivent être exclus du texte » a insisté la rapporteure.
Toutefois… L’adoption de ce funeste amendement 10 risque bien de brouiller l’équilibre du texte. Explications : Ou bien cette précision est inutile puisque, de l’avis de Cédric O, ordinateurs et autres terminaux nus sont hors champ, et a fortiori quand bien même sont-ils « à usage professionnel ». Ou bien, cette précision remet a contrario dans le champ de la future loi les terminaux les PC et équipements nus achetés par des particuliers outre ceux équipés d’OS achetés par des pros.
Pas d’option légale de désinstallation
Le Sénat a également rejeté l’amendement qui visait à proposer non seulement l’activation, mais également la désinstallation du logiciel de contrôle parental. Une idée née du constat que tous les foyers français n’ont pas forcément un enfant mineur.
La rapporteure aguerrie s’est fendue de ce commentaire pour émettre un avis défavorable : « Il n'y a pas de difficulté pour désactiver le dispositif de contrôle parental ». Elle a donc confondu désactivation et désinstallation, et refuse que la désinstallation soit légalement proposée dans la fenêtre principale par exemple à un célibataire sans enfant, ou à un professionnel.
Certes, un de ses amendements adoptés prévient que « l’activation, l’utilisation et, le cas échéant, la désinstallation de ce dispositif sont permises sans surcoût pour l’utilisateur », mais l'usage de l'expression « le cas échéant » indique que cette désinstallation reste une simple option. C'est uniquement la consécration de « la possibilité de désinstaller le dispositif de contrôle parental lorsque cela est possible », comme le résume difficilement le Sénat.
L’exploitation des données personnelles des parents sera possible
Tout aussi rejeté, l’amendement qui souhaitait étendre l’interdiction d’exploiter les données à caractère personnel même aux majeurs.
L’idée avait été portée par le sénateur Thomas Dossus, qui s’en est expliqué lors des débats : « le Sénat a raison de poser des limites à la collecte des données personnelles, dont les GAFAM font leur miel. Mais pourquoi se limiter aux données des mineurs ? En effet, à l'installation d'un logiciel, il est souvent demandé de renseigner des informations personnelles qui ne doivent pas faire l'objet d'une commercialisation ou d'une utilisation non désirée. Le contrôle parental ne doit pas être le cheval de Troie des GAFAM ».
Opposition frontale de la rapporteure, soutenue par Cédric O : le texte engage « une protection spécifique des mineurs, qui n'ont pas la même capacité que les adultes à consentir à l'utilisation de leurs données personnelles. C'est une recommandation de la CNIL, et cohérent avec ce qui existe pour les plateformes de partage de vidéos ».
Ainsi, les éditeurs pourront exploiter les données à caractère personnel des parents consentants lors de l’utilisation de ces logiciels de contrôle parental. Un nouveau marché juteux qui permettra aux régies publicitaires de deviner sans difficulté qu'il y a au moins un enfant dans tel ou tel foyer.