Dans un arrêt du 10 novembre 2021, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Imation, fabricant de CD et DVD vierges. Elle a refusé de transmettre « une question préjudicielle » à la justice européenne, tout en considérant que le droit de l'UE ne s’appliquait pas directement à Copie France, collecteur de la redevance.
Le fabricant derrière TDK ou Mémorex avait entamé un long bras de fer avec l’organisme collectant la redevance en France pour le compte de la SACEM, la SACD, l’ADAMI, la SPEDIDAM, la SPPF ou encore la SCPP.
Retour en ce 17 juin 2011 lorsque le Conseil d’État annulait une série de barèmes adoptés par la Commission copie privée en 2008.
Il faut dire que les tarifs étaient jusqu’alors pour le moins critiquables : tous les supports étaient indistinctement soumis à la redevance, même ceux achetés par les entreprises. Une violation flagrante du droit européen.
Depuis la directive de 2001 sur le droit d’auteur, seules les copies d’œuvres faites par les particuliers pour leurs besoins privés doivent être compensées ou couvertes par cette redevance. Pas les autres.
Dans son coup de hache, le Conseil d’État fut rapidement confronté à un problème : une telle annulation imposait de revenir à l’état initial. Or, les sommes collectées depuis 2008 en application de ces barèmes déclarés illicites avaient été depuis « consommées » par les industries culturelles.
75 % sont en effet réparties chaque année entre les auteurs, producteurs, artistes, etc., 25 % pour financer le festival, le lobbying, les frais d’avocat…, minorées à chaque strate des frais administratifs des sociétés de gestion collective.
Bon prince, la juridiction annulait donc ces barèmes, mais uniquement pour l’avenir, tout en différant de six mois les effets de cette annulation. Ainsi, les ayants droit n’eurent pas à rembourser le moindre centime de ces centaines de millions d’euros indument perçus grâce à des barèmes contraires au droit européen.
Cet arrêt français faisait lui-même suite à une décision du 21 octobre 2010 dite « Padawan » où la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà rappelé l’exigence d’une séparation stricte entre la redevance copie privée et les supports mis à disposition des utilisateurs non particuliers (et donc des professionnels).
En clair : pas de « taxe » copie privée sur les supports pros puisqu’ils ne sont pas censés abriter des copies privées d’œuvres protégées (notre actualité).
Des pros mis toujours à contribution
Rapidement, Imation était montée sur les barricades, épinglant deux problématiques : est-ce qu’une juridiction nationale, ici le Conseil d’État, est bien en capacité de limiter dans le temps la violation d’une disposition européenne interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne ? Secondement, peut-on faire payer, fût-ce à titre provisoire, ces professionnels ?
Cette seconde question est née des suites de l’arrêt du Conseil d’État. Après cette décision, la loi fut en effet mise à jour le 20 décembre 2011. Plutôt que de prévoir un non-versement de la redevance sur les supports achetés par exemple par une personne morale, le législateur a instauré un principe de remboursement des professionnels. Une solution géniale…pour les industries culturelles.
En France, la redevance étant versée par l’importateur et le fabricant, les sommes sont répercutées d’une manière ou d’une autre dans tous les maillons de la chaîne jusqu’à l’acheteur final, indistinctement.
Peu importe que l’acheteur soit un particulier désireux réaliser des copies d’œuvre, un hôpital, une collectivité locale, une société privée, un autoentrepreneur, une association, etc. Tout le monde paye, comme avant l’arrêt du Conseil d’État.
Depuis la loi de 2011, ces « non-particuliers » peuvent ensuite agir en remboursement pour récupérer ce qu’ils n’avaient pas à payer. Les plus téméraires peuvent même être exemptés, comme ces 1 526 sociétés qui le sont, actuellement… sur des millions de personnes morales.
Kafkaïen… mais très avantageux pour les ayants droit puisque les sommes dont le remboursement n’est pas réclamé par ignorance ou contrariétés administratives sont conservées par le milieu de la création.
Compenser le trop versé en stoppant les versements futurs
La stratégie d’Imation fut de contourner l’édifice français pour revenir aux fondamentaux européens. Comment ? Le fabricant avait identifié une quarantaine de millions d’euros de redevance payée à partir de son canal commercial depuis 2002.
Pourquoi cette année-là ? Car elle correspond à celle de la transposition française de la directive sur le droit d’auteur.
Pour l’entreprise, ces 40 millions d’euros n’auraient jamais dû être payés, puisque ces supports n’auraient jamais dû, d’une manière ou d’une autre, supporter des copies d’œuvres.
En 2011, l’entreprise avait alors bloqué les versements de la redevance à Copie France sur les supports assujettis, afin de compenser ce trop-versé.
Saisie en urgence, la justice avait même jugé un an plus tard la contestation du régime français comme suffisamment « sérieuse » pour ne pas condamner Imation à payer.
