La future loi veut imposer aux fabricants l’installation d’un logiciel de contrôle parental. Elle sera examinée au Sénat le 9 février. À l’approche de l’échéance, des sénateurs veulent colmater plusieurs risques dont l'interdiction de la vente de PC sans OS et l'exploitation des données des parents.
« Face aux dangers du numérique, nous changerons la loi pour que le contrôle parental soit installé par défaut sur tous les smartphones, ordinateurs et tablettes utilisés par nos enfants ». Voilà ce que postait sur Twitter Emmanuel Macron ce 18 novembre 2021.
Au même moment, Bruno Studer et les autres députés LREM déposaient une proposition de loi visant à rendre obligatoire cette installation sur tous les écrans (PC fixes et portables, smartphones, montres et TV connectées, etc.).
- En commission, les députés étendent l’obligation d’installer un contrôle parental
- Les députés adoptent le contrôle parental installé par défaut
Le choix de la proposition de loi a permis à la majorité présidentielle de se passer à la fois de l’avis préalable du Conseil d’État, et d’une étude d’impact. Deux documents réservés aux seuls projets de loi (ceux venus de l’exécutif).
Par contre, le gouvernement a pris soin d’engager la procédure accélérée afin de réduire les navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat, ce qui n’est jamais sans conséquence pour la qualité des débats. A cette remarque, le député Bruno Studer nous indique que le choix de la proposition de loi n'a été motivé « ni pour éviter l'étude d'impact ni pour éviter le Conseil d'Etat. C'est simplement que c'est une proposition de loi... sur laquelle j'ai travaillé depuis des mois. »
Derrière l’objectif fédérateur – qui peut être contre la protection de la jeunesse ? –, la proposition de loi montre aujourd'hui des points de fragilités, que des sénateurs tentent de combler dans la perspective de l’examen en hémicycle le 9 février.
Colmater le risque d’une interdiction de la vente de PC nus
Le sénateur Thomas Dossus et plusieurs autres de ses collègues écologistes ont ainsi déposé un amendement pour prévenir un risque : celui d’une interdiction de fait « de vente et donc d’achat de matériel informatique sans système d’exploitation ».
En l’état, précisions-nous sur Twitter, ce risque n’est pas totalement nul. Pourquoi ? Car l’obligation d’installer un contrôle parental pèse sur les fabricants « d’équipements terminaux destinés à l’utilisation de services de communication au public en ligne donnant accès à des services et contenus susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ».
Voilà ce qu’expose l’alinéa 1 de l‘article 1er de la proposition de loin, qui pose les piliers de cette législation qui oblige à l’installation d’un contrôle parental sur les équipements « destinés » à être connectés.

Certes, l’alinéa 4 du même article demande aux fabricants de s’assurer « avec les fournisseurs de systèmes d’exploitation » que ces équipements intègrent bien ce dispositif lorsqu’ils mettent leurs équipements terminaux sur le marché.
Mais cet alinéa 4 s’intéresse au volet opérationnel, par exemple pour les PC vendus avec OS, sans lever totalement le doute s’agissant des produits vendus cette fois sans système d’exploitation.
Dans un scénario du pire, le critère de « destination » posé par l’alinéa 1 serait suffisamment large pour faire craindre une interdiction de la vente de matériel sans OS.
Il n’est guère étonnant que l’amendement des sénateurs écologistes ait été rédigé en coordination avec l’April, l’association de promotion et de défense du libre. Leur rustine législative entend du coup réserver cette législation qu’aux seuls matériels équipés d’un système d’exploitation, laissant hors du spectre les matériels sans OS, qu'affectionne notamment le monde du logiciel libre :
« La rédaction proposée, sans affaiblir la proposition de loi – les personnes faisant l’acquisition de ce genre d’équipement ayant a priori les compétences nécessaires pour installer un dispositif de contrôle parental si tel est leur besoin – vient garantir aux consommateurs la liberté de maîtriser leurs équipements informatiques ».
Si cet amendement est rejeté, car déjà « satisfait » en ce sens qu'il ne servirait à rien, il aura au moins le mérite d'apporter de précieux arguments lorsque viendra le temps des contentieux.
Activation ou… désinstallation
Comme exposé dans notre actualité, ces logiciels seront préinstallés sur tous les terminaux et leur activation sera impérativement proposée à tous les utilisateurs lors de la première mise en service de l’équipement, peu importe la configuration du foyer (avec ou sans enfant).
Deux précautions valent mieux qu'une : dans un autre amendement, les mêmes sénateurs écologistes veulent que la désinstallation de ce contrôle parental soit également proposée à cet instant précis. L’idée serait ainsi d’offrir un choix suivant cette arbre de décision :
- Activation du contrôle parental ? OUI/NON
- Si NON, désinstallation du contrôle parental ? OUI/NON
L’enjeu est cette fois de « garantir la liberté aux utilisateurs de ne pas se voir imposer une couche logicielle – qui occupe de l’espace mémoire – dont il ne voudrait pas ou n’aurait pas besoin. On peut ainsi penser aux usages professionnels, aux utilisateurs sans enfant ou avec des enfants devenus majeurs ».
Pourquoi faudrait-il en effet qu’un PC ou une tablette ou un smartphone soit lesté d’un tel logiciel dormant alors que l’utilisateur est majeur et sans enfant ?
Cet amendement n°2 a également été rédigé en coordination avec l’April.
Exploitation de données à caractère personnel
Le n°3 vient pour sa part généraliser l'interdiction d’exploitation des données lors de cette activation.
En l’état, comme nous l‘avions là aussi relevé, la proposition de loi indique que « les données personnelles des mineurs collectées ou générées lors de l’activation de ce dispositif ne doivent pas, y compris après la majorité des intéressés, être utilisées à des fins commerciales, telles que le marketing direct, le profilage et la publicité ciblée sur le comportement ».
En clair : il ne sera pas possible d’exploiter à des fins commerciales les données à caractère personnel des mineurs lors de l’activation de ce logiciel.
Un encadrement sympathique... mais insuffisant. Si on lit le texte en creux, il reste une belle brèche : il n’interdit pas l’exploitation commerciale des données à caractère personnel des parents, soit des millions de personnes !
L’amendement des sénateurs écologistes veut donc « interdire l’utilisation des données collectées par le contrôle parental non seulement des mineurs utilisateurs, mais également des adultes qui sont concernés par la mise en route de ces logiciels lors de la première mise en route des dispositifs ».
En effet, détaillent ces élus, « à l’installation d’un logiciel, il est souvent demandé d’inscrire des informations personnelles (nom, prénom, âge, adresse physique et mail, téléphone, etc.) et il est souhaitable que ces données là aussi ne fassent pas l’objet d’une commercialisation ou d’une utilisation non désirée ».
Ces quatre amendements ont également été repris par le PS et une sénatrice UDI, signe que les questions soulevées sont partagées dans d'autres groupes.