À défaut de pouvoir observer l’Univers comme ils le souhaitent, les scientifiques ont recours à des astuces. L'équipe GRAVITY explique ainsi comment elle a « obtenu les images les plus détaillées et les plus nettes à ce jour de la région entourant le trou noir supermassif au centre de notre galaxie ».
Sagittarius A* est bien connu des astronomes amateurs : il s’agit d’un trou noir supermassif situé au centre de la Voie lactée (notre galaxie), dans laquelle se trouve donc le système Solaire et la Terre. Il pèse la bagatelle de plus de 4 millions de fois la masse de notre Soleil et se trouve à environ 26 000 années-lumière.
Pour rappel, il s'agit d'un objet tellement massif qu’il ne laisse s’échapper aucune matière ni lumière, pas le moindre photon. « Bien que peu actif ce trou noir et son environnement font l’objet d’observations à toutes longueurs d’onde depuis sa découverte en 1974 car, grâce à sa proximité et sa taille, il permet l’exploration des phénomènes étranges qui se déroulent autour de ces objets mystérieux, prévus par la théorie de la relativité générale », rappelle l’Université de Paris. Les trous noirs sont aussi au cœur des premières détections d’ondes gravitationnelles.
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Plongeon au centre galactique
Le Very Large Telescope en mode interféromètre (nous allons y revenir) de l'Observatoire Européen Austral (VLTI de l'ESO) « a obtenu les images les plus détaillées et les plus nettes à ce jour de la région entourant le trou noir supermassif […] Les nouvelles images permettent de zoomer 20 fois plus que ce qui était possible avant ».
Au-delà de la beauté du geste, cette avancée à des conséquences tangibles sur notre connaissance de l’Univers. En effet, ces images ont « aidé les astronomes à trouver une étoile jamais observée auparavant à proximité du trou noir. En suivant les orbites des étoiles au centre de notre Voie lactée, l'équipe a réalisé la mesure la plus précise à ce jour de la masse du trou noir ». Deux articles ont été publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics (ici et là).
Nous devons ces travaux à l’équipe GRAVITY, placée sous la houlette de l’Allemand Reinhard Genzel, lauréat du Nobel de physique en 2020 pour la découverte « d'un objet compact supermassif au centre de notre galaxie », qui n’est autre que le fameux Sagittarius A*.
GRAVITY s’était déjà illustrée il y a quelques années en confirmant « des prédictions de la relativité générale aux abords du trou noir supermassif au centre de la Galaxie »… théorie qui ne cesse d’être validée au fil du temps malgré les « attaques » des scientifiques pour essayer de trouver des failles et y glisser d’autres théories.
L’interférométrie à la rescousse…
Les observations ont été réalisées entre mars et juillet 2021. Les chercheurs ont alors effectué des mesures précises des étoiles lorsqu'elles s'approchaient du trou noir. GRAVITY combine en fait la lumière de quatre télescopes de 8,2 mètres provenant des installations du VLT, puis utilise une technique appelée interférométrie.
Cette dernière est « complexe », mais permet d’obtenir « une image d’une finesse équivalente à celle d’un télescope beaucoup plus grand », rappelle l’Observatoire de Paris. Il n’y a pas de secret : plus le diamètre est important, meilleure est la résolution de l’image. En combinant les télescopes du VLT, on peut ainsi obtenir l’équivalent d’un miroir de… 134 mètres ! On parle alors de « VLTI », pour VLT Interferometer.
GRAVITY comprend tout un ensemble de sous-systèmes : « optique adaptative ; un suiveur de franges ; spectromètre ; métrologie pour l’astrométrie de précision ». Pour les détails du fonctionnement de cet instrument complexe, c’est par là que ça se passe.
Cette technique porte ses fruits : « au final, on obtient des images 20 fois plus nettes que celles provenant des télescopes du VLT individuellement, révélant ainsi les secrets du centre galactique », explique Frank Eisenhauer du MPE (Institut Max Planck de physique extraterrestre) et chercheur principal de GRAVITY.
… et aussi l’apprentissage automatique
Afin d’obtenir ces nouvelles images, les astronomes ont utilisé de l'apprentissage automatique : la théorie des champs d'information. « Ils ont créé un modèle de l'apparence des sources réelles, simulé la façon dont GRAVITY les verrait et comparé cette simulation aux observations de GRAVITY ». Pour simplifier, ils créent des modèles puis vérifient qu’ils correspondent à la réalité des mesures afin de les valider ; une manière de faire courante en science.
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L’ESO ajoute que l'équipe GRAVITY a également utilisé les données de NACO et SINFONI, deux anciens instruments du VLT, ainsi que des mesures de l'observatoire Keck et de l'observatoire Gemini du NOIRLab aux États-Unis.

Quels résultats au final ?
Le résultat est probant : « Cela leur a permis de trouver et de suivre les étoiles autour de Sagittarius A* avec une profondeur et une précision inégalées ». Un des résultats concerne l'étoile S29, qui avait déjà été détectée par GRAVITY auparavant. Elle détient désormais « le record de l'étoile qui s'est approchée le plus près du trou noir à la fin du mois de mai 2021. Elle est passée à une distance de seulement 13 milliards de kilomètres du trou noir, soit environ 90 fois la distance Soleil-Terre ».
Sa vitesse « stupéfiante » était alors de 8 740 km/s, soit plus de 31 millions de kilomètres par heure. « Aucune autre étoile n'a jamais été observée en train de passer aussi près du trou noir ou de le contourner aussi rapidement ». De quoi faire passer la sonde Parker Solar Probe pour un escargot, alors qu’elle se déplace à plus de 585 000 km/h.
Autre découverte notable : une nouvelle étoile, baptisée « S300, qui n'avait jamais été repérée auparavant ». Pour l’Observatoire cela « montre à quel point cette méthode est puissante lorsqu'il s'agit de repérer des objets très peu lumineux à proximité de Sagittarius A* ».
GRAVITY+ en embuscade
Dans le courant de la décennie, GRAVITY sera mis à jour pour devenir GRAVITY+. Il sera « également installé sur le VLTI de l'ESO et poussera encore plus loin la sensibilité pour révéler des étoiles moins lumineuses encore plus proches du trou noir ». L'équipe espère alors trouver des étoiles si proches du trou noir que « leurs orbites ressentiront les effets gravitationnels causés par la rotation » de Sagittarius A*.
Bien évidemment, les chercheurs attendant aussi des améliorations avec l’Extremely Large Telescope (ELT) qui est en cours de construction dans le désert chilien d'Atacama. La promesse est toujours la même : améliorer la précision des mesures : « Grâce à la puissance combinée de GRAVITY+ et de l'ELT, nous serons en mesure de déterminer à quelle vitesse le trou noir tourne […] Personne n'a été en mesure de le faire jusqu'à présent ». Mais bon, on a encore le temps de voir venir puisque l’ELT est attendu pour la fin de cette décennie.