Plus d'un tiers des Français sont fichés dans le FNAEG

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Plus d'un tiers des Français sont fichés dans le FNAEG
Mise à jour :

Le Service national de police scientifique (SNPS) du ministère de l'Intérieur a purgé le FNAEG de ses doublons et fausses identités, qui ne dénombrait plus que 3 902 741 individus fichés au 31 décembre 2021. 

5 millions d'individus, soit près de 10 % de la population française de plus de 20 ans, figurent au fichier national automatisé des empreintes génétiques. 75 % d'entre-eux sont présumés innocents, faute d'avoir été condamnés pour ce qui leur a valu d'être fichés, mais y figurent toujours comme « suspects ». En y incluant les personnes indirectement identifiables, cela représente plus du tiers de la population française. 

Près de 5 millions d'individus (4 868 879 exactement) figuraient en 2020 au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), soit plus de 7 % de la population française, et 9,5 % des plus de 20 ans. À quoi il convient de rajouter 724 797 « traces stockées » prélevées sur des scènes d'infraction ainsi que des cadavres d'inconnus, et qui n'avaient pas encore été reliées à une identité.

Le chiffre figure en annexe d'un appel d'offres publié cet été par le ministère de l'Intérieur. Le marché, estimé à 1 666 666,67 € (HT) sur quatre ans, porte sur la maintenance du système informatique FNAEG-NG (pour « nouvelle génération »). Le précédent avis indiquait qu'en 2016 le fichier stockait les identifiants de 3,42 millions d'individus, plus 378 462 traces non identifiées.

Le nombre de personnes fichées a donc progressé de plus de 42 % en seulement quatre ans. Les traces non identifiées ont dans le même temps, explosé de plus de 91 %. Or, comme le soulignait Slate en 2013, la recherche par parentèle permet d'identifier les parents, frères et soeurs des personnes fichées, et donc cinq fois plus (les familles ayant, en moyenne, deux enfants).

Dans un article intitulé « Vers une remise en cause de la légalité du FNAEG ? », les chercheurs Ousmane Gueye et François Pellegrini (qui a, depuis, été élu vice-président de la CNIL), revenaient en 2017 sur ce qu'ils qualifiaient de « problématique de la recherche en parentèle », autorisée depuis 2016 « aux fins de recherche de personnes pouvant être apparentées en ligne directe » (ascendants et descendants) avec « une trace biologique issue d’une personne inconnue » : 

« En supposant qu'en France le nombre moyen d'enfants par femme est d'environ 2,1, qu'il y a à peu près autant d'hommes que de femmes dans la population, et que les deux parents et les enfants de chaque personne sont effectivement connus, on peut considérer que chaque personne possède environ 2,1 descendants directs en moyenne et donc que le coefficient multiplicateur entre le nombre de personnes présentes et celles qu'il est possible d'impliquer directement ou indirectement est de 5,1. »

Pour les chercheurs, « la mise en œuvre de la recherche dite "en parentèle" le transforme en fichier des "gens honnêtes" », ce qui modifie profondément les finalités du fichier, « au point de rendre celles-ci incompatibles avec les principes affirmés par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'Homme. Une réforme profonde du FNAEG est donc nécessaire », écrivaient-ils.

En 2013, le FNAEG répertoriant 2 millions de profils génétiques, Slate avait titré son article « L'ADN d'un Français sur six est fiché ». En 2017, 3,5 millions de personnes y étaient fichées, soit « près de 5 % de la population française », mais « plus de 14 millions de personnes », ou 25 % de la population française, en y ajoutant les parentèles indirectement identifiables. 

Le nombre de fichés ayant probablement dépassé les 5 millions en 2021, on peut donc estimer que les identifiants génétiques de plus de 25 millions de personnes, soit plus d'un Français sur trois, figurent désormais, en tout ou partie, dans le fichier.

FNAEG

3 000 en 2002, 2 millions en 2012, 5 millions en 2021

Le FNAEG avait initialement conçu, en 1998 suite à l'affaire Guy Georges, pour centraliser les traces et empreintes génétiques des personnes condamnées pour viol, corruption de mineur et « meurtre ou assassinat d'un mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ».

La frénésie sécuritaire qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 a permis aux gouvernements successifs, de 2001 et 2007, à considérablement élargir le périmètre du fichier aux personnes non plus seulement condamnées, mais simplement soupçonnées d'avoir commis des crimes contre l'humanité, violences volontaires, menaces d'atteintes aux personnes, trafic de stupéfiants, de traite des êtres humains, de proxénétisme, d'exploitation de la mendicité, d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, d'actes de terrorisme, de fausse monnaie, d'association de malfaiteurs, mais également de vols, d'extorsions, d'escroqueries, destructions, dégradations, détériorations ou menaces d'atteintes aux biens.

Seule exception : les délits routiers et financiers, le Conseil constitutionnel ayant estimé que cela « risquerait de soumettre les personnes concernées à une rigueur qui ne serait pas nécessaire au regard de la nature des faits commis » et qu'il appartenait « au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis, au nombre desquels figurent le respect de la vie privée, protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789, le respect de la présomption d'innocence, le principe de dignité de la personne humaine, ainsi que la liberté individuelle que l'article 66 place sous la protection de l'autorité judiciaire ».

