À l’ONU, les embuches pour « prévenir une militarisation de l’espace extra-atmosphérique »

C’est pas moi c’est lui
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À l’ONU, les embuches pour « prévenir une militarisation de l’espace extra-atmosphérique »
Crédits : DKosig/iStock

Si pour le moment l’espace est (relativement) en paix, son arsenalisation inquiète. Les Nations Unies travaillent sur de nouveaux « moyens de prévenir une militarisation de l’espace extra-atmosphérique », mais doit faire face à des querelles internes entre occidentaux d’un côté, Chine et Russie de l’autre.

Au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies il y a six grandes commissions : la première s’occupe des questions de désarmement et de sécurité internationale, la seconde des aspects économiques et financiers, les suivantes des questions humanitaires, politiques, administratives et enfin juridiques pour la sixième.

Celle qui nous intéresse aujourd’hui est la première, dont le but est de « formuler des recommandations » qu’elle transmet ensuite à l’Assemblée générale. Il y a quelques jours, elle a adopté cinq projets de résolution sur « l’espace extra-atmosphérique (aspects relatifs au désarmement) ». Il faut dire que le principal texte en la matière date de 1967 – soit 10 ans après Spoutnik – avec le traité « sur les principes régissant l’activité des États en matière d’exploration de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes » des Nations Unies.

Deux projets n’ont pas posé souci, mais l’ambiance était plus tendue pour les trois autres. Durant les débats, les explications « ont confirmé les désaccords quant à l’approche de la question et plus encore une profonde méfiance entre, d’un côté, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, de l’autre la Chine et la Fédération de Russie ».

L’enjeu est important puisque, comme l’expliquait un rapport sénatorial de l’année dernière, « si l’espace n’est pas, pour le moment, un théâtre de guerre, force est de constater qu’il est de moins en moins un univers de paix ». Son « arsenalisation […] n’est plus une hypothèse ; elle ne semble plus être désormais qu’une question de temps ».

C’est donc une course contre la montre dans laquelle les Nations Unies avancent… doucement et en ordre dispersé.

Russe et Chine vs Europe et États-Unis : fight !

Un des deux projets qui est passé sans difficulté réaffirme « qu’il est important et urgent de prévenir une course aux armements dans l’espace, objectif commun à la réalisation duquel tous les États sont prêts à contribuer ». Dans son communiqué, l’Assemblée générale en profite pour rappeler « une fois encore que le régime juridique applicable à l’espace ne suffit pas, à lui seul, à garantir la prévention d’une course aux armements dans ce milieu ».

Le second projet adopté sans vote est intitulé « Mesures de transparence et de confiance relatives aux activités spatiales ». Il s’agit là encore d’afficher une bonne volonté, sans trop d’engagements de la part des États membres. La première commission les encourage de nouveau à « mettre en œuvre, dans toute la mesure possible et compte tenu de leurs intérêts nationaux, les mesures de transparence et de confiance ».

Sur les trois autres projets, deux visions se sont heurtées, mais « c’est sur le projet de résolution d’origine russo-chinoise, intitulé "Non-déploiement d’armes dans l’espace en premier" – l’"initiative NFP" [alias A/C.1/76/L.50, ndlr] –, finalement adopté par 124 voix pour, 35 contre et 22 abstentions, que les discussions ont été les plus intenses ».

C’est quoi une « arme dans l’espace » ?

La France – qui parlait en son nom et aussi en celui des États-Unis et du Royaume-Uni – était « farouchement opposée » à cette proposition. Elle expliquait « notamment que "l’initiative NFP" ne définit pas de manière adéquate ce qui constitue une "arme dans l’espace" ».

Parmi les menaces potentielles (qui ont été longuement détaillées durant les débats avant le vote), il était question de satellites espions provoquant délibérément des interférences des fréquences radio, mais aussi de brouilleurs de satellites installés sur la terre ferme. Autant de menaces susceptibles d’« avoir un impact sur la sécurité des personnes et des biens ». Dans l’espace, la surveillance de satellites par des satellites espions étrangers est déjà une réalité depuis plusieurs années.

Dans son plaidoyer, la France expliquait que ce manque de précision ne ferait « qu’accroître la méfiance ou l’incompréhension à l’égard des activités et des intentions des États ». Le représentant de notre pays citait en exemple la « poursuite du développement de toutes les armes et capacités antisatellites, y compris celles basées sur Terre » par certains coparrains du projet de résolution. Une telle attitude n’étant pas dans la lignée des déclarations et des ambitions diplomatiques.

