Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande de e-Enfance et de la Voix de l’Enfant. Les sites pornographiques mis à l’index par les deux associations ne seront pas bloqués. Un répit de courte durée pour les sites pornos, puisque la procédure parallèle devant le CSA va pouvoir reprendre.
Au fil de la décision de 22 pages que nous diffusons ci-dessous, la justice a finalement rejeté la demande de blocage que devaient mettre en œuvre Free, SFR, Bouygues et Orange.
Pour en comprendre les raisons, il faut revenir sur les fondements de cette procédure. Elle a d’abord pris pour tremplin la loi sur la confiance dans l’économie numérique, qui dans sa version en vigueur au jour de l’assignation, prévoyait que
« L'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 [les hébergeurs, ndlr] ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 [les FAI, ndlr], toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne. »
De ces lignes, le juge des référés considère que « les mesures de blocage de sites illicites doivent être prioritairement conduites contre les hébergeurs des sites litigieux, les fournisseurs d'accès pouvant être sollicités seulement en cas de défaillance des hébergeurs ».
Dit autrement, cette disposition consacre bien ce que les juristes appellent « principe de subsidiarité ».
« Fondé sur des motifs d'efficacité et de proportionnalité », il oblige les demandeurs à ne solliciter des mesures chez les FAI que s’il est démontré l'impossibilité d'agir d’abord à l’encontre de l’éditeur ou de l’hébergeur.
Toujours en quête d’une solution proportionnée, objectif maintes fois rappelé à la même audience, le juge prévient en outre que « le dommage doit être de nature à justifier la mesure de blocage ».
Des éditeurs parfaitement identifiés
Durant l’audience, les deux associations avaient justifié la mise en cause directe des FAI, appelés à bloquer neuf sites pornographiques, dont YouPorn et PornHub, par un arrêt de 2008 de la Cour de cassation.
Celle-ci avait estimé que « la prescription de ces mesures [de blocage, ndlr] n'est pas subordonnée à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement ».
Depuis lors, cependant, plusieurs juridictions avaient fait de la résistance, obligeant donc celui réclamant une mesure de blocage, à d’abord contacter son auteur (l’éditeur), puis l’hébergeur (le prestataire technique), avant de réclamer quoi que ce soit des FAI.
Toujours à l’audience, les deux associations avaient justement soutenu n’avoir pu contacter les éditeurs ou les hébergeurs de ces sites pornos, qui seraient tous anonymes. Une affirmation qu’avaient vigoureusement combattue les fournisseurs d’accès, dont les avocats n’avaient eu aucun mal à identifier ces personnes !
« YouPorn » est ainsi détenu par MG FREESITES LTD, une société chypriote. « Xhamster » est édité par Hammy Media Ltd à Lymassol, toujours à Chypre. Et « Redtube » est édité par MG Content RT Limited, sise au 178 Fitzwilliam Business Centre, 77 Sir John Rogerson Quai, Dublin 2, en Irlande.
« Les sociétés éditrices sont identifiables et expressément identifiées », constate lui aussi le juge des référés, non sans relever que « des adresses postales au sein de l'Union européenne, ou électroniques, permettant un contact direct sont mentionnées par les conditions générales et les politiques de confidentialité desdits sites ».
La décision considère en conséquence que e-Enfance et la Voix de l’Enfant « n'établissent pas avoir tenté de prendre contact » avec les sociétés. Elles « échouent ainsi à rapporter la preuve qui leur incombe, d'une impossibilité d'agir efficacement ou rapidement contre l'hébergeur ou l'éditeur des neuf sites litigieux ».
En résumé, pour agir efficacement et proportionnellement au regard des différentes atteintes aux libertés fondamentales, ces deux associations auraient dû contacter les éditeurs et les hébergeurs. Elles ne l’ont pas fait prétextant leur anonymat, alors que ces personnes sont bien identifiées dans les CGU de chacun des sites. Leur demande fondée sur la LCEN a donc été tout naturellement rejetée.