Il avait en outre indiqué que si le législateur pouvait « prévoir des mesures d'investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d'une gravité et d'une complexité particulières, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs, c'était sous réserve que [...] les restrictions qu'elles apportent aux droits et libertés constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises [...] ».

En 2002, n'y figuraient que 2 824 individus (et 172 traces). Le cap des 100 000 personnes fichées fut dépassé en 2005, celui des 500 000 en 2007, le million en 2009, les 3 millions en 2015.

Le tableau de croissance du nombre de profils génétiques figurant au FNAEG, basé sur l'agrégation des statistiques effectuées sur Wikipedia (et auquel l'auteur de ces lignes a contribué, ndlr) indique que, cette année-là, seules 472 505 des 3 millions de personnes fichées (soit 15,7 %) avaient été condamnées pour le crime ou le délit qui leur avait valu de figurer dans le fichier.

FNAEG

75 % n'ont été que « mis en cause », mais restent « suspects »

Près de 2,3 millions (soit plus de 75 %) n'y figuraient qu'en tant que « mis en cause » (MEC), et donc présumées innocentes, faute d'avoir été condamnées pour ce qui leur avait valu d'être fichées. Elles n'en sont pas moins présentées dans le document comme « suspectes, c’est-à-dire des personnes à l’encontre desquelles il existe des raisons plausibles de penser qu’elles ont commis un crime ou un délit ».

Les données figurant en annexe de l'appel d'offres ne permettent plus de distinguer le nombre de personnes fichées parce que condamnées de celui des simples « MEC », pas plus de dénombrer combien de MEC ont pu, par la suite, être condamnées. Le document précise en effet que « le nombre d’"individus stockés" correspond aux profils d’individus condamnés ou mis en cause enregistrés dans le FNAEG ».

Ces chiffres seraient cela dit quelque peu sujets à caution. En 2017, la Cour des comptes avait en effet relevé, dans un rapport consacré à la police technique et scientifique, que le fichier « comporte de nombreux doublons » :

« En effet, par manque de traçabilité des analyses envoyées par les différents services, il arrive fréquemment qu’une même personne soit, pour un même fait, signalisée plusieurs fois. De plus, en raison des délais d’analyse, tous les condamnés ont théoriquement déjà été prélevés lors de leur garde à vue, mais les résultats n’étant pas encore connus, ils figurent souvent comme inconnus au fichier et font l’objet d’une deuxième signalisationen arrivant en prison. »

L’inspection générale de la police nationale (IGPN), qui avait consacré une étude en 2016 à ce problème des doublons, avait alors estimé que les trois millions de profils présents dans la base FNAEG ne correspondaient en fait qu’à 2,2 millions d’individus différents, mais également que ces redondances de prélèvements et d’analyse avaient engendré une dépense inutile de 2,4M€ en 2015.

Le fichier ne tient pas compte des personnes innocentées

On ne sait pas non plus combien d'enquêtes ont pu être résolues grâce au FNAEG. En 2013, le ministère de l'Intérieur avait répondu à Sergio Coronado, qui était alors député écologiste, que le FNAEG avait permis de procéder à 73 462 rapprochements d'affaires, dont 8 736 « traces/traces » (et donc non identifiées), 15 302 « traces/condamnés », et 49 424 « traces/mis en cause ».

En 2014, il se bornait à lui répondre que « plus de 100 000 rapprochements ont été réalisés depuis la création du fichier en 2002 », sans plus de précision. En 2015, les chiffres fournis par le ministère n'évoquaient plus le nombre de rapprochements.

Interrogé quant au nombre de personnes fichées mais par la suite innocentées, le ministère bottait par ailleurs en touche en lui répondant que « s’agissant du nombre de "personnes innocentées", la direction d’application du fichier, qui n’est pas destinataire des suites judiciaires survenues après l’enregistrement des profils dans le fichier, n’est pas en mesure de comptabiliser le nombre d’empreintes contenues dans la base appartenant à des personnes ayant bénéficié d’une mesure de relaxe ou d’acquittement devenue définitive ».

4 ans après la CEDH, 11 ans après le Conseil constitutionnel

En janvier 2018, le député (LREM) Fabien Gouttefarde interrogeait la ministre de la Justice au sujet de « l'exécution de la décision de justice n° 8806/12 "Aycager contre France" de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), rendue le 22 juin 2017 » :

« Par cette décision, la CEDH a censuré le régime actuel de conservation des profils ADN dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) pour violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui protège la vie privée des individus. En effet, le régime actuel ne permet pas de moduler la durée de conservation des données personnelles en fonction de la gravité de l'infraction. Aucune différenciation des infractions, selon leur nature ou leur gravité, n'existe donc pour déterminer la période de conservation des profils ADN (qui peuvent être conservées 40 ans). »

Le député rappelait en outre que « dans une décision du 16 septembre 2000 (décision n° 2010-25 QPC), le Conseil constitutionnel avait lui aussi considéré que cela devait être corrigé » :

« Selon lui, un décret modulant les durées de conservation en fonction de la gravité de l'infraction devait être pris, pour que les dispositions relatives au FNAEG soient conformes à la Constitution. Il a été indiqué qu'un tel décret est en cours d'élaboration. Il souhaite connaître les dates prévues pour la finalisation et l'application de ce décret. »

Pour éviter une nouvelle condamnation par la CEDH, la France a depuis reconnu avoir violé le droit au respect de la vie privée de personnes ayant été condamnées pour avoir refusé un prélèvement biologique en vue de leur inscription au FNAEG, et proposé de verser 2 700 € aux requérants.