Il y a aussi les armes antisatellites telles que des lasers ou des missiles lancés depuis la Terre. Ils constituent une menace sérieuse, « notamment en créant de multiples débris à longue durée de vie sur des orbites précieuses pendant des centaines d’années à l’instar de ce qu’a pu produire un unique essai antisatellite en 2007 ». La Chine qui avait (ré)ouvert le bal cette année (les États-Unis avaient arrêté leurs essais dans les années 80) avec un satellite à 800 km d’altitude. Les USA emboitaient le pas en 2008, puis la Russie en 2015.

Un quatrième pays est venu se joindre à la liste : l'Inde en 2019. Cette mission baptisée Shakti avait fait bondir l’administrateur de la NASA qui l’avait qualifiée d’inacceptable : « la NASA doit être très claire sur son impact [...] ce genre d'activité n'est pas compatible avec l'avenir des vols habités ». À chaque fois, les pays détruisaient leur propre satellite ; il s’agit surtout de marquer les esprits et de montrer ses muscles dans la guerre froide spatiale.

Des garanties ? Quelles garanties exactement ?

La France « souligne aussi les limites à la capacité d’un État à comprendre l’objectif d’un satellite une fois qu’il a été lancé. Or, l’initiative NFP ne contient aucune caractéristique qui permettrait de confirmer efficacement l’engagement politique d’un État à "ne pas être le premier à placer des armes dans l’espace" ».

Les Nations Unies ajoutent que la France « a repris en partie les mêmes arguments pour exprimer son opposition à un autre projet coparrainé par la Fédération de Russie, celui intitulé "Nouvelles mesures concrètes de prévention d’une course aux armements dans l’espace" », et qui correspond à la résolution A/C.1/76/L.53. Il a été adopté, avec 126 voix pour, 9 contre et 46 abstentions.

Là encore, il est reproché à la Fédération de Russie de ne pas définir précisément ce que signifiait l’expression « garanties à mettre en place pour prévenir une course aux armements dans l’espace ». Cette formulation serait susceptible « d’entraver la capacité des États à élaborer une réponse adéquate ».

De plus, cette résolution « ignore le lien entre les satellites, les données qu’ils nous fournissent et les systèmes terrestres dont dépend notre sécurité ». Il ne faut donc pas se limiter à l’espace seulement et aussi regarder ce qu’il se passe sur Terre : « des armes spatiales basées sur Terre sont tout aussi susceptibles de provoquer une course aux armements dans l’espace que les menaces en orbite ».

La Chine et la Russie contre un projet du Royaume-Uni

Enfin, le troisième projet controversé était d’origine britannique. Il veut « réduire les menaces spatiales au moyen de normes, de règles et de principes de comportement responsable », et il est référencé A/C.1/76/L.52.

Son but étant de faire en sorte que l’espace demeure « un environnement pacifique, sûr, stable et durable, à l’abri d’une course aux armements et de conflits ». Le Royaume-Uni avait le soutien de l’Union européenne sur cette proposition, mais elle s’est heurtée à l’opposition de la Chine et de la Fédération de Russie.

Il était notamment reproché « de traiter de questions telles que les débris dans l’espace, qui relèvent des travaux du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS) ». Reste qu’en cas de « guerre » dans l’espace, il y aura évidemment des débris comme effet collatéral, avec un risque de réaction en chaine. 

Entre « patrimoine commun » et « avenir commun »

Notez que la France est montée au créneau pour une phrase promue par la Chine dans deux résolutions (L.50 et L.53) âprement discutées : « bâtir pour l’humanité un avenir commun ». 

Il s’agit, selon le représentant, de « modifier le langage actuel sur le multilatéralisme et la géopolitique mondiale dans le système international ». Pour la France, cette expression « n’a aucune signification ni aucun rapport avec la prévention d’une course aux armements dans l’espace », elle ne devrait donc pas s’y trouver. 

L’ONU indique enfin que plusieurs de ses États membres ont voté en faveur des trois textes. C’est notamment le cas de la Malaisie et de l’Égypte (au nom du Groupe arabe) « que l’essentiel était de préserver l’espace extra-atmosphérique comme patrimoine commun de l’humanité à la vocation exclusivement pacifique ».

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