La cour d’appel de Paris vient de siffler la fin du match dans le combat opposant Free et SFR. L’épilogue de vifs coups de becs échangés depuis l’arrivée du trublion des télécoms sur le marché des forfaits mobiles. Résumé de la rencontre sportive : beaucoup de plumes au vent, mais le même nombre de points de suture.
En 2012, l’arrivée de Free Mobile avait jeté un pavé dans la mare tenue par les trois opérateurs. Rapidement, SFR avait estimé avoir fait l’objet d’un dénigrement de la part de Free, ayant « résulté » d'un détournement parodique de la Chute, « dans laquelle il est fait dire au personnage incarnant Hitler "Nos clients devaient rester des vaches à lait et accepter de payer le prix fort" ».
SFR critiquait également les propos de Xavier Niel lors de la conférence du lancement, qualifiant les clients des autres opérateurs de pigeons. Des clients se faisant arnaquer, de véritables « vaches à lait ». Dans la revue Challenge, il persévérait : « Le consommateur a l’impression d’avoir été pris pour un idiot pendant des années. SFR n’a eu aucune réaction. Très naturellement, c’est devenu notre principale source de recrutement d’abonnés, devant Bouygues Telecom et les opérateurs virtuels ». De nombreux spots enfonçait d'autres plombs dans les ailes du concurrent...
Dans le camp d’en face, inversion des rôles. Free a estimé avoir fait l’objet d’une campagne de dénigrement de la part de SFR dès janvier 2012, en particulier dans des campagnes de pubs (« Grande Gueule. Ou grand réseau », « Chez nous, les boutiques sont comme notre réseau : elles couvrent toute la France », « AVERTISSEMENT, il est dangereux de se pencher par la fenêtre pour avoir du réseau », « Payer moins cher pour mon forfait mobile, évidemment, mais si c’est pour se passer d’un bon réseau, alors là, non », etc.) sans oublier des propos fleuris dans la presse (« Free n’a qu’une présence sur le web »).
Deux coqs en ligne de crête
En appel, à l’heure du règlement de compte, chaque opérateur a tenu à expliquer, si ce n’est justifier, ces noms d’oiseau.
Free et Free mobile ont ainsi opposé « la situation sclérosée du marché de la téléphonie mobile » au moment de son arrivée. De même, résume encore la cour dans son arrêt du 24 septembre 2021, les deux sœurs « invoquent les résistances que les opérateurs concurrents lui ont opposées, d’abord dans l’accès au marché de la téléphonie mobile, en particulier aux moyens de recours introduits pour les empêcher de se voir attribuer la quatrième licence et en contestation de ses prix devant le Conseil d’État ainsi que la Commission européenne, ensuite par des campagnes de dénigrement en particulier la société SFR ».
Et pour valider les propos de Xavier Niel, l’entreprise qui voyait des pigeons partout se fait colombe : cette conférence de presse « avait pour seul objet la comparaison du prix de prestations comparables qui est autorisée et qui a été objectivement pu être constatée ». Pas plus.
Quant à ses sorties dans la presse, « elles ne rapportent pas d’autres faits et dans des expressions identiques que celles que l’opérateur de télécommunication mobile Virgin mobile avait déjà employées dans une campagne d’affichage publicitaire en 2011 pour 22 millions d’euros pour son offre d’abonnement de communication mobile d’après le thème appelant les utilisateurs à cesser d’être pris pour des "vaches à lait", "à se faire tondre", "plumer", "arrêtez de casquer", "méfiez vous des offres sans smartphone vous finirez à poil" ».
La cour d’appel n’a pas été vraiment convaincue : la forme et l’énoncé des propos et de la campagne publicitaire de Free « sont indiscutablement péjoratifs et sans autre intérêt poursuivi par les sociétés Free ou leur dirigeant que celui, particulier, d’atteindre l’offre concurrente de l’opérateur ». Elle précise au passage que « l’exactitude des dénonciations n’est pas une condition de la preuve du dénigrement », elle confirme le premier jugement qui avait vu une faute dans ces multiples sorties.
Et comme les juges du premier degré, la cour d’appel n’a pas vu d’atteinte diffamatoire de la vidéo parodique, diffusée par Univers Freebox : ce contenu renvoyait, non aux seules offres SFR, mais « aux services et aux produits des concurrents des sociétés Free dans la caractéristique essentielle du prix de la téléphonie mobile qu’ils offrent par comparaison à ceux des sociétés Free ».
Cogito ergot sum
Pour les reproches adressés par SFR à l’encontre de Free, même cause, même effet. SFR a présenté ses publicités comme moyen de faire la promotion de ses offres mais, juré promis, « sans désigner la société Free avec des slogans adoptés sur un ton humoristique et modéré ». En outre, il ne s’agissait pour elle que de « défendre ses intérêts commerciaux face au dénigrement entrepris par la société Free ».
Ces éléments n’ont pas plus charmé la cour : « la campagne de publicité de la société SFR (…) s’inscrit en réponse à l’offre inaugurée sur le marché de la téléphonie mobile par la société Free (…) et cible bien la promotion des forfaits de cet opérateur ».
Et même s’il n’y a pas eu de noms d’oiseaux ou de bovins, « ces campagnes d’affichage et par voie de presse induisent toutes que les prix bas de la société Free dissimulaient une absence de qualité de service ainsi que de couverture de réseau dénigrant ainsi les critères principaux pour l’abonnement du service de téléphonie mobile et l’offre de la société Free. »
Là encore les commentaires des dirigeants de SFR dans la presse en 2012 ont pesé. Ils n’étaient « étayés d’aucune information ayant alors autorité, le contrôle que l’ARCEP saisie par la société SFR a fait réaliser concluant à la mesure d’un taux de couverture de l’offre de téléphonie mobile de la société Free 3G de 94,5% ».
Conclusion : la cour d’appel a décidé de confirmer le jugement initial. Restait cependant en souffrance le montant des dommages et intérêts.
500 000 euros de préjudice moral, 20 millions d'euros d'atteinte à l'image
SFR comme Free ont commandé une étude, respectivement par l’Institut CSA et l’IFOP. Selon la première, « 59 % des consommateurs ayant résilié leur offre SFR ont relevé la dégradation de l’image de SFR, 28 % ayant imputé cette dégradation aux campagnes de la société Free Mobile ». La seconde évalue à « 27 %, le nombre des non-abonnés à Free mobile éprouvant une mauvaise image de l’opérateur et à 31 % d’entre eux, l’imputation de cette image aux campagnes publicitaires de la société SFR ». Free assure ainsi avoir subi un taux de 3,72 % d’abonnements perdus sur le total des non-abonnés.
La cour a pris avec des pincettes ses épaisses études, pour estimer « qu’aucune des parties ne propose de méthode réaliste ou contre-factuelle de nature à isoler pertinemment la portée de leur campagne de dénigrement réciproque des effets attachés à la rupture de marché de la téléphonie mobile ». Impossible, comme en première instance devant le tribunal de commerce, de déterminer un quelconque préjudice économique de cette période électrique entre les deux opérateurs.
Par contre la cour d’appel a bien détecté un préjudice moral et une atteinte à l’image pour chacun des camps. Pour isoler les maux de l’un et les bobos de l’autre, les juges ne se sont pas embarrassés. Ils ont déterminé à 500 000 euros le montant du préjudice moral de Free… comme de SFR, et l’atteinte à l’image à 20 millions d’euros, pour SFR… comme pour Free.
En somme, un point partout dans le combat de coq, la cour ordonnant au surplus la compensation des sommes, tout en laissant à chacune des parties le soin de supporter la charge des frais exposés en première instance et en appel.