Demain après-midi, la justice rendra son ordonnance sur l’éventuel blocage de Pornhub, Tukif, xHamster, xVideos, RedTube ou encore YouPorn. Me Laurent Bayon, avocat des deux associations à l’origine de cette procédure, revient dans nos colonnes sur ce dossier.
Blocage ou pas blocage ? Le vice-président du tribunal judiciaire de Paris rendra demain son ordonnance, à l’initiative de e-Enfance et la Voix de l’Enfant. Neuf sites sont visés, dont l’accès pourrait être bloqué chez les plus grands FAI français, à savoir Bouygues, Orange, SFR et Free (mais pas Free mobile).
Pour Me Laurent Bayon, il y a urgence à agir. Dans tous les cas, cette procédure aura dans le mérite d’ouvrir le débat sur des sites pour adultes, jugés bien trop accessibles aux mineurs. Une infraction au Code pénal, et même un trouble manifestement illicite que les FAI se doivent de corriger par un blocage d'accès.
Quels sont vos pronostics pour demain ?
Je suis incapable de vous dire où cette procédure va aller si ce n’est qu’il y a trois options.
Premièrement, le tribunal nous déboute avec pour seul argument l’absence d’urgence caractérisée.
Deuxièmement, il nous donne satisfaction en ordonnant le blocage de l’ensemble des sites, ou en réduisant ce périmètre aux seuls sites ayant été vainement mis en demeure par le CSA.
Troisièmement enfin, il rouvre les débats en auditionnant divers acteurs.
Mais pour faire quoi ? La question posée au tribunal est de savoir s’il y a des sites aujourd’hui qui permettent à l’accès sans contrôle à la pornographie par les mineurs.
Consulter Adrien Taquet ou, comme le demande Orange, le président du CSA ? Cela n’apporterait rien à la manifestation de la vérité qui se limite à savoir si des sites contreviennent à la loi pénale. À part faire du dilatoire, voire à repousser la prise de décision du tribunal, je ne vois vraiment pas l’intérêt !
Parlons urgence justement… Pourquoi avoir initié aujourd’hui une telle procédure de référé alors que le porno en ligne est (presque) aussi vieux que le web ?
J’en conviens, mais on se rend compte de deux choses de manière récente. D’une part, un abaissement de l’âge de l’accès des jeunes à ces contenus, et deux, des effets pervers ou de contre modèle sur le rapport au corps, à la sexualité chez ces personnes.
C’est ce qu’a en tout cas dénoncé un rapport de la Procureure générale de la cour d’appel remis à Adrien Taquet, expliquant que dans le développement de la prostitution des mineurs, l’accès à la pornographie n’était pas sans effet.
Pour autant, ce n’est pas parce que ce sujet est dénoncé depuis des années qu’on peut se satisfaire de le laisser sans réponse. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas bougé à un moment, qu’on ne doit plus bouger de manière définitive.
L’urgence est que les faits sont là. Tous les jours il y a urgence ! Soit on considère qu’on banalise, soit on agit. E-Enfance et la Voix de l’enfant ont estimé qu’il y avait nécessité d’agir.
Il y aurait donc urgence, mais aussi d’autres réponses possibles que le blocage ou la sanction pénale…
On n’est pas ici sur une sanction pénale, mais un seul blocage décidé par un juge civil sur la base d’un trouble manifeste qui est effectivement la méconnaissance par ces sites d’une infraction : ces sites ont une pratique qui contrevient au Code pénal.
Quand il y a une infraction, il est toujours urgent de la faire cesser. La meilleure manière de le faire n’est pas de poursuivre ces sociétés, contre lesquels au regard de leur lieu de localisation et de leur organisation juridique, il serait extrêmement difficile de les poursuivre, outre que la condamnation prévue par le Code n’est pas en soi dissuasive.
La pédagogie, l’éducation, ou le contrôle parental à l’extrémité des réseaux… ça ne suffirait pas ?
Quoi qu’il en soit, l’action judiciaire intentée par les deux associations aura permis qu’on ait un débat, aussi y compris dans les familles, sur ces questions. L’action intentée n’a pas vocation à être exhaustive.
C’est aussi le rôle de l’Éducation nationale, des familles, d’éduquer à la sexualité. Quant aux techniques de contrôle parental, elles peuvent être mises en place au moment où on donne un téléphone portable à un enfant.
Cependant, il ne faut pas croire que cela va tous les protéger. On sait très bien que les familles, pour un certain nombre d’entre-elles, n’ont pas la capacité de se protéger. Des parents sont malveillants, d’autres négligents, sachant qu’il faut maitriser la mise en œuvre du contrôle parental, une technique pas aussi évidente pour tout un chacun.
Vous pointez un problème d’efficacité de ces solutions, mais le problème concerne aussi le blocage par DNS
Il peut être contourné, certes, mais de ce que j’en sais, il faut alors user de moyens qui généralement nécessitent un paiement, un abonnement.
Même si, à travers un usage provisoire d’un VPN, on va pouvoir contourner le blocage, cela ne pourra l’être dans la durée. Quoi qu’il en soit, cela veut aussi dire que n’accéderont à des sites pornographiques, finalement que les mineurs qui veulent vraiment y aller.
Aujourd’hui, il est plus facile d’aller sur un site pornographique que d’acheter un pain au chocolat ! Quand notre génération voulait acheter des magazines pornographiques, aux contenus loin d’être ce que l’on trouve sur Internet, il fallait le faire au regard de tous. Il y avait des barrières qui aujourd’hui ont disparu.
