New Deal mobile : le Sénat dénonce un « accord imparfait », mais « globalement positif »

New Deal mobile : le Sénat dénonce un « accord imparfait », mais « globalement positif »

C'est pas si tant pire

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Sébastien Gavois

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Société numérique

01/10/2021 15 minutes
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New Deal mobile : le Sénat dénonce un « accord imparfait », mais « globalement positif »

« New Deal mobile et couverture 4G du territoire : trois milliards d’euros pour quelles avancées ? », se demande le Sénat. Deux rapports apportent des réponses sur ce dispositif « historique » qui, malgré des maladresses – pour ne pas dire entourloupes –, a permis de faire bouger les choses.

La commission des finances du Sénat a organisé une audition pour les « suite[s] à donner » concernant l’enquête demandée à la Cour des comptes sur le New Deal mobile. Le bilan des actions est « plutôt positif », mais les rapporteurs font néanmoins des reproches sur « l’architecture globale de l’accord ».

Mais aussi sur « l’absence d’information des parlementaires » et ce n’est pas le seul point d'achoppement. Nous avions pour rappel demandé un accès à cet accord afin de l’étudier en détail, sans succès. Après un refus du ministère, nous avions lancé une demande auprès de la Cada, qui nous donnait son feu vert, mais nous n’avons finalement jamais obtenu le dit rapport… et pour cause : « aucun accord, au sens contractuel du terme, n’a été formellement signé entre l’État, l’Arcep et les opérateurs de téléphonie mobile », expliquait le président de l’Arcep.

S’il n’y a pas d’accord signé au sens contractuel, « ces engagements ont été retranscrits dans [les] licences actuelles [des opérateurs] en juillet 2018 afin de les rendre juridiquement opposables », explique le régulateur des télécoms. Le gendarme a donc le pouvoir de vérifier que les engagements sont bien tenus et peut, si besoin, sortir son bâton.

Un « troc » à 3 milliards d’euros entre exécutif et opérateurs

Le rapport pointe du doigt « une architecture budgétaire très insatisfaisante du point de vue de l’association du Parlement ». Il regrette que « des avantages financiers considérables » aient été accordés aux opérateurs, sans que le Parlement ne soit saisi des principales dispositions, un « "troc" entre l’exécutif et les opérateurs ».

Si l’exonération de taxe IFER a bien été intégrée à la loi de Finances pour 2019 (et donc visible par tous), le cœur de l’accord, à savoir « la renonciation aux quelque 2,5 milliards d’euros qu’aurait pu rapporter la mise aux enchères des fréquences hertziennes » , n’a pas été débattu par les assemblées.

Un procédé « contraire au principe d’universalité budgétaire »

D’autant plus regrettables pour les rapporteurs que le New Deal mobile est présenté comme « une mobilisation sans précédent des finances publiques » : « l’effort financier consenti par l’État pour mettre en œuvre le New Deal est estimé globalement à un peu moins de 3 milliards d’euros ». 2,5 milliards de renonciation aux enchères, 280 millions d’euros de stabilisation des redevances et 120 millions d’euros liés aux exonérations d’IFER.

« Un tel procédé est contraire au principe d’universalité budgétaire, aux termes duquel toutes les recettes et les dépenses de l’État doivent être retracées au sein du budget général ». Même son de cloche dans le second rapport que nous avons analysé et sur lequel s'appuie celui du Sénat, publié par la Cour des comptes : « le Parlement est tenu à l’écart d’une décision susceptible d’avoir un effet important sur le budget de l’État ».

Le Sénat balaye d’un revers de la main d’éventuels commentaires sur les délais pour justifier ce procédé : « la budgétisation des crédits […] aurait parfaitement pu être envisagée dès la fin 2017, ce qui n’aurait aucunement retardé la prise des premiers arrêtés à l’été 2018 ». La situation n’aurait pas changé selon les rapporteurs : l’« architecture actuelle [du rapport] n’établissant pas clairement l’origine des crédits ayant permis la mise en place d’une antenne, le flou reste durablement maintenu, y compris auprès des maires bénéficiant des déploiements ».

Des effets bénéfiques… qui pourraient être plus importants

New Deal mobile a néanmoins « permis une accélération des déploiements et une généralisation de la 4G sur les pylônes existants », ce qui était son but. Tout n’est pas parfait pour autant : « cette accélération aurait été plus nette si elle avait été accompagnée d’une meilleure association des maires tout au long du processus ».

Un exemple frappant : « Il est notamment arrivé qu’après que certaines zones de couverture avaient fait l’objet d’un arrêté, les oppositions des équipes municipales ont conduit à l’abandon de projets d’implantation ». Une belle perte de temps, d’autant qu’il faut ensuite préparer un arrêté modificatif pour remplacer le site par un autre.

