MaJ, 2 février : contacté, l'assistant parlementaire de Pierre Morel-À-L'Huissier reconnaît une imprécision d'écriture, et que la proposition de loi – dont l'objectif était de lancer le débat, en matière de crimes sexuels – ne visait que les seules traces de personnes non identifiées, dans le cadre de « cold cases » et donc d'affaires non résolues.
Le député (LR) de la Lozère Pierre Morel-À-L'Huissier a déposé une proposition de loi « visant à allonger la conservation des empreintes génétiques dans le cadre d’affaires criminelles ». Alors que la France vient de réduire leur durée de conservation de 40 à 25 ans, elle propose d'ajouter 40 années de conservation... en sus du délai de prescription.
Dans une interview au JDD publiée début janvier, le patron de la brigade criminelle, Michel Faury, expliquait pourquoi il plaidait pour la sauvegarde des traces ADN inconnues dans les fichiers « jusqu'à la date de prescription des crimes ».
Le 30 septembre, l'exploitation du fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) avait en effet confirmé que le profil de l'ancien gendarme et policier François Vérove, mort par suicide juste avant une convocation policière, correspondait à celle relevée, à Paris en 1986, sur deux scènes de crime où avait sévi le violeur et tueur en série surnommé « le Grêlé ».
Tirant les leçons de cette traque de trente-cinq ans, Michel Faury « préconise dans un rapport administratif [qui ne semble pas avoir été rendu public, ndlr] l'alignement de la durée de conservation des traces et des empreintes sur celle de la prescription », écrivait le JDD.
Si la durée de conservation des empreintes varie en fonction de la nature des faits et de l'âge des auteurs, pour les crimes les plus graves, elles sont conservées pendant vingt-cinq ans dans le fichier automatisé des empreintes digitales [Faed] et même quarante ans dans le Fnaeg, rappelait le patron de la Crim' :
« Quatre décennies avant de retirer une trace, ça peut sembler beaucoup. Mais ça ne suffit pas toujours. D'où notre proposition de caler le retrait de toute trace, dans une affaire non résolue, sur la date de prescription. De cette manière, le Fnaeg serait en cohérence avec les règles de prescription de l'enquête policière. »
En l'espèce, l'affaire du Grêlé aurait été pour lui « un révélateur », à mesure que la trace ADN retrouvée sur les scènes de crime en 1986 n'avait été intégrée dans le Fnaeg qu'en 2000, deux ans après la création de ce fichier :
« Elle ne pouvait donc pas être supprimée avant 2040, ce qui nous donnait de la marge. Mais si le fichier avait existé dès 1986 et si elle avait été intégrée aussitôt, comme c'est le cas aujourd'hui, l'échéance aurait été 2026. Or un individu qui commet des crimes sexuels alors qu'il est mineur ou jeune majeur peut récidiver quarante ans plus tard.
Cette réforme serait utile non pour la masse des affaires, mais pour le petit nombre de crimes mystérieux sur lesquels nous n'avons pas d'éléments d'enquête, qui présentent une dimension perverse et surtout des risques de réitération. »
Le droit à l'oubli et l'affaire du Grêlé
Interrogé quant au nombre de « cold cases » dont il serait question, Michel Faury expliquait que « la Crim' est chargée en moyenne d'une trentaine de crimes mystérieux par an ». Il s'agirait essentiellement d'homicides, assassinats, enlèvements et séquestrations « ou des disparitions vraiment inquiétantes qui dissimulent souvent des meurtres » :
« Environ 70 % sont résolus dans l'année. En général, il reste une à deux affaires par an, des cold cases, qui rejoignent la soixantaine de dossiers pris en charge notamment par l'Unité d'analyse criminelle et comportementale des affaires complexes [UAC3] que nous avons fondée. La plus ancienne remonte à 1984. »
Au JDD qui lui demandait si « le droit à l'oubli devrait disparaître ? », le patron de la Crim' rétorquait que « le Fnaeg est un outil précieux dans ce genre d'enquêtes longues et difficiles » :
« Quel dommage de se couper les ailes en retirant trop vite du fichier des traces inconnues ou les empreintes de personnes passées à l'acte très jeunes et qui risquent de récidiver! »
À l'appui de ses dires, il avançait que l'accès au FNAEG est restreint à quelques personnes, dans un cadre strictement juridique et que « nous-mêmes, en tant que membres d'un service d'enquête, pouvons seulement demander des comparaisons d'empreintes » :
« Cela n'a rien à voir avec le casier judiciaire ou avec le traitement des antécédents judiciaires [TAJ], fréquemment consultés par les policiers même si c'est très encadré. Où est le préjudice en matière de réinsertion ou d'accès à l'emploi alors que personne ne sait qui figure dans le Fnaeg ?