Le « trouble manifestement illicite »
e-Enfance et la Voix de l’Enfant ont également actionné un autre levier : agir en référé contre le « trouble manifestement illicite ».
Le trouble manifestement illicite en cause est l’infraction à l’article 227-24 du Code pénal. C’est l’article qui réprime le fait de laisser accessible un contenu pornographique aux mineurs.
Pour le magistrat, pas de doute : « il est établi que l'accès par les mineurs à des contenus pornographiques édités par les neuf sites (…) constitue un trouble manifestement illicite, en ce qu'il matérialise l'infraction prévue et réprimée à l'article 227-24 du Code pénal ».
Mais là encore, l’aiguillon de la proportionnalité va jouer puisque, aussi enquiquinant soit-il, on n’écrase pas un moustique avec une bombe atomique. « L'exercice de ce contrôle de proportionnalité suppose la démonstration préalable par le demandeur que le trouble invoqué est imputable au défendeur afin que celui-ci puisse être en mesure de faire valoir ses intérêts et présenter ses observations sur les mesures envisagées ».
Ici, seuls les FAI ont été assignés, non les auteurs des sites pornos mis à l’index. C’est avant tout ces éditeurs qui auraient dû être mis en cause afin qu’ils puissent présenter leurs observations, proposer des solutions alternatives, etc.
« Il s'en infère que la juridiction saisie n'est pas en situation de pouvoir exercer le contrôle de proportionnalité des mesures sollicitées, alors même que les circonstances de l'espèce ne justifient pas qu'il soit dérogé au principe de la contradiction », écrit joliment Fabrice Vert, le vice-président du tribunal judiciaire de Paris.
En clair, en n’ayant pris pour cible que les FAI, les deux associations n’ont laissé qu’une alternative au juge : ou bien ordonner le blocage ou bien autoriser ces sites. Un choix un peu trop simpliste pour un magistrat, toujours en quête d’une solution proportionnée et contradictoire.
Trois autres associations devant le CSA
Cet échec intervient alors que ce matin, au Journal officiel, le gouvernement a donné les derniers coups de truelle à une autre procédure de blocage visant toujours les sites pornos.
Crée par la loi de 2020 contre les violences conjugales, elle permet à quiconque de saisir le président du CSA. Cette casquette de gendarme sur la tête, il se voit chargé par le décret publié au Journal officiel, à échanger avec l’éditeur pour l’enjoindre à trouver une solution pour s’assurer que les internautes qui viennent consulter les sites pornos sont bien majeurs.
C’est seulement en cas d’échange infructueux que la justice peut être saisie aux fins de blocage et/ou déréférencement.
Notons que l’Arcep dans son avis sur le projet de décret tout juste mis en ligne, a elle-même appelé à des solutions de blocage proportionnées, afin de s’assurer aussi que les mesures soient techniquement faisables : « délais dans lesquels les FAI doivent mettre en œuvre le dispositif de blocage, délai de blocage, processus et délai de déblocage éventuel, etc. ». Et sa présidente de s’interroger sur « l’éventuelle compensation des surcoûts » qui pourraient résulter de ces mesures pour les FAI.
La publication du décret va désormais permettre à l’UNAF, OPEN et la COFRADE, trois autres associations, de réactiver la procédure qu’elles avaient initiée devant le président du CSA. Ce qui vient d'être annoncé par les concernées.

Une procédure qui avait été repoussée dans l’attente de la publication du décret et suite à une notification de ce texte à la Commission européenne.
Comme on peut le constater dans notre tableau, les sites visés par la procédure CSA ne sont pas toujours identiques à celles initiées devant le vice-président du tribunal judiciaire. Relevons que le site Jacquie et Michel devrait y échapper puisque ce service pour adulte fait depuis appel à MyPass18, un tiers de confiance spécialisé dans le contrôle d'âge.