« Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté » pour la France et l’Europe

Plus d’explorations, moins de touristes
Tech 11 min
« Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté » pour la France et l’Europe
Crédits : inhauscreative/iStock

La petite phrase est signée Emmanuel Macron, durant son discours sur la stratégie spatiale européenne. Le Président cible large en évoquant course à l'armement, exploration, vols habités, souveraineté… Sur ce dernier point, il s’est montré intraitable envers les « non européens »… oubliant un peu vite le Health Data Hub.

Hier, les dirigeants européens se sont rencontrés à Toulouse pour affirmer leur volonté commune « de travailler en étroite collaboration pour propulser l’Europe en position de leader mondial de l’Espace ». Comme avec les géants du Net, l’Europe est pour le moment prise en tenaille entre le continent américain (États-Unis) d’un côté et asiatique de l’autre (Chine, Japon, Inde).

Trois « accélérateurs » étaient à l’honneur : l'espace pour un avenir vert, une réponse rapide et résiliente aux crises, ainsi que la protection des actifs spatiaux. La Commission européenne avait pour rappel déblayé le terrain la veille avec sa « boussole stratégique » dont le but est notamment de « faire face aux menaces actuelles et futures ».

Emmanuel Macron en mode « Pirelli »

De son côté, Emmanuel Macron en a profité pour faire un discours sur la stratégie spatiale française et européenne. Dans son introduction, la question de la souveraineté était centrale : 

« Sans maîtrise de l’espace, en effet, pas de souveraineté technologique. L’accès à Internet, la navigation par satellite, tout cela dépend en grande partie de l’espace. Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté industrielle et économique au-delà des dizaines de milliers d’emplois […] Sans maîtrise de l’espace, pas d’avancée scientifique ni de connaissance fine des grands enjeux environnementaux et climatiques. Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté stratégique et militaire ».

De la maîtrise des réseaux de communication à l’observation des mouvements des différentes armées sur la planète, « le spatial est devenu aussi un des nouveaux lieux des conflictualités contemporaines ». Un discours parfaitement aligné sur celui de la Commission européenne

Pour le Président de la République, « sans maîtrise de l'espace, il n’existe pas au fond de puissance complète capable tout à la fois de maîtriser pleinement son destin et de conquérir de nouvelles frontières. Pour toutes ces raisons, l'espace est une priorité de la présidence française mais aussi car la France est, de manière concomitante, co-Présidente du Conseil de l'Agence spatiale européenne avec le Portugal ».

L’Europe a loupé plusieurs « tournants stratégiques »

Emmanuel Macron a évoqué les réussites française et européenne avec les missions Copernicus et Galileo, non sans vanter les mérites des centres de recherches (CEA, CNRS, CNES, DLR, ASI…), ou des personnalités comme Thomas Pesquet. « Néanmoins, ces réussites ne doivent pas nous interdire de faire preuve de lucidité […] L'Europe a aussi manqué ces dernières années, certains tournants stratégiques, notamment dans les lanceurs, en sous-estimant des émergences très rapides de certains de nos concurrents ».

Les États-Unis, Chine et Russie devancent ainsi l'Europe en termes de nombre de lancements, où une société comme SpaceX explose les compteurs : 31 lancements en 2021 et une cinquantaine prévus pour cette année. « D'autres, comme le Japon, l'Inde, l'Iran, la Corée du Sud, se sont engagés avec beaucoup de force dans la course » et sont pour certains en train de largement réinvestir.

« SpaceX, Blue Origin ne sont hélas pas européens. Et ils ont fait des paris et ils ont su marier, ce qui est un modèle d'ailleurs dont nous devons nous inspirer, des moyens publics importants, des agences et des organismes de recherche publics et la vélocité d'acteurs privés émergeants ». La Commission européenne a récemment mis les bouchés doubles avec de nouveaux financements pour les acteurs émergents. 

