Faisceaux hertziens : qui sont-ils, quels sont leurs réseaux ?

La fibre peut aller se coucher !
Internet 13 min
Faisceaux hertziens : qui sont-ils, quels sont leurs réseaux ?
Crédits : Manuel-F-O/iStock/Thinkstock

Quand on parle de connexions sans fil, on pense au Wi-Fi, au Bluetooth, la 4G/5G, la radio ou encore la TNT... mais rarement aux faisceaux hertziens (FH), qui sont pourtant partout. Utilisés par les opérateurs pour connecter certaines antennes, ils ont aussi des avantages sur la fibre pour certains usages.

Il est rare qu'une technologie soit aussi présente dans notre quotidien et si méconnue à la fois. Mais avant de nous plonger dans les faisceaux hertziens, quelques rappels. « Ils sont utilisés […] pour assurer des liaisons point à point », explique l’Agence nationale des fréquences (ANFR). Le signal est ainsi transmis directement entre les deux points qui disposent d’« antennes paraboliques qui émettent de façon très directive ».

Principe d’utilisation et fréquences disponibles

En France, on compte pas moins de 120 000 sites selon le compte de l'ANFR, soit 60 000 liaisons puisque les sites vont par paire afin de créer un faisceau en point à point. Il existe 12 bandes de fréquences utilisables par les opérateurs pour les faisceaux hertziens : 1,4, 6, 8, 11, 13, 18, 23, 26, 32, 38, 70 et 80 GHz.

Celles supérieures à 10 GHz constituent la plus grosse part du gâteau et les FH sur les 18 GHz sont largement majoritaires : ils représentent pas moins de 31 % de ceux en service. Suivent les 23 GHz à 14 %, tandis que les 38 GHz sont sur la troisième marche du podium à 11 %. Tous les autres sont sous les 10 %. On notera que certains fabricants réfléchissent à aller plus haut dans les fréquences, à plusieurs centaines de GHz.

Les quatre opérateurs nationaux sont les principaux utilisateurs de faisceaux hertziens sur le territoire. 27 % appartiennent ainsi à Bouygues Telecom, qui est largement en tête, 20 % à SFR, 18 % à Free Mobile et 17 % pour Orange, le petit Poucet de cette liste. Rien d’étonnant puisque l’opérateur historique peut s‘appuyer sur son réseau fixe. L’ensemble des autres opérateurs (TDF, Completel, EDF, NomoTech, RTE, SANEF, SNCF, etc.) se partagent donc les 18 % restants. 

ANFR FHANFR FH

Pourquoi cet engouement ? Parce que même si les bandes de fréquences sont élevées, les FH permettent d'assurer des liaisons à haut débit sur des distances de plusieurs kilomètres, avec une latence imbattable. 

C'est pour cela qu'on les trouve régulièrement dans le domaine de la téléphonie mobile où ils permettent de relier des émetteurs au réseau de backhaul des opérateurs. Par exemple pour relier une antenne depuis un point haut dans une zone qui n'est pas couverte par la fibre ou lorsque les travaux sont complexes à mener.

C'est aussi une solution privilégiée dans les zones montagneuses puisque bien moins couteuse et plus facile à installer que n’importe quelle connexion filaire. Il suffit d’installer deux antennes et le tour est joué (ou presque) !

Diffusion du signal et ellipsoïdes de Fresnels

Passons maintenant à l'aspect technique. Comme en téléphonie mobile, plus la fréquence est basse plus la distance que l’on peut parcourir est importante : le 6 GHz porte ainsi bien plus loin que le 70 GHz par exemple. À contrario, plus la fréquence est élevé plus la bande passante disponible est importante (il est plus facile de trouver 1 GHz de libre entre 70 et 80 GHz qu’entre 4 et 6 GHz) ; il faut donc trouver le juste milieu en fonction des besoins. D'autres éléments entrent bien entendu en ligne de compte, comme la puissance du signal.

Les antennes des faisceaux hertziens sont aussi très directives. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut disposer uniquement d’une ligne de visée dégagée pour installer une telle liaison radio ; dans la pratique c’est un peu plus compliqué. Il faut en effet de l’espace libre en dessous et au-dessus de la ligne droite imaginaire reliant les deux antennes, et cela dépend de plusieurs paramètres.

