Pour Patrick Drahi, la neutralité du Net « est une énorme bêtise »

C'est celui qui dit qui l'est
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Pour Patrick Drahi, la neutralité du Net « est une énorme bêtise »
Crédits : Kheng ho Toh/Hemera/Thinkstock

Devant des sénateurs, Patrick Drahi a plaidé pour mettre fin à la neutralité du Net. Arthur Dreyfuss, président de la FFTélécoms est, sans surprise, sur la même longueur d’onde. Ils souhaitent ainsi faire payer les géants du Net utilisant les réseaux des opérateurs. Ils lancent un appel aux législateurs.

L’année dernière, le Sénat a lancé une commission d’enquête sur la « Concentration des médias en France ». Elle a débuté ses travaux le 24 novembre avec une réunion constitutive, puis des auditions à partir du 2 décembre. On y trouve évidemment les grands patrons de presse… qui sont également pour plusieurs d’entre eux à la tête d’opérateurs télécoms français.

Patrick Drahi, fondateur et propriétaire d’Altice, était ainsi auditionné hier. Ce sera ensuite au tour de Martin Bouygues le 9 février à 16h45 et de Xavier Niel (Iliad/Free) le 18 février à 10h30. Si les auditions ne concernent pas directement les télécoms, les deux sont souvent liés et les déclarations des dirigeants concernent parfois les deux secteurs.

Hier, Patrick Drahi s’est livré à un plaidoyer contre la neutralité du Net. Hasard ou pas du calendrier, Arthur Dreyfuss, le président de la Fédération française des télécoms (qui regroupe plusieurs opérateurs dont Bougyues Telecom, Orange et SFR, mais pas Free) et directeur général d’Altice Média, tenait un discours similaire.

« Moi J’ai une idée, vous n’allez pas l’aimer »

Concernant la question des GAFA – ou plus exactement celle des géants du Net dans le cas présent –, le patron d’Altice a « une idée » qu’il a exposée aux députés : « vous n’allez pas l’aimer, mais pourtant c’est la bonne. Hé oui, ça va à contre-courant de ce qu’on pense. Il y a un truc qui s’appelle (en français je ne sais pas comment on dit ça) c’est la "Net neutralité" : c’est une énorme bêtise ce truc-là ». Au moins, il ne tourne pas autour du pot.

Il s’explique : « C’est-à-dire que nous en fin de compte, les opérateurs télécoms grâce à des mesures réglementaires, on est obligé de traiter tous les fournisseurs de services de la même façon. On ne peut pas différencier tel ou tel en fonction qu’il s’appelle x, y ou z ».

Rien de neuf sous le Soleil de la marque au carré rouge, Alain Weill (qui était alors PDG de SFR) tenait déjà ce discours en 2018. On se souvient aussi que SFR proposait YouTube en illimité avec ses forfaits 4G RED by SFR en 2014. Il ne s’agit là que de deux exemples.

Altice n’est pas le seul FAI à avoir cette « idée » de mettre fin à la neutralité. En décembre 2021, 13 FAI européens publiaient en effet une déclaration pour faire payer les « Big Tech » américains. « Problème » pour le moment pour ces acteurs, la Cour de justice de l’Union européenne a consacré la neutralité du Net en septembre 2020.

80 % du trafic vient de cinq plateformes

« Sauf que les milliards que nous investissons et les jobs que nous créons ou que nous maintenons en France sont utilisés à 85 % par les GAFA », ajoute Patrick Drahi. Rappelons néanmoins que depuis son rachat par Numericable, Altice/SFR enchaine les plans de restructurations et les licenciements. Le dernier n’a que quelques mois.

Patrick Drahi persiste et signe : « 85 % du trafic le soir est utilisé par ces opérateurs. On est arrivé à leur fait payer un petit peu d’impôt en France, mais c’est des cacahuètes ». Il fait référence à la taxe sur les services numériques, ou taxe « GAFA ». Signalons quand même que la forte demande en abonnements fibre et en gros forfaits 4G/5G – souvent vendus plus chers – est justement alimentée par ces fameux services.

