Le CEA tenait cette semaine une conférence de presse pour faire le point sur ses avancées en matière de batterie. Choix des matériaux, coûts, production de masse, capacité, puissance ou encore recyclage, tous les aspects ont été passés au crible. Des évolutions notables sont prévues tout le long de la décennie à venir.
On est loin aujourd’hui de l’époque où les piles et batteries étaient surtout utilisés pour de petits appareils électriques ou électroniques comme les lampes torches. Elles sont maintenant partout, à commencer par les smartphones. Et la demande à venir sur les véhicules électriques et les objets connectés ne peut que maximiser celle des batteries.
Le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) travaille sur ce sujet depuis 20 ans. Il a tenu cette semaine une conférence de presse pour dresser un court bilan sur l’état des recherches et les pistes de développement. Surtout, il tenait à montrer une approche globale sur le sujet, comprendre une réflexion sur l’intégralité du cycle de vie, et pas uniquement sur des questions de puissance ou de capacité.
La stratégie globale du CEA
Hélène Burlet, experte batterie à la direction scientifique du CEA, a ainsi expliqué que cette stratégie sur les batteries était dictée par les besoins sociétaux, qui ne recouvrent pas que la capacité brute à fournir de l’énergie.
« Imaginer, concevoir, fabriquer la batterie du futur comporte de nombreuses facettes. Elle doit d’abord présenter la plus grande sécurité possible et toutes les garanties. Nous avons absolument besoin de développer des performances accrues, une densité d’énergie supérieure (quantité d’énergie embarquée), nous devons répondre à des problématiques de puissance (notamment le temps de recharge) et évidemment travailler sur la durabilité et la recyclabilité », commente l’experte.
Au sujet de l’empreinte environnementale, elle précise d’emblée qu’elle « recouvre l’ensemble du cycle de vie, de la fabrication au recyclage, en passant par sa durée de vie. Bilan carbone, énergie, gaz à effet de serre sont à mesurer pendant tout le cycle. Il faut limiter au maximum la quantité de matières premières utilisées, et tout ça doit se faire à des coûts maîtrisés ». Un défi.
Comme NegaOctet, le CEA doit certainement être confronté à un problème sur l’analyse de la fin de vie des batteries. La base de données reconnait en effet que la moitié de la gestion des déchets « ne partent pas dans une filière légale » et ne sont donc pas pris en compte.
Dans ce contexte, le CEA a un rôle à jouer. Ses divers partenariats avec l’industrie, des laboratoires de recherche et universités lui permettent de constituer un vivier de chercheurs sur le sujet. À ce jour, 200 chercheurs permanents travaillent ainsi sur les divers aspects des batteries. Le Commissariat fait de la recherche sur toute la chaine de valeur. « Nous travaillons sur les matériaux, l’assemblage de cellules ou encore la mesure de différents signaux comme la chaleur. On travaille aussi beaucoup sur la fin de vie des batteries », ajoute Hélène Burlet.

Pour le CEA, le besoin en batteries va être tiré par l’électrification de la mobilité. La demande en véhicules électriques devrait exploser d’ici 2030, et d’autant plus que le mouvement croissant fera baisser les coûts de production, favorisant d’autant plus les achats. Le Commissariat veut d’autant plus s’insérer dans ce domaine que la plupart des technologies actuellement utilisées proviennent d’Asie. Il y a donc un enjeu clair de souveraineté nationale et européenne.
« Les travaux du CEA doivent profiter », indique Hélène Burlet. « Toute cette R&D est alimentée par les contextes français et européens. L’Europe prend des initiatives avec des financements privés et des IPCEI [Important Projects of Common European Interest, ndlr] pour développer les batteries. En France, le plan de relance et France 2030 viennent aussi alimenter la recherche. Beaucoup de financements, mais également beaucoup de défis à relever ».
Pour ses recherches, le CEA dispose notamment de 1 000 m² de salles anhydres (moins de 2 % d’humidité, le lithium étant explosif au contact de l’eau) pour les électrodes et l’assemblage des cellules, des plateformes de tests abusifs pour les batteries, 1 500 m² de laboratoire dédié au génie des procédés pour le recyclage et comprendre comment une batterie fonctionne vraiment, sans parler de grandes ressources numériques pour simuler des comportements. Les connaissances accumulées sont ensuite transférées dans l’industrie, qui les déploie dans la société.
Batterie du futur : matériaux et cellules
Simon Perraud, directeur adjoint du CEA Liten (énergies nouvelles), nous a ensuite exposé plusieurs pistes de développement pour ces batteries de futur. Dans l’immédiat, « on met l’accent sur les batteries tout solide ».
Pour résumer, les batteries actuelles font partie de la génération 3. L’électrolyte – la substance utilisée pour le transit des électrons entre l’anode et la cathode – est liquide. La fabrication en est simple, mais elle présente de nombreux défauts, surtout en matière de sécurité, recyclabilité et de quantité de matériaux utilisés.
« Nous visons la génération 4 avec un électrolyte solide, pour aboutir à des batteries entièrement solides, avec une phase intermédiaire où l’électrolyte sera gélifié ». Il y a deux grands intérêts au tout solide : « D’abord une augmentation de l’autonomie. Nous envisageons de passer de 250 Wh/kg aujourd’hui à 450 en 2030. Soit presque un facteur 2 [sur la densité, ndlr], une hausse majeure en quelques années. Ensuite, une amélioration significative de la sécurité, l’électrolyte solide étant beaucoup plus stable ».