Des retards sur « la course à l'armement spatial » et le réutilisable

« Nous avons pris du retard dans la course à l'armement spatial »… Le mot armement est lâché, il n’est donc pas question de surveillance seulement. Comme déjà expliqué à plusieurs reprises, l’espace est de moins en moins un havre de paix avec des jeux d’espions et des démonstrations de forces. 

Emmanuel Macron revient à la charge sur un « buy european act » lui aussi déjà mille fois évoqué, mais jamais concrétisé pour le moment : « Il est plus que jamais nécessaire d'appliquer une préférence européenne pour le lancement de satellites institutionnels comme le font nos concurrents. Et là, je le dis très clairement : il n'y a pas de politique industrielle et de recherche, si l'Europe est la seule puissance naïve, c'est-à-dire la seule puissance qui n'impliquerait pas un principe de préférence pour elle-même ».

Il souhaite aussi que l'Europe prenne « pleinement le virage des mini et micro-lanceurs réutilisables », avec des investissements publics et privés dans les technologies de rupture… enfin SpaceX a déjà « rupté » le marché depuis plusieurs années, Blue Origin est d’autres acteurs américains sont en embuscade. 

Emmanuel Macron semble ne pas savoir sur quel pied danser puisque, en plus de se lancer en retard dans la course avec les acteurs du New Space (réutilisable, micro-lanceur), il soutient  qu’il « faut continuer à aller de l'avant, pas en cherchant à rattraper notre retard, mais en pensant à l'étape d'après, en visant la frontière technologique ». 

Citée dans un rapport sénatorial, la direction générale de l’armement expliquait il y a quelques années que « le lanceur réutilisable n’est pas une solution de 2030, mais de 2018. Il faut viser l’étape d’après, car, en 2030, SpaceX ou ses successeurs seront vraisemblablement passés à autre chose ». Chez SpaceX, ce futur s’appelle Starship, une fusée entièrement réutilisable et modulable. 

Comme la Commission européenne, Emmanuel Macron estime que « l'Europe doit prendre sa part dans la révolution des constellations. C'est une question de souveraineté et d'efficacité ».

Souveraineté des données de santé… quid du Health Data Hub ?

« Qui peut imaginer, parce que nous n'aurions pas une constellation européenne, de fait, nous décidions de déléguer la maîtrise des données de circulation ou la maîtrise des données de santé des Européens à d'autres puissances. En tout cas à des acteurs qui, étant non-européens, ne peuvent pas être régulés par le droit européen »… mais alors comment expliquer le choix du Health Data Hub consistant à faire héberger des données de santé chez Microsoft, acteur lui aussi soumis au droit américain ?

Il y a aussi la question du cloud de confiance : des sociétés européennes proposent sous licence des solutions américaines : « Nous avons donc décidé que ces meilleures entreprises de services américaines, je pense en particulier à Microsoft ou Google, pourraient licencier tout ou partie de leur technologie à des entreprises françaises ». Le changement serait-il enfin pour maintenant ?

Quoi qu’il en soit, « il y a urgence » pour le Président sur la question des constellations, puisque le nombre de celles « pouvant être déployées est réduit. Moins d'une dizaine, sans doute ». En cause, l’encombrement des orbites basses et les risques de collisions. 

La France « sera au rendez-vous de cette révolution » affirme-t-il : « D'abord en mettant à disposition de l'Union l'actif précieux que représentent les assignations prioritaires de fréquences dont elle dispose. Ensuite, en se lançant elle-même dans sa part d'investissement et dans les prochains jours dans le cadre de France 2030, deux appels pour mobiliser les acteurs, porteront justement des projets innovants en la matière ».

Une « capacité d’action dans l’espace exo-atmosphérique »

La France doit devenir/rester (tout dépend des points de vues) une des grandes puissances militaires dans l’espace. « Avec notre stratégie spatiale de défense qui acte plus de 5 milliards d’euros d’investissement jusqu’en 2025 nous avons ajouté aux missions classiques d’observation, de télécommunication et d’écoute, une véritable capacité d’action dans l’espace exo-atmosphérique ».