Comme l’a déjà très justement formulé Alexandre Archambault sur Twitter début 2018, le problème se situe parfois du côté des utilisateurs : « Nombreux sont en effet les habitants souhaitant disposer d’une couverture mobile sans pour autant accepter que soient implantées des antennes à proximité des lieux de vie ».

Selon les rapporteurs, des « efforts de sensibilisation sur la réalité des risques sanitaires de la 4G doivent encore être menés auprès des populations », ce qui est valable sur la 5G et toutes les technologies qui utilisent des ondes.

Les engagements des opérateurs

Pour faire du troc, il faut que chacun y mette du sien. Dans cette affaire, les opérateurs ont pris des « engagements contraignants » en échange des 3 milliards d’euros, inscrits dans les nouvelles licences et résumé par le rapport :

  • modernisation du réseau : passage vers la 4G de l’ensemble des antennes 2G et 3G existantes avant fin 2020 ;
  • dispositif de couverture ciblée (volet DCC) : amélioration de la couverture dans 5 000 zones […] faisant l’objet d’arrêtés ministériels. Leur publication fait courir un délai allant jusqu’à deux ans pour les opérateurs pour en assurer la couverture (entre 600 et 800 zones identifiées chaque année de 2018 à 2025) ;
  • amélioration de la couverture des axes de transport (volet ARP) : sont concernés les voies ferrées et les axes routiers sur lesquels circulent plus de 5 000 véhicules par jour en moyenne annuelle. Ils doivent être couverts en 4G ;
  • guichet 4G fixe : pour les zones non desservies par la fibre optique, les opérateurs Orange et SFR se sont engagés à déployer 1 000 sites dans des zones identifiées par le gouvernement ;
  • évolutions technologiques : les solutions dites « indoor » doivent être généralisées.

À nos actes manqués...

L’enjeu était important, car, quelques années avant cet accord historique (en 2015), « la France était 26e sur 28 au classement européen de la couverture 4G ». Pour rappel, la 4G n’en était alors qu’à ses débuts puisque l’ouverture du premier site commercial pour le grand public date de novembre 2012.

Les opérateurs n'avaient évidemment pas attendu pour avancer sur le déploiement 4G. Les activations d’antennes allaient bon train entre 2015 et 2018, comme le rappellent les rapporteurs : « Début 2018, il ne restait qu’un peu plus d’un quart des antennes déployées par les opérateurs qui n’étaient pas équipées de la technologie 4G ».

À cette époque il y avait néanmoins toujours de nombreuses zones blanches. Des dispositifs de résorption ont certes été mis en place depuis 2003, mais sans grand résultat selon le rapport, car ils « n’ont pas permis de rattraper le retard et d’assurer une couverture mobile homogène sur l’ensemble du territoire ». « De ce point de vue, le New Deal mobile a indéniablement permis d’accélérer les déploiements », affirme le Sénat.

Des « progrès indéniables », la dure réalité du terrain

Dans son rapport (bien plus épais que celui du Sénat), la Cour des comptes reconnait aussi qu’il y a « des progrès indéniables dans la couverture et la qualité du réseau », mais elle ajoute qu’ils « laissent persister des écarts territoriaux ». Entre 2017 et 2020, les opérateurs ont gagné entre 10 et 17 points de couverture de la population pour arriver à 97 % pour Free Mobile et au moins 99 % pour les trois autres.

Mais la couverture du territoire est par contre largement inférieure : on retrouve les quatre opérateurs ensemble sur 76 % de la France métropolitaine, mais on monte à 96 % si on se contente d’un seul opérateur. S’appuyant sur les données ANCT-Insee, le rapport indique qu’on « dénombre, en 2020, 309 communes sur 34 968 (0,9 %) ayant moins d’un tiers de leur territoire couvert en 4G par au moins un opérateur », contre 2 526 en 2017.

Pour la Cour des comptes, nous avons une « quasi-extinction des zones blanches 4G ces trois dernières années, même si cette difficulté n’est pas encore intégralement résolue »… mais « ces différents constats ne sont pas toujours en phase avec le ressenti des acteurs sur le terrain », ajoute le Sénat.

En cause, notamment d’importantes différences entre les cartes théoriques de l’Arcep et la réalité du terrain. Le régulateur en est conscient et une amélioration a été annoncée début 2020 avec un renforcement de la fiabilité des cartes des opérateurs ; elle est passée de 95 à 98 %.

