Dans les coulisses de Foncier innovant, le détecteur de piscines du fisc

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Droit 6 min
Dans les coulisses de Foncier innovant, le détecteur de piscines du fisc
Crédits : Marc Rees

Cet été, le Canard enchaîné révélait que le fisc travaillait avec Google et Capgemini sur « Foncier innovant », destiné à comparer des images satellites au cadastre pour repérer extensions ou piscines non déclarées. Les syndicats critiquent une sous-traitance à Madagascar et des dessins d’IA dignes « d’un enfant de 4 ans ».

L’idée de « Foncier innovant » est simple : d’un côté de nombreuses extensions de maisons et piscines ne sont pas déclarées. Un oubli qui représente plusieurs millions de pertes pour les communes en taxe foncière et taxe d’habitation. De l’autre, le territoire français est dorénavant couvert par des photos satellites de qualité. En comparant ces photos aux plans du cadastre, il sera facile de repérer les resquilleurs.

Le fisc avait déjà fait des tests dans le passé, il s’agit maintenant de développer un véritable outil. C’est le recours à Google, qui a d’abord valu les critiques des syndicats des finances publiques. Le G de GAFAM a en effet conclu en 2019 un règlement d’ensemble de 465 millions d’euros pour solder un contentieux avec le fisc. Un repenti du fisc peut-il être prestataire des impôts ? Bercy a toutefois réagi rapidement en indiquant que Google n’était qu’un sous-traitant de Capgemini, et que les images proviennent de l’IGN. Google a en effet été utilisée pour muscler l’IA.

Le tout reste nébuleux. Pour en savoir plus, il faut regarder dans les contrats de financement du Fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP) qui vise à aider les administrations à se moderniser, en finançant près de la moitié de projets d’innovation. Les présents contrats ont été obtenus par le journaliste Émile Marzolf, via la CADA, et mis en ligne par Acteurs publics. À la page 469, on retrouve celui relatif à « Foncier innovant », signé avec la direction générale des finances publiques en octobre 2019.

Dans ce document, le fisc explique que la disponibilité des prises de vue aérienne de bonne qualité ainsi que les progrès récents en IA, lui ont fait sauter le pas de Foncier innovant. L’objectif n’est pas que fiscal, puisqu’à terme, l'outil doit aussi aider tous les utilisateurs du cadastre que l’IA mettra automatiquement à jour.

On y trouve les montants du projet : 24 millions d’euros entre 2019 et 2022 dont la moitié payée par le FTAP. On y apprend que Foncier innovant va aboutir d’ici 2022 à la suppression de 300 postes, qui représentent 7 % des agents du fisc affectés aux missions foncières et cadastrales. Un chiffre qui jusqu’ici n’avait jamais été mis en avant.

En 2019, le projet évaluait également les rentrées foncières additionnelles à 130 millions d’euros à horizon 2022 (des rentrées qui bénéficieront aux communes).

Des images traitées à Madagascar

Problème, le projet a pris un an de retard. L’expérimentation sur neuf départements (dont les Bouches-du-Rhône, le Var, les Alpes-Maritimes, le Maine-et-Loire et la Vendée), ne débutera que ce mois-ci, un an après le calendrier prévu. L’an prochain 45 départements devraient se rajouter. Il suscite également la colère de plusieurs syndicats, comme Solidaires et la CGT Finances publiques. La CGT en dit plus sur son fonctionnement :

« Capgemini a récupéré les photos de l’IGN, les aurait transférées à Google pour le retraitement des images puis s’est empressé de les envoyer à un sous-traitant à Madagascar pour qu’on apprenne à l’Intelligence Artificielle à dessiner et à détecter les fameuses piscines. Visiblement faire appel aux géomètres chargés de ces relevés ne leur est pas venu à l’esprit… »

Mais, alors que l’expérimentation sur le terrain va démarrer ce mois-ci, « les dessins de l’IA ressemblent à ceux d’un enfant de 4 ans qui travaille sans règle ». Pour les syndicalistes que nous avons interrogés, la qualité serait loin de celle attendue, surtout qu’il faut distinguer les piscines enterrées (taxables) de piscines hors sols (non taxables).

fisc piscine syndicatsfisc piscine syndicats

Nous avons interrogé l’administration sur ces critiques. Dans sa réponse, la DGFIP se veut rassurante. Même si elle va être déployée dans neuf départements ce mois-ci, l’IA est encore en phase d’expérimentation :

« Aucun résultat n'est disponible à date. Et, comme c'est le cas dans tous les projets de ce type, il y aura inévitablement des réglages à faire en cours de route, en s'appuyant sur les premiers constats. Il est donc prématuré d'en tirer des conclusions, quelles qu'elles soient. »

Interrogée sur le fait que les images aient été traitées à Madagascar, la DGFIP prend soin de ne pas répondre sur ce point. Ce marché s’inscrit dans son marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage  qui « permet de faire appel à des prestataires référencés, en fonction du type de besoins. Ces prestataires peuvent faire appel à des sous-traitants sur des besoins spécifiques pour mener à bien la mission qui leur est confiée ». On a connu démenti plus franc.

Mais Bercy se justifie : encore peu d’acteurs maîtrisent les technologies nécessaires. Dans cette phase expérimentale, « la DGFiP s'appuie sur les meilleurs d'entre eux (avec d’éventuels recours à sous-traitance) qui sont une référence dans ce domaine, où qu'ils se trouvent dans le monde ». Mais promis, « ce travail de recherche et expérimental piloté par la DGFiP a vocation à être intégré en interne à l'administration fiscale, qui le développera et l'exploitera de manière propriétaire ». Et si les meilleurs sont chez Google ou à Madagascar…

Les résultats décevants de l’intelligence artificielle fiscale

Si les syndicats sont si peu enthousiastes envers Foncier innovant c’est que pour l’instant les résultats de l’IA fiscale sont médiocres. Depuis deux ans, s’il est resté mutique, Bercy a beaucoup communiqué sur le fait que l’IA et le datamining sont l’avenir du contrôle fiscal. L'objectif est que ces solutions opèrent la moitié des contrôles. Mais, comme le notait un rapport sénatorial l’an dernier, les dossiers repérés par l’IA sont souvent de petits poissons.

Les résultats du contrôle fiscal ne cessent d'ailleurs de se dégrader depuis 2015. Même si l’an dernier fut marqué par le Covid, selon le rapport de la DGFIP, le fisc n'a notifié que 10,2 milliards d'euros en redressement fiscal et pénalité, contre 21,2 milliards en 2015. Dans cette période, le datamining est certes monté en puissance, mais si en 2020, il était à l’origine de 32,5 % des contrôles, il a représenté moins de 10 % des droits rappelés. Un tiers des contrôles, 10 % des montants rappelés. Un ratio médiocre.

Le datamining est amené à progresser à mesure que les outils se perfectionnent et les bases de données grossissent. Mais, pour l’instant, les agents subissent surtout les compressions d’emplois. L’IA va encore devoir faire ses preuves. C’est tout l’objet de cette expérimentation. Mais, pour les syndicats, chat échaudé craint l’eau froide.

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