La prochaine grande étape : les batteries solides
Le passage aux batteries solides se fera dans un premier temps avec des matériaux existants. Le CEA travaille ainsi sur du tout solide lithium-ion. Plus tard, probablement « dans une dizaine d’années », on verra émerger d’autres matériaux, comme une approche prometteuse sur le lithium-soufre, pour l’instant encore en recherche et développement.
« La plupart des acteurs du marché travaillent sur le tout solide, indique Simon Perraud. C’est clairement l’évolution suivante, et des entreprises de toutes les tailles participent (dont de très grandes, comme Samsung et Panasonic). Le tout solide est une grande avancée. Il y a plusieurs sous-technologies et, dans les feuilles de route du CEA, il y a un certain nombre d’étapes intermédiaires, dont les électrolytes gélifiés, avec des anodes en graphite ou graphite/silicium comme on en utilise déjà. L’une des grosses améliorations visées est le remplacement de l’anode par du lithium métallique, mais ce n’est pas pour tout de suite ».
La question des matériaux, justement, sera accélérée par le projet Big-Map dans le cadre des objectifs Batteries 2030, qui doit permettre la découverte de nouveaux matériaux via l’intelligence artificielle. En clair, détecter les plus à même de remplir des missions sans avoir à tâtonner uniquement par l’approche essai/erreur. Actuellement, nous précise Simon Perraud, il faut en moyenne une décennie pour passer du laboratoire au marché. Un délai que Big-Map devrait raccourcir.
Améliorer aussi les systèmes batteries
Le CEA travaille également sur un autre aspect, moins visible : le BMS, ou Batterie Management System. Il assure la gestion de la batterie pour qu’elle puisse opérer, idéalement, dans des conditions optimales de performances et de sécurité. Il génère un « véritable carnet de santé » de l’équipement, selon Simon Perraud.
Cette partie est en cours d’amélioration. Le Commissariat veut par exemple intégrer des capteurs au cœur de la batterie pour que de nouvelles informations soient amenées au BMS, qui aurait alors plus d’ampleur pour réagir, via des améliorations matérielles électroniques et sur les interfaces de communication. Pour le CEA, il y a une importante carte à jouer sur la convergence entre le numérique et l’énergie.
Gérer la fin de vie des batteries
Le cycle de vie d’une batterie est plus large que sa simple durabilité à l’usage. Pour le CEA, il recouvre toutes les étapes : extraction des matières premières, raffinage, synthèse des matériaux et fabrication des cellules sont des étapes à prendre en compte avant d’arriver à la première vie d’une batterie, c’est-à-dire l’usage pour lequel elle est prévue.
Et une fois cette première vie passée ? Simon Perraud explique : « Il y a deux grandes options. On peut envoyer les batteries en filière de recyclage, pour en récupérer notamment les matières qui le peuvent et les réinjecter dans la production. Ou bien on les envoie vers une deuxième vie, après reconditionnement, par exemple pour le stockage des énergies solaire et éolienne ».

Nous avons posé la question : sur quels axes le CEA travaille-t-il pour renforcer cet aspect, devenu crucial ? Perraud nous répond : « Il y a plusieurs axes de développement. D’abord l’établissement de protocoles de nouveaux tests pour savoir rapidement dans quelle direction envoyer les batteries, recyclage ou deuxième vie ».
« Ensuite, continue-t-il, nous travaillons avec nos partenaires sur une manière de fermer la boucle. Augmenter encore le pourcentage de matériaux que l’on récupère dans le recyclage pour les réinjecter dans la production. Récupérer et réutiliser autant que possible. Nous avons tout un projet de recherche pour vérifier que les batteries ainsi refaites aient les performances attendues. Le cadre actuel date de 2006 et sera remplacé cette année ou l’année prochaine par un nouveau règlement, obligeant les producteurs à inclure une quantité minimum de matériaux issus des filières de recyclage ».
Enfin, un dernier aspect, « l’écoconception : comment concevoir une batterie pour qu’elle soit facilement démontable et recyclable ». Une réflexion nourrie par les autres travaux, puisque la conception dépend de multiples facteurs. Mais alors, la découverte de nouveaux matériaux ou l’utilisation prévue de certains matériaux – comme le soufre – sont-elles des pistes vers une production plus vertueuse ?
Oui, mais il faudra attendre plusieurs années : « La technologie lithium-soufre est encore en phase de recherche et développement. Des entreprises se positionnent déjà, dont des startups, mais il reste des verrous technologiques. Elle devrait permettre d’augmenter la quantité d’énergie massique, où elle offre clairement un avantage. En remplaçant l’électrode positive en NMC (nickel, manganèse, cobalt) par des modèles en soufre, on réduirait également de beaucoup les coûts et les besoins en matériaux critiques. On vise la décennie qui vient pour une mise sur le marché ».
Il s’agit ici de travaux de recherche sur les prochaines générations de batteries, qui doivent donc faire leurs preuves. On ne rappellera jamais assez que la prudence est de mise sur ce secteur où des acteurs n’hésitent pas à promettre monts et merveilles pour, bien souvent, peu de changement quand le projet n’est tout simplement pas abandonné en cours de route. On ne compte plus le nombre de promesses de révolution tombées dans les oubliettes.
