Ukraine et risque nucléaire : comment suivre en ligne les niveaux de radioactivité en Europe

On fait tourner les nanoSieverts
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Ukraine et risque nucléaire : comment suivre en ligne les niveaux de radioactivité en Europe
Crédits : cigdemhizal/iStock

La guerre en Ukraine met sous pression des centrales et centres de recherche nucléaires, engendrant des craintes liées à la radioactivité qui pourrait s’en dégager. Depuis la catastrophe de Tchernobyl, des milliers de sondes de surveillance sont installées en Europe et les données accessibles librement via un site de la Commission européenne.

La guerre en Ukraine déclenchée par l’invasion de l’armée russe a de nombreuses répercussions internationales, avec notamment des sanctions fortes contre la Russie. Rapidement, des experts internationaux ont fait part d’inquiétudes concernant les centrales nucléaires ukrainiennes.

Elles sont pour rappel quatre en fonctionnement dans le pays, en plus de Tchernobyl dont les réacteurs ont été arrêtés suite à la catastrophe de 1986. Tout le monde a encore en tête cet événement tragique et veut évidemment éviter qu’il se répète.

Des installations « nucléaires » sous pression

Aujourd’hui, la situation de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia, la plus grande d'Europe, est préoccupante expliquait il y a quelques jours Rafael Mariano Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (IAEA), une organisation internationale placée sous l'égide de l'ONU. « Les forces russes contrôlent maintenant la direction de la centrale et soumettent à leur approbation les décisions techniques prises par les exploitants ukrainiens. Ce n'est pas une manière sûre de gérer une centrale nucléaire ».

Lundi, l’Ukraine affirmait à l’IAEA « qu’une nouvelle installation de recherche nucléaire produisant des radioisotopes pour les applications médicales et industrielles avait été endommagée par les bombardements de la ville de Kharkiv ». Fort heureusement, « cet l’incident n’avait pas entraîné de hausse des niveaux de rayonnements sur le site ».

Hier, l’Agence internationale faisait de nouveau part de ses inquiétudes concernant Tchernobyl, suite aux dernières informations données par l’Ukraine. Elle indiquait que la centrale « avait été déconnectée du réseau électrique et n’avait plus d’alimentation électrique externe, deux semaines après que les forces russes ont pris le contrôle du site ». Néanmoins, « la déconnexion du réseau n’aurait pas un effet majeur sur les fonctions de sûreté essentielles sur le site ».

Un réseau de surveillance européen de la radioactivité 

Face à la prolifération des fausses nouvelles de tous les côtés et aux inquiétudes légitimes de chacun, il n’est pas facile de faire la part des choses, d’autant que cette guerre se déroule aux frontières de l’Union européenne. Afin de surveiller en temps réel les niveaux de radioactivité, la France et l’Europe disposent de plusieurs réseaux de sondes, mis en place suite à la catastrophe de Tchernobyl.

En France, il est baptisé Téléray pour la télésurveillance de la radioactivité dans l’air et Hydrotéléray pour l’eau des fleuves. L’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN) explique qu’il « permet de détecter rapidement toute élévation inhabituelle de la radioactivité ambiante. En cas d’accident nucléaire en France ou à l’étranger, il vise à aider l’IRSN à conseiller les pouvoirs publics sur les actions de protection d’urgence à mettre en place ».

400 sondes en France, des milliers en Europe

Depuis 2017, Téléray comprend 400 balises en France : 

  • Près de 100 sondes pour la surveillance globale du territoire, soit une balise par département. Ces sondes permettront d’obtenir des données pertinentes sur la contamination de l’air en cas d’événement accidentel de grande ampleur.
  • Près de 300 sondes pour la surveillance des agglomérations, situées entre 10 et 30 km autour des installations nucléaires. Ces sondes compléteront le dispositif des exploitants qui couvre la zone jusqu’à 10 km autour des sites.

Elles sont toutes sensibles aux rayonnements gamma et « fournissent une mesure du débit d’équivalent de dose gamma ambiant exprimée en nSv/h, avec une plage de mesure allant de 10 nSv/h à 10 Sv/h », ce qui est largement suffisant pour voir arriver d’éventuels risques (nous reviendrons juste après sur les niveaux d’exposition et les conséquences).

Au niveau européen, d’autres dispositifs du même genre ont été mis en place par les différents pays, mais leur densité et le délai de mise à jour des mesures (de 0 à 999 heures selon la Commission européenne) est très variable suivant les cas. Les données sont mutualisées au sein d’une plateforme baptisée EURDEP (European Radiological Data Exchange Platform) de la Commission européenne.

Une carte pour les regrouper toutes

Sur son site, cette dernière explique que « les pays qui envoient leurs données nationales ont accès aux données de tous les autres pays participants. En outre, il existe un "gentlemen’s agreement" selon lequel la participation à EURDEP signifie automatiquement que l’envoi des données se poursuivra en cas d’urgence, avec une fréquence plus élevée ».

Une carte accessible publiquement est disponible, elle permet de suivre en temps réel les moyennes des différentes sondes ainsi que les valeurs maximales. 

Radioactivité europe

Que se passe-t-il en cas d’alerte ?

L’IRSN explique que, « dès qu’une mesure dépasse une valeur seuil (150 nSv/h au-dessus des mesures habituelles), une alarme se déclenche au centre de télésurveillance. Ce dernier va analyser la mesure pour identifier l’origine de l’alarme : rejet accidentel, source radioactive passant à proximité de la balise, phénomène naturel ou dysfonctionnement ».

