Ce n’était qu’une proposition de résolution, sans conséquence juridique, mais l’Assemblée nationale l’a rejetée. Elle se contentait simplement d’inviter le gouvernement à accorder l’asile politique à Julian Assange. L’exécutif était farouchement opposé à une telle démarche. Voilà pourquoi.
Une résolution « est un acte par lequel l’Assemblée émet un avis sur une question déterminée », indique l’Assemblée nationale dans une fiche de synthèse.
Selon la Constitution, en effet, ces textes ne peuvent contenir d’injonction à l’égard du gouvernement. Plus exactement, l’exécutif peut s’opposer à leur dépôt, si ce véhicule non normatif déborde de son cadre naturel : un instrument de droit souple, sans contrainte…
C’est en tout cas par ce biais que plusieurs députés, d’horizons politiques multiples, ont cosigné une proposition de résolution déposée par la députée Jennifer De Temmerman (Libertés et Territoires, ex-LREM), invitant le gouvernement à accorder l’asile politique à Julian Assange, comme elle s'en était expliqué à Libé.
Un document transpartisan cosigné par les députés Cédric Villani (non inscrit), Éric Bothorel (LREM), Marie-George Buffet (GDR), Paula Forteza (non inscrite), Michel Larive (LFI), Jean Lassalle (Libertés et territoires), Philipe Latombe (MoDem), Adrien Quatennens (LFI), François Ruffin (LFI) ou encore Cécile Untermaier (socialistes et apparentés).
Rappel des positions d’Emmanuel Macron et d’Éric Dupond-Moretti
Dès les premières lignes introductives, le document rappelle les propos d’Emmanuel Macron tenus en 2019 : « Il faut protéger toutes les libertés, la liberté de la presse mais la liberté des individus aussi ». Et les parlementaires d’estimer que pour le cas d’Assange, ces deux libertés sont bafouées : « Aujourd’hui, les États‑Unis maintiennent la pression pour une extradition, en vue de le condamner à 175 années de prison. Et Julian Assange croupit dans les prisons britanniques ».
Les députés se sont souvenus aussi des positions d’Éric Dupond-Moretti en février 2020, quelques mois avant son arrivée au poste de Garde des Sceaux :
« On va tout de même rappeler ce qu’il a permis de révéler. Il a permis de révéler en France que Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient été espionnés par les Américains, ça n’est pas rien. Il a permis de révéler également que Pierre Moscovici et François Baroin, deux ministres français de l’économie, avaient fait l’objet d’une opération d’espionnage économique conduite par les États‑Unis. »
Depuis, les signataires de la résolution constatent que « le pays des droits de l’Homme se tait ». Pour casser l’emprise du silence, le document invitait donc le gouvernement à accorder le droit d’asile à Assange considérant « l’attache de la France à la défense de la liberté de la presse et à la liberté d’informer », son « innocence », « le service rendu au monde par l’intermédiaire de Wikileaks et des informations dévoilées sur les agissements illégaux des États‑Unis d’Amérique », « le service rendu à la Nation et au peuple français en révélant l’espionnage de l’Élysée par son allié américain », outre « l’appel de nombreuses organisations non gouvernementales et institutions pour sa libération », non sans oublier « le rôle que doit avoir la France dans la défense de la justice et des libertés ».
Le pays des droits de l’Homme aphone
Les débats organisés vendredi à l’Assemblée nationale ont malgré tout conduit au rejet de ce texte, dans un hémicycle piloté par une majorité LREM en phase avec le gouvernement.
Lors de la présentation de la résolution, les signataires ont redoublé d’arguments pour éviter ce sort funeste : « Comment la France, pays des droits de l’homme, pourrait-elle rester aphone plus longtemps sur cette question de défense des libertés ? » s’est interrogée Jennifer De Temmerman. « Julian Assange défend la paix par la vérité. Il a été nominé neuf fois pour le prix Nobel de la paix, soutenu par plusieurs lauréats ».
Les députés favorables au texte étaient ainsi en quête d’une « solution qui permettrait à Julian Assange, mais aussi à d’autres lanceurs d’alerte, d’introduire une demande pour un visa humanitaire ou pour l’asile au moyen du réseau consulaire, et à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de traiter les demandes à distance ».
Pour Stéphane Peu (GDR), « depuis dix ans, Julian Assange est un homme traqué, épié, espionné. Depuis dix ans, Julian Assange est privé de liberté : d’abord à l’ambassade de l’Équateur à Londres, qu’il ne pouvait quitter sous peine d’être arrêté par la police britannique, et, depuis 2019, dans une prison londonienne de haute sécurité, dans un cadre de détention particulièrement répressif. Oui, Julian Assange est un prisonnier politique ».
Plusieurs points litigieux, selon le camp LREM
« Telle qu’elle est rédigée, nous ne pouvons pas souscrire à cette proposition de résolution » s’est opposé, depuis les camps LREM, le député Jean François Mbaye, l’index pointé sur plusieurs « points litigieux qu’il est difficile d’ignorer, eu égard aux enjeux qu’elle entend défendre ».