Pour le blocage par DNS, il y a tout de même des solutions de contournement gratuites…
J’entends, mais cela suppose d’être proactif. Une grande partie des enfants ne le fera pas si on durcit l’accessibilité.
En France, le porno n’est pas illicite, c’est l’accessibilité de ces contenus aux mineurs qui l’est…
Tout à fait.
N’est-ce pas problématique que ce blocage, s’il est ordonné, vienne frapper toute la population majeure ?
L’intérêt supérieur de l’enfant, normalement dans notre ordre juridique, prévaut sur l’intérêt des adultes à se connecter sur des sites pornographiques.
Comme elle est posée, cette question inverse les responsabilités. Si des sites Internet ne respectent pas la loi, que les adultes s’en prennent à eux ! Je ne comprends pas cette inversion des valeurs. Oui il y a des dégâts collatéraux, mais à qui la faute ?
C’est quoi, au juste, un contenu pornographique ?
C’est une représentation d’un acte sexuel. Après il y a forcément des marges d’appréciation. Si la justice considère que ce ne sont pas des contenus pornographiques, ce qui n’a été défendu par personne, alors elle l’appréciera.
Imaginons qu’on me dise que l’infraction n’est pas caractérisée parce que les éléments constitutifs ne sont pas réunis, et donc le trouble n’est pas caractérisé. Très bien, dont acte ! Moi, je dis le contraire. Si la justice veut dire l’inverse, qu’elle s’empare du sujet et qu’on rouvre cette fois les débats.
Le Code pénal ne frappe pas que l’accessibilité du porno aux mineurs, mais aussi celle des contenus violents. Les vidéos des gilets jaunes blessés, répertoriées par mon confrère David Dufresne sont violentes. La justice doit-elle ordonner le blocage ?
Dans un tel cadre, il y a le droit à l’information. On essaye de concilier parfois des droits contraires, où le droit à l’information peut parfois prévaloir sur l’exposition à des contenus violents, parce qu’il y a valeur constitutionnelle.
Avec l’accès à la pornographie, jusqu’à preuve du contraire, on n’est pas sur un droit qui découle d’un principe constitutionnel.
Quand un journaliste met en ligne du factuel, qui peut s’avérer violent, jusqu’à une certaine mesure, cette violence peut être accessible à des enfants.
Selon vous, la pornographie ne peut-elle pas relever de la liberté de communication ?
Moi, j’entends tout… mais à un moment, on ne peut pas se contenter de l’incantation et ne rien faire. En l’occurrence, cette liberté a été invoquée par les FAI… Le juge appréciera, mais je ne pense pas qu’en matière pornographique, ce soit satisfaisant.
Un futur décret charge le CSA de définir des lignes directrices concernant la fiabilité des procédés techniques permettant de s’assurer de la majorité des utilisateurs… Où en est-on ?
Le décret n’étant pas sorti, je ne sais où en sont les obligations découlant de ce futur texte. Pour l’instant, il n’est pas dans le droit en vigueur. C’est sûrement là une vraie difficulté, qui reste pour l’instant entière.
Même si elles en ont la légitimité au regard de leur objet social, les deux associations n’avaient pas vocation à faire cette action. Elles ont été sollicitées dans le cadre d’un travail avec la Chancellerie, pour agir en matière de protection des mineurs sur la pornographie.
L’action intentée l’a été avec une forme de « parrainage » avec le ministère. Il y a eu des échanges nourris, où ce ministère a été incitatif sur la démarche.
Peut-on se défausser sur les sites pour leur demander une preuve difficile voire impossible : s’assurer de la majorité d’une personne derrière une adresse IP ?
On ne leur demande pas une obligation de résultat, mais de moyens. Aujourd’hui, ils montrent bien, par l’effet extrêmement limité des choix qu’ils ont faits, qu’ils ne se donnent pas les moyens d’intervenir. D’autres sites pornographiques ont fait des choix, qui leur permettent de ne pas contrevenir à la loi pénale.
Il y a toujours des moyens de contournement, où un mineur pourrait mentir sur son âge officiel en s’armant d’une carte bancaire…
Oui, mais cela va concerner combien de mineurs ? Le sujet est ce frein à l’accès, qui n’existe pas aujourd’hui. Il n’y a pas de système infaillible, mais quand même… on doit être capable de ne pas donner cette liberté d’accès sans aucun frein !
Ce qui est sanctionné, c’est donc le fait d’exposer. Ces sociétés, par leur mode de fonctionnement, ont fait le choix de donner l’accès à des mineurs à ces contenus. Elles peuvent faire un autre choix. À chacun sa responsabilité.
Accabler le mineur n’est pas la solution : tous ont voulu un jour regarder par le trou de la serrure de la chambre à coucher…mais ce sont bien ces sociétés qui décident de faire de la diffusion de films pornographie, leur cœur d’activité. À elles de s’assurer que les mineurs n’en seront pas exposés.
Le texte pourrait également s’appliquer à Google Images, il suffit de faire un test avec une requête très explicite…
Google référence des sites pornographiques et de fait, donne accès à la pornographie. Effectivement, il y un vrai sujet juridique…un peu plus compliqué. Google a dit, dans le cadre d’une rencontre avec l’une des deux associations, qu’elle-même appliquerait la décision : le service déréférencera les sites concernés.