C’est là qu’entre en jeu le (premier) ellipsoïde de Fresnel. Wikipédia explique qu’il s’agit d’un « volume dans l'espace permettant d'évaluer l'atténuation apportée par un obstacle (immeuble, colline...) à la propagation d'une onde mécanique ou électromagnétique ». Le calcul de ce volume dépend de la hauteur des antennes, de la distance qui les sépare et de la fréquence utilisée. 

Fresnel FH
Crédits : Acksys

Le fabricant Acksys indique sur son site que, « lorsque la zone de Fresnel est obstruée à plus de 20 %, il en résulte une baisse du débit de la liaison radio et un risque de perte de la communication de façon intermittente ». Il ne faut donc pas prendre cet ellipsoïde à la légère, bien au contraire. Une zone totalement dégagée est la situation idéale. 

Une « astuce » bien connue pour éviter des interférences venant de la végétation, des reliefs du terrain et des constructions consiste à placer les antennes plus en hauteur, ce qui a pour effet immédiat de remonter également l’ellipsoïde de Fresnel. Dans le cas de longues distances à parcourir, cela permet aussi de s’accommoder de la courbure de la Terre (qui n’est pas plate) qui empêche parfois d’avoir une liaison directe.

C'est notamment le cas entre deux points s’ils sont proches du niveau de l’eau. Dans l’exemple ci-dessous, un faisceau hertzien entre le Royaume-Uni et un pays de l’Union européenne doit traverser la Manche. On peut le voir sur la première image avec des antennes à 45 m de hauteur que la connexion n’est pas possible puisque la ligne de visée et une grande partie de l’ellipse de Fresnel tombent dans l’eau. Dans la seconde image, une tour de 320 m de hauteur permet de contourner ce problème et de traverser la Manche avec un signal radio.

Une solution dont la mise en place sera moins complexe qu’une fibre optique sous-marine. 

Faisceaux FH manche
Crédits : Alexandre “Sniper” Laumonier

Vous l’aurez donc compris, lorsque l'on veut exploiter un faisceau hertzien, le choix du site et de la fréquence sont primordiaux. Il faut également prendre en compte ceux déjà en place pour éviter de créer des interférences. L’Arcep se charge de recevoir toutes les demandes d’autorisation, de modification et de suppression.

Notez qu'il existe des produits fonctionnant sur des bandes libres, comme le 60 GHz. On trouve ainsi des solutions promettant 1 Gb/s sur plusieurs kilomètres chez Mikrotik ou Ubiquiti, qui organise régulièrement des concours, comme celui actuellement en cours sur le déploiement d'antennes AirFiber 60 LR. Objectif : obtenir la meilleure liaison à plus de 5 km. Le #1 y parvient à 28,27 km avec un débit de pas moins de 600 Mb/s.

Notez que les faisceaux hertziens peuvent facilement s’enchainer les uns les autres. Par exemple lorsqu’il faut relier deux points sur plusieurs centaines de kilomètres, des stations intermédiaires peuvent être installées sur le chemin et faire office de « répéteurs ».

Il existe aussi des faisceaux hertziens troposphériques (ou transhorizon). Dans ce cas, les ondes rebondissent sur la troposphère avant de redescendre sur la terre ferme. On peut alors atteindre des distances de plusieurs centaines de kilomètres, mais au prix d’une puissance importante en émission.

Développés initialement pour des usages militaires, les faisceaux hertziens troposphériques ont été remplacés par les satellites de télécommunications il y a déjà des dizaines d’années. 

Quid du débit et de la latence (qui est inférieure à la fibre)

Xavier Le Polozec, responsable solution transmission chez Ericsson, indique que « les capacités transportées vont de quelques Mb/s à quelques dizaines de Gb/s aujourd’hui et bientôt plusieurs centaines de Gb/s ». Bien qu’inférieur au débit proposé par de la fibre, c’est généralement suffisant pour apporter une connexion à Internet sur des antennes mobiles, qu’elles soient en 4G ou en 5G.