C'est uniquement la découverte de l'ADN d'un individu sur une scène de crime qui fera remonter à la surface le fait qu'il y est fiché. En revanche, permettre à une victime de savoir qui a gâché son enfance, pourquoi, et ce qu'est devenu ce criminel est très important. Même s'il n'y a pas de procès, comme dans l'affaire du Grêlé. »
Une proposition de loi quasi-copiée/collée
Un argumentaire que l'on retrouve quasi mot pour mot dans la proposition de loi déposée quelques jours plus tard par Pierre Morel-À-L'Huissier, et co-signée par une vingtaine d'autres députés (dont Jean‑Luc Warsmann, Jean Lassalle et Nicolas Dupont-Aignan) :
« En France, il y a une trentaine de crimes mystérieux par an. Nous parlons ici des homicides, assassinats, enlèvements, séquestrations ou disparitions. 70 % d’entre eux sont résolus dans l’année et il reste en général deux affaires par an non résolues.
Au total, il y a une soixantaine de dossiers cold case aujourd’hui et le plus vieux date de 1984. Dans deux ans, les empreintes de l’époque devront être supprimées. Or, un individu qui commet des crimes alors qu’il est mineur ou jeune majeur peut récidiver quarante ans plus tard. »
Pierre Morel-À-L'Huissier y estime lui aussi que « le Fnaeg est un outil précieux pour les longues affaires, mais aussi la recherche d’identification d’une personne décédée » :
« Il apparait dommage de s’en priver aujourd’hui en retirant des traces inconnues ou les empreintes de personnes passées à l’acte très jeunes et qui risquent de récidiver.
D’autant que l’accès à ce fichier est très restreint, à quelques personnes, dans un cadre strictement juridique.
Les services d’enquêtes par exemple ne peuvent demander que des comparatifs d’empreinte et n’y ont pas pleinement accès. »
Le député souligne pareillement que la présence d’empreintes dans ce fichier ne conduit pas non plus à un préjudice moral à la personne en matière de réinsertion ou de recherche d’emploi « puisque tout le monde ignore qui sont les personnes dans ce fichier » :
« Seule la découverte d’une ADN similaire sur une scène de crime qui serait mise en comparaison permettrait de faire un rapprochement éventuel.
L’enjeu pour les victimes est lui très fort, puisqu’il peut permettre d’élucider de vieux crimes ou de reconnaitre des corps. »
40 ans de conservation, en sus du délai de prescription
La proposition de loi va cela dit bien plus loin que ce que proposait le patron de la Crim', à savoir « caler le retrait de toute trace, dans une affaire non résolue, sur la date de prescription », soit 20 ans pour les crimes et délits de nature sexuelle à l'encontre de mineurs, 30 ans en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants, ainsi que pour les victimes mineures de crimes sexuels (où le décompte des 30 ans ne débute qu'à compter de leur majorité).
Pierre Morel-À-L'Huissier propose en effet, non seulement « d’aligner le délai de conservation de ces empreintes sur le délai de prescription relatif au crime commis », mais également « d’y ajouter, à l’issue de ce dernier, le délai de quarante ans de conservation pour couvrir les éventuelles récidives ou allongement de la prescription dans le cas d’abus sexuels ».
Si la proposition de loi n'est pas explicite à ce sujet, Patrice Reviron, avocat spécialiste de ces questions, estime cela dit qu'« il s’agit ici de conserver des profils génétiques issus de traces de personnes inconnues recueillies sur des scènes de crime si je comprends bien. Même après la prescription, elles pourraient permettre de constater l’apparition de ces profils dans de nouveaux faits. »
MaJ, 2 février : contacté, l'assistant parlementaire de Pierre Morel-À-L'Huissier reconnaît une imprécision d'écriture, et que la proposition de loi – dont l'objectif était de lancer le débat, en matière de crimes sexuels – ne visait que les seules traces de personnes non identifiées, dans le cadre de « cold cases » et donc d'affaires non résolues.
Plus d'un tiers des Français sont fichés dans le FNAEG
La proposition de loi présente cela dit une version totalement biaisée du FNAEG. Le fichier avait en effet été initialement créé, en 1998, pour « centraliser les empreintes génétiques issues des traces biologiques ainsi que les empreintes génétiques des personnes déclarées coupables » d'infractions de nature sexuelle, ou « poursuivies pour le meurtre ou l'assassinat d'un mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ».