Fin 2020, les résultats provisoires d’une première enquête de terrain pilotée par l’Arcep montraient « que les opérateurs ont réalisé des efforts manifestes sans toutefois arriver à tenir encore parfaitement l’exigence de 98 % ».

Les opérateurs tiennent les délais dans la majorité des cas

Le dispositif de couverture ciblée semble donner de bons résultats : « la majorité des sites a été déployée dans les temps impartis ». Concernant l’arrêté de juillet 2018, 91 % des sites ont ainsi été déployés dans les temps. Sur les 485 sites, 40 ont été retirés, ce qui en laisse 445 à déployer. 403 avaient été mis en service en octobre 2020.

Sur les 42 en retard, Free est responsable de plus de la moitié (25), suivi par SFR (12), Bouygues Telecom (4) et enfin Orange (1). L’Arcep explique à la Cour « que son analyse des causes diverses de retards (opposition des riverains, de la mairie, refus administratifs, difficultés techniques de raccordements aux réseaux télécom et/ou électrique…) et de leur justification étaient toujours en cours en mars 2021 ».

Ce retard inquiète et interroge la Cour des comptes : « Ce délai de traitement de plusieurs mois soulève deux questions : la célérité avec laquelle s’opère le contrôle des engagements et le caractère dissuasif du pouvoir de sanctions dont dispose l’Arcep ». Huit mois après la constatation des retards, l’instruction du régulateur se terminait enfin : les motifs étaient visiblement sérieux puisqu’aucun retard ne justifiait l’application d’une sanction.

Durant l’été 2019, le gendarme s’était rappelé au bon souvenir des opérateurs en brandissant son bâton de manière préventive. Il avait mis en demeure les opérateurs « qui donnaient le sentiment de ne pas aller assez vite sur les premières échéances ». Un sentiment partagé par des acteurs sur le terrain.

L’Arcep tient d’ailleurs un tableau de bord du New Deal mobile qu’il met à jour régulièrement.

La longue attente des mairies et l’acceptabilité sociale

Dans son rapport, le Sénat explique que les chantiers de déploiement de la couverture ciblée « n’étaient pas traités comme prioritaires par les opérateurs » et « le délai de deux ans est souvent considéré comme une échéance qui n’[avait] pas à être anticipée ».

D‘autant que, du côté des villes, l’attente pouvait être encore plus longue : « la demande des maires peut intervenir au moins un an avant que ne soit publié l’arrêté qui fait lui-même courir un délai de deux ans. Il leur faut donc souvent attendre trois ans avant que la promesse d’implantation d’un pylône ne se réalise concrètement ».

Les rapporteurs en profitent pour faire une proposition de changement important de paradigme : renforcer les mutualisations entre opérateurs. Ils se font l’écho de plusieurs élus  qui « se plaignent de voir s’implanter de nouveaux pylônes dédiés à un seul opérateur, alors qu’un ou plusieurs autres pylônes sont déjà présents sur le territoire communal ». 

« Le jeu de la concurrence conduit à la multiplication des pylônes, ce qui n’est pas satisfaisant tant du point de vue écologique que de l’acceptation sociale des implantations. Les rapporteurs spéciaux estiment que les enseignements du New Deal en matière de mutualisation des implantations doivent être tirés et qu’il est indispensable de renforcer les incitations des opérateurs à mutualiser les antennes », ajoutent-ils.

Neuf recommandations, vers un New New Deal mobile ?

Le rapport du Sénat contient évidemment son lot de recommandations :

  • Les nouveaux accords avec les opérateurs engageant financièrement l’État ne doivent plus donner lieu à des renoncements à des recettes publiques sans vote du Parlement et doivent trouver une traduction au sein du budget général de l’État.
  • L’architecture des prochains accords devra également permettre de faire apparaître clairement la part des cofinancements de l’État sur les différents chantiers des opérateurs.
  • Généraliser l’exigence, en amont de la prise des arrêtés ministériels, d’une délibération des conseils municipaux des communes concernées par les décisions d’implantation.
  • Mieux accompagner les maires dès la prise des arrêtés et mieux les sensibiliser aux pratiques spéculatives liées aux implantations d’antennes et aux renouvellements de bail.
  • Fixer des standards communs à l’ensemble des acteurs pour la réalisation de campagnes de mesures de couverture et faire évoluer les règles de validité des études réseaux en les considérant comme dépassées au-delà de 10 mois uniquement lorsque les opérateurs font valoir des évolutions significatives de leur réseau.
  • Assurer une meilleure coordination entre les différents volets du New Deal mobile en renforçant les obligations de transparence des opérateurs vis-à-vis des équipes projets locales.
  • Fixer un objectif de résorption complète des zones blanches à horizon 2027 et réévaluer les obligations des opérateurs pour garantir l’atteinte de cet objectif.
  • Mieux accompagner les maires en leur fournissant les éléments de documentation indispensables pour répondre aux inquiétudes des habitants sur l’implantation des nouvelles antennes.
  • Engager une réflexion sur de nouvelles incitations à la mutualisation des infrastructures.