Emmanuel Macron souhaite ainsi que des « éléments de doctrine claire » soient adoptés au niveau international, afin d’avoir « le cadre nous autorisant la meilleure réactivité possible ». Il rappelle en effet que « l'agressivité et peut-être les sujets de conflits ou les provocations se multiplieront » dans le futur. « Notre ambition en la matière est sans agressivité, mais sans naïveté ».

L’espace, une zone de non-droit ?

Le locataire de l'Elysée souffle en outre le chaud et le froid lorsqu'il explique que « l'enjeu est aussi de faire de l'espace un lieu de protection d'un bien commun par la promotion de standards de régulation ». La gestion du trafic est donc une des priorités. « Nous définirons un modèle européen de la gestion du trafic spatial qui sera notre base de négociation d'un accord de niveau international »… Mais encore faut-il que des pays comme les États-Unis et la Chine qui misent des milliards sur l’espace acceptent de jouer le jeu.

La France veut « faire en sorte que les attaques ne se dissimulent plus, comme c'est le cas actuellement, derrière des prétextes de collision et de dysfonctionnements. L'Espace, en effet, ne peut pas être une zone de non-droit. Nous avons trop d'intérêts en jeu sur le plan économique, sur le plan souverain de la continuité du fonctionnement de beaucoup de nos services publics ou sur le plan militaire ». En creux, on comprend qu’il est question de la destruction d’un satellite russe par un missile russe. 

Actuellement, « nous sommes dans une logique de faits où s'imposent parfois, les provocations, les actes unilatéraux, en tout cas, les choix faits par certains et en quelque sorte, nous les subissons et réagissons. Il nous faut donc construire ce cadre de régulation », sans céder à l’escalade de la guerre froide. 

Plus d’écologie et de voyages habités, moins de touristes

Enfin, dernier point mis en avant par Emmanuel Macron : « la maîtrise de l’espace peut-être un levier décisif pour mesurer, et ainsi tenter de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Non seulement parce qu’elles permettent de mieux connaître l’état de la biosphère, en mesurant par des capteurs l’état des océans, des glaces, des eaux douces, des couches de l’atmosphère mais ensuite parce qu'elles permettent de suivre l’évolution du grand réchauffement ». La surveillance est large, elle dépasse largement nos frontières : grâce à Copernicus « nous avons pu détecter des émissions de gaz à effet de serre que d'autres puissances ne souhaitaient pas révéler », affirme Emmanuel Macron. 

Le Président de la République en profite enfin pour tacler SpaceX, Virgin Galactic, Blue Origin et d’autres sociétés qui misent sur le tourisme spatial : « le modèle spatial viable n'est pas celui de l'exploitation, n'est pas celui de l'augmentation du nombre de touristes spatiaux pour des milliers, voire des millions de dollars, pas plus que le seul horizon n'est l'exploitation minière de la lune. Nous, Européens, cultivons en effet une certaine idée de l'espace comme un regard décentrant sur le monde et sur la condition humaine, comme un bien commun qui doit être utile à tous ». Aurait-il le même discours si ces acteurs du New Space étaient français ?

Les vols habités sont largement mis en avant par le Président… mais pas la destination finale. L’Europe est partenaire de la NASA pour le retour des humains sur la Lune, mais tous les yeux sont d’ores et déjà tournés vers Mars. Qui sera le premier à se lancer dans l’aventure et surtout à arriver à bon port ?

SpaceX et l’agence spatiale américaine ne cachent pas leur ambition, pas plus que les Chinois et les Européens. « Visons-nous la Lune, où les Chinois retourneront prochainement, puis Mars, que visent les Américains ? Il nous faut là aussi anticiper un positionnement européen pour une première mission internationale humaine vers Mars prochainement à la fin de la prochaine décennie. Visons-nous des coopérations, à la lumière de l’ISS, ou l’autonomie stratégique en la matière ? », se questionne Emmanuel Macron.

Réponse dans les mois et les années à venir. Un conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne se tiendra en novembre 2022, cela permettra certainement d’y voir plus clair.

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