Sauf que la frénésie sécuritaire qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 a permis aux gouvernements successifs, de 2001 et 2007, de considérablement élargir le périmètre du fichier aux personnes non plus seulement condamnées, mais simplement soupçonnées d'avoir commis la majeure partie des crimes et délits.
Ce pourquoi, et comme nous l'avions révélé, 5 millions d'individus, soit près de 10 % de la population française de plus de 20 ans, y sont fichés, alors que 75 % d'entre eux sont pourtant toujours présumés innocents, faute d'avoir été reconnus coupables de ce qui leur a valu d'y figurer.
De plus, et en y incluant les personnes indirectement identifiables via une recherche par parentèle (qui permet d'identifier les parents, frères et soeurs des personnes fichées), cela représente plus du tiers de la population française.

Ce que Pierre Morel-À-L'Huissier se garde bien de rappeler, le député se bornant à présenter le FNAEG comme « destiné à centraliser les empreintes génétiques issues des traces biologiques ainsi que les empreintes génétiques des personnes déclarées coupables » d'une longue liste de crimes et délits, ou « ayant fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale en application des articles relatifs aux troubles mentaux ».
Il précise cela dit que « les empreintes génétiques des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une de ces infractions sont également conservées dans ce fichier », mais sans préciser, ni qu'elles sont toujours présumées innocentes, ni que les durées de conservation des données ont récemment été modifiées.
Une proposition à rebours du Conseil Constitutionnel et de la CEDH
En réponse aux critiques formulées par le Conseil constitutionnel (en... 2010), ainsi qu'à sa condamnation par la CEDH (en 2017), la France a en effet accepté (fin octobre 2021) d'abaisser la durée de conservation de principe des traces biologiques, la faisant passer de quarante ans à vingt-cinq ans.
Pour autant, et dans le cadre d'une enquête relative à une des infractions considérées comme les plus graves (crimes et délits de violences volontaires, agressions sexuelles, trafics de stupéfiants, mise en péril de mineurs, vol et extorsion, mouvement insurrectionnel, fausse monnaie, etc.), il sera possible, comme cela est le cas actuellement, de conserver ces données quarante ans.
Les durées de conservation des données relatives aux « personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis une infraction, ainsi qu'aux personnes déclarées coupables ou irresponsables », ont elles aussi été réduites : ces données seront, par principe, conservées respectivement quinze et vingt-cinq ans lorsque la personne est majeure, dix et quinze ans pour les mineurs.
La proposition de Pierre Morel-À-L'Huissier d'ajouter, en sus du délai de prescription relatif au crime commis, « un délai de quarante ans de conservation », va donc à l'encontre non seulement de l'esprit, mais également de la lettre du décret d'octobre 2021.
Et ce, alors qu'il élargissait aussi, et a contrario, le cadre des recherches « en parentèle » aux frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et nièces, et non plus seulement aux pères, mères et enfants, comme cela était le cas depuis l'affaire Élodie Kulick, dont le meurtre avait été le premier à être par une telle recherche en parentèle.
Un « changement d'échelle significatif concernant des personnes à l'encontre desquelles ne pèse aucune suspicion », déplorait alors la CNIL, qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives en matière de résolutions de « cold cases ».
Et ce, alors qu'Eric Dupond-Moretti vient d'annoncer le lancement d’un pôle judiciaire national unique consacré « aux crimes en série et non élucidés », censé permettre à ces dossiers « de rester vivants judiciairement ».
Pas moins de 240 dossiers pourraient être confiés aux trois juges d’instruction, au premier vice-président et deux vice-présidents qui intégreront ce pôle consacré aux cold cases, soulignait l'AFP :
« Les affaires non élucidées après 18 mois d’investigations infructueuses pourront être transmises au pôle. [...] On dénombre aujourd’hui en France 173 crimes non élucidés pour lesquels la justice est saisie et 68 procédures de crimes sériels. Cela représente au total 241 dossiers et certains sont très anciens. »
Contactée, la commission des lois, à qui la proposition de loi, qui ne figure pas dans son agenda, avait été renvoyée, nous explique qu'elle ne sera pas examinée lors de cette session parlementaire, qui finira la semaine du 28 février. Ce qui n'empêcherait pas qu'une autre proposition de ce type puisse à l'avenir être redéposée.