One more thing : mais où est donc passée l’ANFR…

Si le rapport du Sénat ne mentionne pas l’Agence nationale des fréquences, celui de la Cour des comptes évoque cet acteur important des ondes qui brille par son absence dans le New Deal mobile. Pourtant, « du fait de sa double mission d’autorisation des implantations de sites mobiles et de contrôle de l’exposition du public aux ondes, l’ANFR est en interaction avec les collectivités territoriales au premier rang desquelles les communes, et les opérateurs ».

Selon la Cour, « ces moyens pourraient être mobilisés pour appuyer les équipes projets et les maires dans leur dialogue d’une part avec les opérateurs, en apportant une expertise technique, totalement asymétrique aujourd’hui, et d’autre part avec les habitants, de plus en plus sensibilisés à la problématique de l’exposition aux ondes ».

L’ANFR pourrait ainsi fournir des simulations d’exposition lors du dépôt d’un projet d’installation d’une antenne-relais et procéder par la suite à des mesures, se livrer à une analyse critique du projet d’un opérateur « afin de rééquilibrer partiellement le dialogue entre acteurs publics locaux et les entreprises de télécommunications ».

Problème, « cela suppose que l’ANFR et ses missions soient connues et bien comprises et que ses interventions en ce sens soient acceptées par sa tutelle ». C’est un sujet que l’Agence connait bien puisqu’elle y est confrontée depuis des années : « Il faudrait davantage de communication [mais] avec le budget qu'on a, ce n'est pas facile de faire beaucoup de communications sur ce sujet-là », expliquait fin 2019 un représentant de l’Agence.

Elle mène pourtant des missions importantes d’information au public, notamment sur le niveau d’exposition aux ondes et sur la vérification du DAS des smartphones commercialisés. Elle délivre également des autorisations pour le déploiement des antennes de téléphonie mobile et propose ses données en open data.

Écrit par Sébastien Gavois

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Sommaire de l'article

Introduction

Un « troc » à 3 milliards d’euros entre exécutif et opérateurs

Un procédé « contraire au principe d’universalité budgétaire »

Des effets bénéfiques… qui pourraient être plus importants

Les engagements des opérateurs

À nos actes manqués...

Des « progrès indéniables », la dure réalité du terrain

Les opérateurs tiennent les délais dans la majorité des cas

La longue attente des mairies et l’acceptabilité sociale

Neuf recommandations, vers un New New Deal mobile ?

One more thing : mais où est donc passée l’ANFR…

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Commentaires (7)


Intéressant. L’enjeux reste tout de même important quoi qu’on en dise.


Etant dans une zone blanche avec un maire qui réclame régulièrement des antennes, je ne suis pas en phase avec ce rapport.



A noter que je ne comprends pas pourquoi l’état n’oblige pas à déployer des antennes sur tous les chateaux d’eau (ils sont déjà hauts, raccordés au réseau électrique et couvrent des zones habitées)



A noter que je ne comprends pas pourquoi l’état n’oblige pas à déployer des antennes sur tous les chateaux d’eau (ils sont déjà hauts, raccordés au réseau électrique et couvrent des zones habitées)




Oui, sur ces points hauts, il faudrait obliger le déploiement. Dans ma commune, l’implantation d’une antenne Free (3G + 4G + 5G) sur le château d’eau a été refusée, car le voisinage immédiat avait peur de la 5G (à 700 MHz, mais pas de la 4G à la même fréquence…). La peur et l’ignorance des habitants est un problème difficile à gérer pour les opérateurs.


2027 la fin des zones blanches, en france métropolitaine ou partout en france ?



C’est dans longtemps pour quelques antennes…


Le syndrome “pas dans mon jardin” prend vraiment de l’ampleur c’est dingue.


C’est à la fois comique et consternant :
« Nombreux sont en effet les habitants souhaitant disposer d’une couverture mobile sans pour autant accepter que soient implantées des antennes à proximité des lieux de vie ».



Quand on voit ça, on s’étonne moins de l’ignorance appliquée dans d’autres domaines de la santé, comme les vaccins. Drôle de 21e siècle.


Si je comprends bien, on file des sous aux opérateurs pour qu’ils prennent des engagements alors qu’on pourrait imaginer qu’ils soient pénalisés si ils ne les tiennent pas.
Mais bon… faut que le pognon circule. surtout dans les poches de certains….