Accorder le statut de réfugié à Assange ? « Le droit d’asile répond à un cadre juridique qui suppose la réunion de conditions et le respect de procédures objectivement établies. Aussi, ce n’est pas le gouvernement français qui accorde le statut de réfugié, mais bien l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, dont les décisions sont prises à la lumière de la jurisprudence de la Cour nationale du droit d’asile ».
Un Office qui « statue en toute indépendance et de manière impartiale », indique le parlementaire LREM.
Selon le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, cet Office « est un établissement public doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière et administrative placé auprès du ministre chargé de l'asile », qui « reconnaît la qualité de réfugié ou d'apatride, ou accorde le bénéfice de la protection subsidiaire aux personnes remplissant les conditions » posées par les textes. Et « exerce en toute impartialité » ses missions sans recevoir d’instruction.
Dans l’argumentaire LREM, « l’asile ne saurait en aucun cas être considéré comme une contrepartie à un service rendu, qu’il soit avéré ou supposé, car cela risquerait de déstabiliser tout un pan de notre droit et, avec lui, notre politique d’asile ».
Certes, ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire, en ce sens que les textes peuvent être réformés, améliorés, aiguisés… Si le député juge cette réforme « sans doute » souhaitable, « une telle entreprise nécessiterait un minutieux travail de fond afin d’apprécier les conséquences qu’elle pourrait directement avoir pour les demandeurs ».
Quant aux citations d’Emmanuel Macron et d’Éric Dupond-Moretti, mentionnées dans les propos introductifs de la résolution, elles « ont été sorties de leur contexte et desservent la pertinence du propos ». Le premier « faisait en fait référence à un membre des forces spéciales, dont le nom avait été divulgué dans la presse », le second était alors avocat de Julian Assange. Bref, rien à voir avec la situation du lanceur d’alerte.
Le député LREM préfèrerait aussi que le sujet soit pris en main par les institutions européennes « afin d’élaborer avec nos partenaires un régime à même de répondre aux insuffisances systémiques préjudiciables à tous les lanceurs d’alerte, sans exception ». Une réforme qui prendrait des mois voire des années.
Respecter l’impartialité de la justice anglaise et américaine
Arguments partagés par Patricia Lemoine (Agir Ensemble) : « Le droit à un procès équitable garanti par les droits britannique et européen à l’article 6 de la CEDH d’une part, et le due process of law américain protégé par le Bill of Rights d’autre part, sont certes différents, mais assurent objectivement une procédure judiciaire digne de grands pays démocratiques. Accorder le statut de réfugié politique à Julian Assange reviendrait à ne pas reconnaître l’impartialité de ces deux systèmes judiciaires. »
« Un homme ne peut pas et ne doit pas risquer un siècle de prison pour avoir été lanceur d’alerte » a ajouté Nicolas Turquois (Modem), non sans tempérer : Assange est « dans un État qui garantit les libertés individuelles et où la justice est indépendante », et « la France n’a pas vocation à interférer dans les décisions juridiques souveraines de ses alliés ».
Une France qui fait honte à François Ruffin
Dans le camp de la France Insoumise, François Ruffin s’est étonné : « la France est surveillée par un allié jusqu’à l’Élysée et nous ne prenons aucune mesure de rétorsion ! Nous n’avons aucun sursaut d’orgueil, de fierté. Nous ne faisons rien pour imposer le respect. Cette France, oui, cette France qui se laisse piétiner, elle me fait honte ! Et pire encore : quel secours, quelle protection apporte notre pays à Edward Snowden et Julian Assange quand ils sont poursuivis, pourchassés, traqués par nos amis américains ? Aucun ! Aucun secours ! Aucune protection ! Jusqu’à la comédie ».
Cédric Villani de s’étonner : « le seul crime d’Assange est d’avoir été trop bon éditeur, d’avoir si bien fait son travail que le Time Magazine lui a décerné le titre de personnalité de l’année 2010. Et c’est pour cela qu’il serait passible de 175 ans de prison ? ».
Et celui qui a cosigné une tribune avec François Ruffin dans la Croix, de s’en prendre aux méthodes de l’administration américaine : une administration « qui foule aux pieds les libertés individuelles jusqu’à enregistrer les conversations d’Assange avec ses avocats et récupérer toutes les données Google des membres de WikiLeaks ».
Le médaillé Fields ne cache pas sa déception : « moi qui ai tant admiré, pour en avoir bénéficié, les talents d’accueil de la société américaine, moi dont la carrière scientifique doit tant aux campus vibrants et ouverts d’Atlanta, de Berkeley ou de Princeton, je reste sidéré devant un tel dévoiement des valeurs américaines. »
Au PS, l’oubli de 2015
Claudia Rouaux (socialistes et apparentés) a également pris sa plus belle plume pour exposer que « pendant sept années, il s’est réfugié dans une pièce de 10 mètres carrés à l’ambassade d’Équateur à Londres. Depuis 2019, il est détenu dans une prison anglaise de haute sécurité, dans l’attente du délibéré concernant son extradition aux États-Unis où il risque 175 ans de prison ».
