Le tribunal judiciaire de Paris avait rendu le 16 mars 2021 une ordonnance de référé dans le dossier du déploiement de la 5G. Il rejetait ce jour une demande d’expertise sur les réseaux 5G des principaux opérateurs. La Cour d’appel de Paris vient de confirmer la décision.
Dans un arrêt rendu le 5 janvier 2022, la cour d’appel a rejeté la demande d’expertises qu’avaient réclamée 500 personnes, regroupées derrière le site Proces-5G et visant Free Mobile, SFR, Orange et Bouygues Telecom.
Retour à mai 2020. Ces personnes réclamaient une telle expertise afin de vérifier « si, dans le cadre du déploiement de la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile (5G), les opérateurs ont mis en oeuvre les mesures nécessaires pour empêcher les atteintes à la santé humaine et à l'environnement et pour garantir la sécurisation des données personnelles ».
Après le rejet de l’ordonnance de référé, 39 personnes ont fait appel afin d’espérer une décision plus favorable. L’enjeu ? Vérifier si Bouygues Télécom, Free Mobile, Orange et SFR ont tout mis en œuvre pour prévenir là encore les risques d'atteinte au caractère privé des données personnelles et de cyber-attaques.
Une expertise pour éclairer d’éventuels futurs procès
Elles espéraient également un avis sur l'efficacité de ces mesures, ou à défaut que soit ordonnée la transmission de « tous éléments techniques et de fait de nature à permettre (…) de déterminer les responsabilités éventuellement encourues ». Et pour mener à bien cette mission, elles espéraient que l’expert désigné puisse recueillir « tous renseignements utiles ».
Pour apporter du poids à leur demande, elles soutenaient que « la mise en place de la 5G ouvre possiblement la voie à de futures mises en cause pénale des opérateurs », et ce pour atteinte à la vie privée, atteinte au secret professionnel et au secret des correspondances, ou encore aux traitements de données à caractère personnel.
Les opérateurs en rang de bataille
En face, SFR a opposé plusieurs arguments, en particulier que les risques évoqués sont simplement généraux, en vue d’éventuels procès futurs, sans certitude. Autre problème, l’expertise demandée n’est pas délimitée, les domaines visés sont trop larges, mal définis… Et surtout, ces questions relèveraient avant tout des compétences des autorités administratives, pas des juridictions judiciaires.
Pour Orange, même analyse : les mesures d'instruction sollicitées ont « pour finalité de contrôler et/ou de remettre en cause les décisions du Gouvernement et des autorités administratives compétentes ».
Autre point, les appelants n’ont pas démontré qu'ils résidaient « à proximité d'une antenne 5G, ou encore qu'ils étaient (…) personnellement exposés à un risque d'atteinte en matière de données personnelles ou de cyberattaques ».
Leur demande est dénoncée là encore comme trop générale, n’évoquant aucun risque précis. Une mesure « manifestement disproportionnée » où « il n'est pas démontré que les expertises conduites par les autorités publiques seraient insuffisantes ».
Et chez Bouygues Télécom aussi, cette demande « s'immisce dans l'exercice de la police spéciale dévolue aux autorités administratives et constitue, par conséquent, une atteinte à la séparation des pouvoirs », d’autant que « parmi les 39 appelants, 25 résident à l'étranger et ne peuvent avoir un intérêt à agir contre une technologie en cours de déploiement sur le territoire français ».
L’opérateur insiste : « aucune faute des opérateurs liée au déploiement de la 5G n'est démontrée, ni même alléguée » dans cet appel. Il répète comme ses concurrents que les risques évoqués ont déjà fait l’objet d’une « évaluation rigoureuse par les autorités compétentes ».
Et Free ? Même analyse, niant la compétence du juge judiciaire, puisque ces questions relevant des pouvoirs des autorités publiques (ARCEP, ANFR, ANSES, ANSSI) : « la prévention des risques d'atteinte au caractère privé des données personnelles et/ou tout risque de cyber-attaques dans le cadre du déploiement de la technologie 5G relève du seul champ de compétence des pouvoirs publics ». Et l’opérateur d’Iliad de ne pas comprendre en quoi cette fameuse expertise serait nécessaire au regard des textes en vigueur.
Selon Free, son objet est bien trop large, « puisqu'il porte sur une technologie en elle-même (la 5G) et non sur les conséquences de la présence d'une station-relais en particulier et en un lieu donné ». En outre, « la mission de l'expert, consistant à donner son avis sur l'efficacité des garanties et des procédés techniques pour prévenir tout risque d'atteinte au caractère privé des données personnelles et/ou tout risque de cyber-attaque, excède, par son ampleur et sa technique, la compétence d'un expert judiciaire ».
La cour d’appel rappelle les exigences de l’Arcep
La cour d’appel, dans son arrêt du 5 janvier que nous avons pu consulter, a rappelé que l’Arcep a déjà défini la liste des obligations légales pesant sur les opérateurs (décision n° 2019-1386). Parmi elles, celle de « respecter la réglementation en vigueur relative aux exigences essentielles nécessaires pour garantir la protection de la santé des personnes ». Et ces obligations ont été citées parmi les conditions d’attribution des autorisations de la bande 3,5 GHz.
De plus, l’article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques impose le respect de plusieurs « exigences essentielles », dont « la protection des réseaux », « l'interopérabilité des services et celle des équipements radioélectriques », et « la protection des données à caractère personnel et de la vie privée des utilisateurs et des abonnés ».
Consacrant l’analyse des opérateurs, l’arrêt en déduit au final que « les questions relatives à la protection de la vie privée des utilisateurs et des abonnés relèvent de la police spéciale des communications électroniques instituée par le code des postes et des communications électroniques et confiée à l'État par le législateur ». Ainsi, de telles questions ont « fait l'objet d'un examen par l'autorité administrative compétente lors du choix des opérateurs ».
Ce panorama de la réglementation entre donc en confrontation avec les demandes des appelants, à savoir qu’il n’est finalement pas possible de demander à l’autorité judiciaire d’évaluer les appréciations exprimées par les autorités administratives, comme « les mesures de protection du public contre les effets des ondes émises par les stations radioélectriques ».
Faire droit à une telle demande d’expertise « serait, par ailleurs, susceptible de priver d'effet les autorisations » que l’Arcep a délivrées. En somme, une telle immixtion du judiciaire sur l’administratif n’est pas possible et une nouvelle fois la demande a été rejetée.