La suite s’est montrée moins heureuse pour le fabricant. Au fond, en 2016, le tribunal de grande instance de Paris l’obligeait à verser à Copie France 14 millions d’euros en souffrance, pour des cassettes audio et VHS, des minidisques et disquettes MFD, CD, DVD, clefs USB, cartes mémoires et disques durs externes commercialisés à partir de 2011.
Ce jugement précédait une autre défaite en appel le 9 octobre 2020 qui confirmait cette obligation de paiement.
Entretemps, la Cour de justice de l’Union européenne avait pourtant rendu un arrêt pour le moins en phase avec les positions d’Imation. Il concernait le régime italien, proche du régime français. Les juges européens ont exposé alors que :
« Le droit de l’Union européenne (…) s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, d’une part, subordonne l’exonération du paiement de la redevance pour copie privée des producteurs et des importateurs d’appareils et de supports destinés à un usage manifestement autre que la copie privée à la conclusion d’accords entre une entité, qui dispose d’un monopole légal de la représentation des intérêts des auteurs des œuvres, et les redevables de la compensation ou leurs associations sectorielles, et, d’autre part, prévoit que le remboursement d’une telle redevance, lorsqu’elle a été indûment payée, ne peut être demandé que par l’utilisateur final desdits appareils et supports. »
Pour Imation, Copie France n’est pas n’importe quelle personne privée
Imation formait un pourvoi. C’est l’arrêt rendu le 10 novembre par la Cour de cassation. La thèse défendue dans ce bras de fer de 10 ans d’âge avec Copie France ? La directive sur le droit d’auteur doit non seulement être respectée par les Etats membres, mais elle s’impose aussi directement à cet organisme, qui ne peut procéder à ces collectes sur le canal professionnel (B2B).
Cette thèse heurte certes un principe : une directive ne peut être invoquée que dans un litige qui oppose un particulier à l’État. C’est ce que les juristes appellent l’absence d’effet horizontal dans les litiges entre personnes privées.
Cependant, Imation considère que Copie France n’est pas n’importe quelle personne privée. Elle serait même une émanation de l'État. En témoignent ses nombreuses caractéristiques.
La loi a confié aux sociétés de gestion collective les clefs de la collecte. « Une mission de service public » estime même le fabricant. Ceci est d’autant plus vrai que 25 % des sommes collectées doivent servir à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant, ou encore aux actions de défense du secteur. Ces postes relèveraient de l’intérêt général. Contrôlée par la Commission de contrôle des organismes de gestion collective, Copie France dispose en outre d’agents assermentés dont les procès-verbaux ont la même valeur probante que ceux dressés par des officiers de police judiciaire.
Bref, dire que c’est une personne privée comme une autre est aller vite en besogne. Et le droit européen devrait donc pouvoir lui être opposé.
Copie France, une société comme une autre
La Cour de cassation va balayer l’argumentaire : Copie France est une société privée, agissant pour le compte d’intérêts privés, « autonome de l’État », sans « pouvoir significatif exorbitant du droit commun ». Elle n’est « pas assimilable à un organisme étatique ou para-étatique auquel un particulier pouvait opposer directement une directive européenne ».
Imation reprochait également aux juges du fond de ne pas avoir éprouvé la légalité des premiers barèmes de la commission copie privée sur l’autel du droit européen. Même coup de balai en cassation : « dès lors qu'une directive ne crée pas directement d'obligations à l'égard de particuliers, qu'ils soient personnes physiques ou morales, le principe de primauté du droit de l'Union ne permet pas au juge national d'écarter, dans un litige entre ces particuliers, une norme nationale au motif qu'elle serait contraire à celle-ci ».
De la même façon, a-t-elle estimé, les juges du fond ne pouvaient pas dans un litige entre personnes privées, écarter l’application des barèmes maintenus artificiellement en vie par le Conseil d’État durant 6 mois.
Pas de question préjudicielle transmise à la Cour de justice de l’UE
La Cour de cassation a enfin refusé de soumettre une série de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, les considérant comme non pertinentes. Imation voulait notamment savoir si une juridiction nationale pouvait maintenir provisoirement un barème contraire au droit européen, ou si Copie France, au regard de ses caractéristiques, était une émanation de l’État.
Alors que le sujet de la redevance a conduit de nombreuses juridictions relevant d’autres États membres à saisir la Cour de justice de l’Union européenne, en France, pas une seule question préjudicielle n’a été transmise sur le sujet à la cour de Luxembourg.
Sclérosée un peu plus, la situation française fait qu’aujourd’hui encore, une petite entreprise cherchant à obtenir remboursement de 28 euros de copie privée, peut avoir à payer 4 euros de frais bancaires, un timbre et passer environ trois quarts d’heure pour constituer son dossier.