Vous vous demandez peut-être à quoi 150 nSv/h correspondent. Il s’agit de 150 nanoSieverts par heure… vous n’êtes pas plus avancé ? Pas de panique.

Le CEA explique que le Sievert (Sv) est l’« unité utilisée pour donner une évaluation de l'impact des rayonnements ionisants sur l'homme. La dose absorbée représente une énergie reçue par kilogramme ». Pour ceux qui voudraient plus de détails (les autres passez au paragraphe suivant) : « Elle s'exprime en Gray (1 Gy = 1 J/kg). Puis on multiplie cette dose par un facteur lié à la nature du rayonnement reçu pour calculer la dose équivalente. Elle s'exprime en Sievert (1 Sv = 1 J/kg). Enfin, on évalue la dose efficace en tenant compte de la sensibilité de chaque type de tissu atteint. Elle s'exprime également en Sievert ».

Afin d’éviter toute confusion par la suite, sachez que l’on parle de nanoSievert pour 10⁻⁹ Sievert, de μSv pour 10⁻⁶ et de mSv pour 10⁻³. Il y a donc un écart de 1 000 000 entre des nSv et des mSv : 1 mSv correspond à 1 000 000 nSv. Il convient également de ne pas mélanger les doses annuelle et ponctuelle d’exposition aux radiations. 

Quelques chiffres d’exposition à la radioactivité

Toujours selon le CEA, la radioactivité moyenne annuelle en France est de 2,4 mSv, mais elle peut monter à 5 mSv dans les zones granitiques de Bretagne. Dans la région du Kerala en Inde, elle monte même jusqu’à 70 mSv. On parle ici de la seule radioactivité naturelle, que vous pouvez également retrouver sur cette carte.

L’exposition médicale moyenne en France est de 1,6 mSv par an. Une radio du bras vous administrera une dose ponctuelle de 0,1 mSv contre 4 mSv pour une mammographie et 12 mSv pour un scanner abdominal. À partir d’une dose ponctuelle de 100 mSv, le CEA explique qu’il y a une « augmentation du risque de cancers ». À 6 000 mSv, il y a mortalité par œdème cérébral dans les mois qui suivent (c’était le cas d’ouvriers à Tchernobyl), tandis qu’à partir de 10 000 mSv c’est une mort rapide par hémorragie interne.

L’IRSN ajoute qu’un Français « reçoit au total une dose annuelle moyenne de l’ordre de 4,5 mSv », ce qui comprend « l'exposition à la radioactivité naturelle (radon, rayonnements telluriques, rayonnements cosmiques), à l'exposition médicale et à l'exposition aux radionucléides artificiels ».

En dehors des expositions médicales et naturelles, la limite d’exposition du public est fixée à 1 mSv/an. Pour arriver à cette valeur, il faudrait avoir une exposition de 114 nSv/h sur toute l’année. 

Les seuils d’alerte

Il existe trois seuils d’alerte selon l’Institut :

  • « À partir de 10 mSv, on préconise une mise à l’abri des populations. Cette dose représente 3 fois la dose annuelle reçue par la population française.
  • Au-delà de 50 mSv, l’évacuation est recommandée. Cela représente 15 fois la dose reçue par an par la population française.
  • Pour la population, on parle de fortes doses au-delà de 100 mSv, c’est-à-dire 30 fois la dose reçue par an par la population française. »

Il y a tout de même des exceptions pour les travailleurs du nucléaire : la limite réglementaire d'exposition est en France de 20 mSv/an. De plus, « une exposition à une dose de 100 mSv/an peut-être autorisée pour des interventions techniques d’urgence et de 300 mSv/an pour une intervention de secours à victimes ». Mais attention, « Au-delà de 100 mSv, des effets à long terme des rayonnements ionisants ont été démontrés par des études épidémiologiques (étude des populations d’Hiroshima et de Nagasaki) ».

Jusqu’ici tout va bien

Si l’on regarde de plus près la carte de la Commission européenne sur la dernière semaine, deux sites ont dépassé les 500 nSv/h ; et ils se trouvent tous deux en Finlande. Un premier pic à 720 nSv/h le 3 mars puis un retour sous les 100 nSv/h depuis, un autre le 7 mars à 714 nSv/h là encore avant de repousser sous les 100 nSv/h.

Deux sondes ont mesuré entre 300 et 500 nSv/h : une en France du côté de Cherbourg à 320 nSv/h (elle était le reste du temps entre 270 et 300 nSv/h) et une autre en Biélorussie à 490 nSv/h. Cette sonde a passé toute la semaine entre 450 et 500 nSv/h. Ces valeurs ont été retournées par les sondes sans explication sur la provenance.

La grande majorité des sondes (plus de 6 000) de la carte sont à moins de 200 nSv/h comme valeur maximum sur la dernière semaine. Aucun « nuage radioactif » n’a donc été détecté du côté de l’Ukraine (ou ailleurs en Europe), d’autant que des sondes sont directement sur place.

De plus, l’Allemagne et l’Autriche se trouvent entre nous et l’Ukraine et ces deux pays sont truffés de sondes, largement plus qu’en France. En cas de problème radioactif, la détection devrait donc être très rapide.

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