L’article 17 de la directive sur le droit d’auteur est l’un des édifices attendus par les ayants droit. Et pour cause, s’y cache une industrialisation du filtrage par les plateformes de partage comme YouTube ou Facebook. Le texte a été transposé par ordonnance. Next INpact vous dévoile les possibles seuils de déclenchement.
Sans surprise, ce pilier de la directive Copyright a été plébiscité par les sociétés de gestion collective. Et pour cause, il vient déchirer d’un coup de canif le régime de responsabilité des intermédiaires en ligne qu’elles combattent depuis près de 20 ans.
Très schématiquement, dans le régime de droit commun fixé par la directive de 2000 sur le commerce électronique, ces plateformes ne sont pas directement responsables des contenus hébergés. Elles le deviennent toutefois, lorsqu’en situation de connaissance (une notification leur est adressée pour dénoncer un contenu), elles décident de le maintenir en ligne.
Avec la directive Droit d’auteur, tout change. Les mêmes plateformes deviennent cette fois immédiatement responsables des contenus proposés par les YouTubers, du moins pour ceux qualifiés d’ « œuvres » et relevant donc du code de la propriété intellectuelle.
Cette arme sur leur tempe n’est pas due au hasard. Elle a été calibrée pour inciter ces opérateurs à signer des accords de licence avec les sociétés de gestion collective. En « licitant » les œuvres hébergées, si possible contre rémunération, les organismes de gestion collective espèrent ainsi revoir le « value gap ».
L’article 17 est cependant plus complexe que cette présentation sommaire. Les plateformes qui ne passeront pas de tels accords ne seront pas condamnées à être coresponsables des octets contrefaits mis en ligne par les internautes. Elles pourront échapper à l’échafaud de cette responsabilité directe si elles suivent une série de mesures visant à prévenir ou mettre fin aux téléchargements non autorisés. Upload comme download.
Suivant les cas, elles auront ainsi à faire leurs « meilleurs efforts » pour retirer les contenus notifiés par les ayants droit, filtrer les contenus à l’upload et empêcher les remises en ligne. Plus en détail, le poids de ces obligations dépendra de l’âge, du chiffre d’affaires ou du nombre de visiteurs uniques par mois, mais aussi des empreintes numériques fournies par les industries culturelles.
Notre schéma sur l’article 13 (devenu au fil des débats l’article 17) pour y voir un peu plus clair :

Transposé en France par une ordonnance du 12 mai 2021 en voie de ratification, l’article 17 a été codifié en plusieurs dispositions du Code de la propriété intellectuelle.
Les projets de seuils de déclenchement de l'article 17
Le nouvel article L.137-1 reprend ainsi les grandes lignes du texte européen. Seront visés par ce nouveau régime, les sites « dont l'objectif principal ou l'un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public accès à une quantité importante d'œuvres ». Ces œuvres devront en outre être organisées et promues « en vue d'en tirer un profit, direct ou indirect ».
Pour déterminer si une plateforme relève bien des contraintes de l’article 17, plusieurs conditions cumulatives devront être vérifiées : un stockage d’œuvres uploadées par des internautes, des œuvres mises à disposition du public, la présence d’une grande quantité de contenus protégés et enfin une finalité commerciale.
L’article du Code de la propriété intellectuelle confie toutefois à un décret le soin d’évaluer l’expression de « quantité importante d'œuvres ». Un avant-projet de décret est dans les tuyaux depuis plusieurs semaines. La version que nous avons pu consulter prévoit que, pour l’évaluation ces critères, devront « notamment » être pris en compte :
- « Le nombre de fichiers de contenus protégés téléversés par les utilisateurs du service de communication au public en ligne »
- « Le type d’œuvres et d’objets protégés inclus dans les fichiers de contenus téléversés »
- « L’audience du service »
Ces lignes directrices semblent donc suivre le considérant 63 de la directive sur le droit d’auteur qui prévient que « l'évaluation visant à déterminer si un fournisseur de services de partage de contenus en ligne stocke et donne accès à une quantité importante de contenus protégés par le droit d'auteur devrait être effectuée au cas par cas et tenir compte d'une combinaison d'éléments, tels que l'audience du service et le nombre de fichiers de contenus protégés par le droit d'auteur téléversés par les utilisateurs du service ».
Une présomption pour faciliter l'application de l'article 17
Seulement, la France ne compte pas s’arrêter là. L’avant-projet prévoit en effet que le critère de la « quantité importante d’œuvres » sera présumé atteint dès lors que deux conditions cumulatives seront remplies :
- L’« audience dépasse un seuil défini par arrêté du ministre chargé de la Culture »
- « Le nombre de fichiers de contenus téléversés par ses utilisateurs dépasse un des seuils fixés par arrêté du ministre chargé de la Culture. »
Nous avons également pu consulter l’arrêté en gestation. Le seuil d’audience y est fixé pour l’instant à 400 000 visiteurs uniques par mois. Quant au nombre d’œuvres, il dépendra du type de contenu : œuvres audiovisuelles, œuvres musicales, d’arts visuels, écrits, livres audio, jeux vidéo, ou contenus incluant « tous types d’œuvres et [d’] objets protégés ».
Extrait de l'avant-projet d'arrêté
En l’état, la plateforme qui enregistrerait 400 001 visiteurs uniques par mois, tout en hébergeant à des fins commerciales 100 œuvres de l’écrit, mises en ligne par des internautes et proposées au public à des fins commerciales, serait automatiquement soumise à l’article 17. À charge pour elle de renverser cette présomption en démontrant, on ne sait trop comment, que ces volumes ne sont finalement pas si importants.
Compatibilité européenne ?
Ce régime risque de provoquer quelques grincements européens. La directive Droit d’auteur a en effet chargé la Commission européenne d’établir des « orientations » destinées à assurer l’application de cet article 17.
Dans ces fameuses lignes directrices, la Commission a justement invité les États membres à « s’abstenir de quantifier la notion de "quantité importante" dans leur législation nationale afin d’éviter une fragmentation juridique due au fait que le champ d’application des fournisseurs de services couverts pourrait diverger selon les États membres ».
Comme la directive, elle insiste encore pour que chaque État opte pour une évaluation « au cas par cas, en tenant compte d’une combinaison d’éléments, tels que l’audience du fournisseur de services et le nombre de fichiers téléversés par l’ensemble des utilisateurs ».
Une certitude : en envisageant une présomption plutôt qu'une approche concrète, la stratégie esquissée au ministère de la Culture est très confortable pour les sociétés de gestion collective. Maigre avantage pour la plateforme : lever les incertitudes juridiques.