Un projet de décret qui s'éternise

En réponse, le ministère de l'Intérieur qualifiait la décision du Conseil constitutionnel de « réserve d'interprétation », tout en reconnaissant le fait qu'elle invitait le pouvoir réglementaire « à moduler ces durées en fonction de la nature et de la gravité des infractions, mais également de l'âge de la personne concernée » :

« La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice est intervenue pour mettre les dispositions législatives relatives au FNAEG en conformité avec les exigences conventionnelles, en simplifiant et améliorant le dispositif d'effacement anticipé des données des personnes déclarées coupables inscrites au fichier. »

Le ministère précisait en outre qu'« un projet de décret a par ailleurs été préparé par le ministère de l'Intérieur afin de tirer les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la CEDH » :

« Ce projet de décret prévoit de nouvelles dispositions permettant de moduler les durées de conservation des données dans le FNAEG en fonction de la gravité de l'infraction ayant servi de fondement à l'enregistrement et de la qualité de majeur ou de mineur de la personne concernée.

Le projet fixe également le délai – variable selon l'infraction concernée – à partir duquel les personnes déclarées coupables peuvent exercer leur droit à l'effacement anticipé. Le projet de décret est en cours d'examen devant la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et devra ensuite être soumis pour avis au Conseil d'Etat. »

La réponse du ministère date d'octobre 2019. Le décret en question n'a toujours pas été publié au Journal officiel. Les durées de conservation des données personnelles et génétiques, précisées aux articles 53-9 et suivants du code de procédure pénale, dépendent donc toujours d'un décret de 2004.

Élargir la possibilité d'effacement aux personnes condamnées

Ce retard est d'autant plus « coupable » que le rapport d'information des députés Didier Paris et Pierre Morel-à-l'Huissier sur les fichiers mis à la disposition des forces de sécurité, paru en octobre 2018, appelait précisément le gouvernement à publier le décret « dans les plus brefs délais » : 

« Proposition n° 5 : Publier dans les plus brefs délais un décret prévoyant une modulation de la durée de conservation des données enregistrées dans le FNAEG au regard de la nature et de la gravité de l’infraction en cause tout en tenant compte des spécificités de la délinquance des mineurs. »

Les députés rappelaient en outre que la Cour européenne des droits de l’homme avait estimé que « les personnes condamnées doivent, tout comme les personnes simplement soupçonnées, se voir offrir une possibilité concrète de présenter une requête en effacement de leurs empreintes génétiques au FNAEG, afin que leur durée de conservation soit proportionnée à la nature des infractions ». Ce qui n'est possible qu'en modifiant la loi, « contrairement aux durées de conservation qui sont du domaine du règlement », ce qu'ils appelaient également de leurs voeux :

« Proposition n° 6 : Légiférer dans de brefs délais sur les conditions d’effacement des données enregistrées dans le FNAEG pour les personnes condamnées. »

En attendant, les données restent fichées pendant 25 ou 40 ans

Comme le rappelle la CNIL dans sa rubrique « Les grands fichiers en fiche », les données (génétiques, nom, prénoms, date et lieu de naissance, filiation et sexe) doivent donc encore être conservées :

  • 40 ans pour les personnes définitivement condamnées, les personnes décédées, les personnes disparues, pour les personnes ayant bénéficié d'une décision de classement sans suite, non-lieu, relaxe ou acquittement pour trouble mental ainsi que les traces biologiques.
  • 25 ans pour les personnes mises en cause.
  • 25 ans pour les empreintes génétiques des ascendants ou descendants.

La CNIL rappelle en outre qu'il suffit d'écrire au Service Central de la Police Technique et Scientifique pour faire valoir son droit d'accès aux données du FNAEG, et renvoie à service-public.fr pour ce qui est de la procédure à suivre pour les personnes non condamnées qui voudraient demander à ce qu'elles soient effacées, avant expiration de la durée de conservation.

Les formulaires cerfa (pour Centre d'enregistrement et de révision des formulaires administratifs), ironiquement affublé d'un calicot « Nous sommes là pour vous aider », précisent qu'« une photocopie d’un des documents en votre possession concernant cette affaire (exemples : convocation devant les services d’enquête ou devant le juge d’instruction, copie de jugement, copie de décision de classement sans suite ou de non-lieu) », mais également que :

cette demande ne peut être présentée tant que l’affaire vous concernant est en cours.

► vous ne pouvez pas demander l’effacement de l’enregistrement si vous avez été condamné(e) dans cette affaire.

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