Et l’élue PS de décrire Julian Assange comme « un allié de la France » qu'il est nécessaire de protéger « en raison de son combat fondamentalement politique ».
La députée PS n’a donc pas remis au chaud l’épisode de 2015 où François Hollande avait tout simplement refusé l’asile politique à Assange, non sans s’expliquer dans une lettre publiée sur le site officiel de l'Elysée (dont on retrouve la trace sur archive.org) :
« La France a bien reçu la lettre de M. Assange. Un examen approfondi fait apparaître que compte tenu des éléments juridiques et de la situation matérielle de M. Assange, la France ne peut pas donner suite à sa demande. La situation de M. Assange ne présente pas de danger immédiat. Il fait en outre l’objet d’un mandat d’arrêt européen. »

Crédits : Elysee.fr
Un refus qu’avait détaillé alors par le député PS Jean-Jacques Urvoas, rapporteur de la loi renseignement : « L’asile en France, c’est un statut particulièrement organisé. Pour demander l’asile, il faut d’abord faire l’objet de persécutions, il faut être sur le territoire national, et dans ce cas on regarde si on ne vient pas d’une démocratie où la justice est indépendante. Je ne pense pas que ces conditions s’appliquent à Julian Assange ».
Pour le gouvernement, Assange n’est pas en danger
Attendue, la parole gouvernementale a été portée par Franck Riester, aujourd’hui ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. Alors que les recours s’enchaînent outre-Manche, avec le dernier épisode en date où Assange a été autorisé à faire appel, « nous considérons que le Royaume-Uni est un État de droit et nous faisons confiance à sa justice ».
Le représentant de l’exécutif a aussi rappelé qu’« en application du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il appartient exclusivement à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, sous le contrôle juridictionnel de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), de se prononcer en matière d’éligibilité à la protection internationale et de reconnaître la qualité de réfugié à une personne qui invoque la crainte de persécutions ».
Et l’OFPRA ne peut être saisi depuis l’étranger. Plus exactement, « pour demander asile en France, un ressortissant étranger qui se trouve en dehors de notre territoire doit solliciter auprès des autorités consulaires françaises un visa dont la délivrance relève in fine du ministère de l’Intérieur ».
Si en 2015, Assange « avait exprimé par voie de presse son intention de demander asile en France », à ce jour, « le Gouvernement n’a eu connaissance, de sa part, ni d’une telle demande formelle ni d’une demande de visa – puisqu’il réside à l’étranger – aux fins de demander l’asile ».
Mieux : selon Riester, si la France avait rejeté cette demande en 2015, « compte tenu d’éléments liés à la situation de fait comme à la situation juridique de l’intéressé », sept ans plus tard, « il n’apparaît pas que ces éléments aient évolué depuis ». En somme, Assange n’est pas plus en danger aujourd’hui qu’hier, alors qu'il risque 175 années de prison outre-Atlantique.
Malgré tout, la France, assure le ministre délégué, « est un bon élève » en la matière. La preuve : elle a surtransposé la directive le 7 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne, dans le cadre d’une proposition de loi tout juste adoptée.
Alors que des yeux sont tournés vers les autorités européennes, Franck Riester ne plaide pas en faveur d’un instrument « général et juridiquement contraignant » relatif aux lanceurs d’alerte.
Il cite la position du comité des ministres du Conseil de l’Europe en date du 29 avril 2020 selon laquelle « la négociation d’un instrument contraignant, telle une convention, représenterait un processus long et au résultat incertain compte tenu de la complexité du sujet et de la diversité des solutions adoptées par les États membres pour protéger les lanceurs d’alerte. »
Mieux vaudrait, selon lui, « encourager les États à appliquer pleinement les recommandations existantes, au besoin avec l’assistance technique des comités et organes compétents du Conseil de l’Europe ».
« J’entends que l’OFPRA est seul habilité à traiter la demande que Julian Assange pourrait déposer, mais il est des cas où l’exécutif a su intervenir pour faire obtenir la nationalité française à des héros du quotidien » s’est souvenue Jennifer De Temmerman, évoquant la situation de Lassana Bathily, intervenu lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher. Celui-ci avait même eu droit à une « cérémonie d'accueil dans la citoyenneté française » au ministère de l’Intérieur en 2015.
Pas de lumière dans la nuit
« Envoyons un signal de lumière dans la nuit que traverse cet homme » a malgré tout plaidé en dernière ligne droite Alexis Corbière (LFI).
En vain. L’Assemblée nationale a rejeté la résolution par 31 voix contre (dont 29 LREM), 17 pour (le scrutin public).