Arthur Dreyfuss, président de la Fédération Française des Télécoms (FFTélécoms), donne des chiffres quasiment identiques au Monde : « Chaque jour, à partir de 18 heures, 80 % du trafic des quatre opérateurs français (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free) vient d’Amazon, Apple, Facebook, Google et Netflix ».

Pour rappel, dans son état de l’Internet en France, l’Arcep expliquait mi-2021 qu’en moyenne, « 50 % du trafic vers les clients des principaux FAI en France provient de quatre fournisseurs : Netflix, Google, Akamai et Facebook ». Amazon est en cinquième position.

Patrick Drahi et Netflix : le compte n’est pas bon

Patrick Drahi revient sur le cas de la Corée où un « truc génial » serait en train de se former : « les Coréens commencent à différencier les plateformes en fonction du débit qu’elles utilisent sur les opérateurs. Ce qui est logique quelque part ».

Il en profite pour faire un parallèle avec Netflix en France. Quand la plateforme est arrivée, elle « avait zéro abonné et aujourd’hui elle en a trois fois plus que Canal+ ». Le patron d’Altice se lance dans une analyse des prix… avec des erreurs. S’il commence presque bien en rappelant que « c’était 8 euros par an quand ils ont démarré » – c’était évidemment par mois, mais passons –, il ajoute que « aujourd’hui c’est 14 et ça va passer à 20 sans que vous vous en aperceviez ». 

Non, le forfait de base est pour le moment à 8,99 euros, pas à 14 euros. Les deux forfaits plus haut de gamme sont à 13,49 et 17,99 euros par mois (avec plus d’écrans en simultané, une meilleure définition…). Il est néanmoins vrai que ces prix ont largement augmenté depuis le lancement en 2014 puisqu’ils étaient respectivement à 8,99 et 11,99 euros par mois.

Chez Netflix, Amazon ou Disney+, la manière de faire est toujours la même : débuter avec des tarifs bas, puis les augmenter progressivement sous couvert d’ajouter de nouveaux contenus. On note d’ailleurs une certaine similitude avec les abonnements des opérateurs, dont le montant augmente parfois en cours de route sous couvert d’« enrichissement des offres ».

Revoilà la comparaison avec les autoroutes

Patrick Drahi enchaine : « Combien est-ce qu’ils reversent à la population française ? Pratiquement zéro ». Il se lance ensuite dans une comparaison avec les autoroutes : « si vous roulez en mobylette, je crois que ce n’est pas autorisé, m’enfin ce serait gratuit, par contre si vous avez un 33 tonnes vous payez plus cher que le gars avec la R5. Ce serait logique que ces gros gars paient leur distribution ».

On retrouve exactement la même métaphore chez Arthur Dreyfuss, toujours dans les colonnes du Monde : « Quand on emprunte une autoroute, on paie pour le trajet, l’entretien de la route et les travaux à venir. Pourquoi sur les réseaux de télécoms les fournisseurs de contenus ne paient-ils aucun péage ? ». 

« Du revenu supplémentaire » pour les FAI

Pour Patrick Drahi, cela « ferait du revenu supplémentaire » pour que les opérateurs puissent se développer. « Voilà, moi comment je lutterais, mais je ne suis pas législateur je ne suis là que pour répondre à vos questions et éventuellement suggérer quelques idées… qui parfois fonctionnent ».

Terminons par un détour aux États-Unis, où la neutralité du Net s’est éteinte en juin 2018. Malgré cela, les FAI ont moins investi l’année suivante, c’est en tout cas ce qui ressortait d’une analyse d’Ars Technica en 2020… n’en déplaise donc à Patrick Drahi.

Quoi qu’il en soit, le calendrier n’est pas anodin : l’élection présidentielle se rapproche à grands pas et la France est à la tête du Conseil de l’Union européenne ce premier semestre 2022. Les planètes sont donc alignées pour essayer de faire bouger les lignes sur plusieurs fronts.

La FFTélécoms présentera ainsi prochainement quinze propositions « aux candidats à la présidentielle, avec la volonté de faire remonter le sujet à la Commission européenne », affirment nos confrères.

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