Attention néanmoins à un point : en fonction des conditions météo (quand il pleut où quand il neige par exemple), les FH peuvent être perturbés. Les opérateurs disposent d’une solution : baisser le niveau de modulation (QAM) afin de conserver au maximum une connexion stable et active, nous explique un spécialiste des réseaux. Cela a néanmoins pour conséquence directe de diminuer le débit. La fibre n’a pas ce genre de problème.

D’un point de vue purement technique, on pourrait d’ailleurs se dire que la fibre n’a que des avantages avec un meilleur débit et une résistance aux intempéries (si on met de côté les alertes pelleteuses)… mais ce n’est pas le cas. Les faisceaux hertziens dominent sans contestation le FTTH sur un point : la latence !

« La vitesse de propagation d’une onde radio dans l’air est plus élevée que la vitesse de propagation d’une onde optique dans une fibre […] Autrement dit pour une même distance, l’information transportée en radio arrive avant la même information transportée par une fibre. Cette propriété est essentielle lorsque l’on cherche à réduire la latence », explique Xavier Le Polozec. Un point que nous ont confirmé plusieurs spécialistes.

Alors que la vitesse de la lumière dans le vide est de 300 000 km/s environ (les puristes nous pardonneront l'approximation), dans une fibre optique elle n’est « que » d’un peu plus de 200 000 km/s environ. De son côté, la vitesse de propagation d’une onde électromagnétique (c’est-à-dire des faisceaux hertziens) dans l’air avoisine celle de la lumière dans le vide, soit un delta de 100 000 km/s tout de même entre les deux technologies.

En termes de latence, les ondes électromagnétiques sont à 3,3 microsecondes par km, contre 5 microsecondes pour la fibre optique. Il faudrait donc une distance de près de 600 km pour obtenir à peine 1 ms de différence entre les deux technologies, soit à peu près la distance Paris-Toulouse. 

Rajoutons à cela que les faisceaux hertziens sont en ligne droite, alors que la fibre va certainement faire des détours, ce qui a pour effet d’augmenter la distance et donc la latence. Quoi qu’il en soit, cette différence de latence peut-elle être considérée comme étant négligeable ? Oui et non, ça dépend des besoins.

Trading haute fréquence et usages militaires

Pour accéder à Internet depuis un ordinateur ou un smartphone, cette infime différence de latence ne change quasiment rien (même pour les jeux en ligne). Mais il existe un domaine où la moindre milliseconde peut couter ou rapporter une coquette somme d’argent : le trading haut fréquence.

Dans ce milieu où le proverbe « le temps c’est de l’argent » règne en maitre, le faisceau hertzien est presque le saint Graal car il permet de grappiller quelques précieuses microsecondes. On peut ainsi voir des liaisons de ce type traverser une partie de la France et atteindre le sud de l'Angleterre où se trouve la bourse de Londres (et de Paris).

L’AFP a publié il y a quelques années une vidéo explicative. La latence est tellement importante que parfois la longueur des câbles RJ45 est mesurée afin que les différents postes soient reliés à la même longueur pour éviter la moindre différence de latence, aussi infime soit-elle, peu importe leur emplacement dans la salle.

Un autre secteur où les faisceaux hertziens sont utilisés est le domaine militaire. Deux grands usages sont possibles : déployer rapidement une liaison entre deux sites – par exemple sur un théâtre d’opérations à l’étranger – ou bien disposer d’un réseau dédié et indépendant des opérateurs civils. Une couche de chiffrement permet de protéger les données des oreilles un peu trop indiscrètes qui pourraient intercepter le signal en cours de route.

En France, l’armée exploite de tels réseaux sur le territoire national et dispose même de servitude afin que certaines zones restent libres et que d’autres opérateurs ne viennent pas « polluer » les signaux militaires. Contrairement au trading haute fréquence, ces usages sont... bien moins documentés.

En plus de la fibre, des opérateurs proposent également aux professionnels des connexions FH. C’est le cas de Bouygues Telecom. Ce service est principalement destiné aux entreprises « dans un milieu reculé, là où le raccordement en fibre optique serait trop coûteux ». Les débits vont de 10 Mb/s à 1 Gb/s symétrique en fonction de l’abonnement, avec une garantie de temps de rétablissement (GTR) de 10h pendant les heures ouvrées.

L’opérateur Netalis aussi propose des faisceaux hertziens et l’opérateur met en avant un autre avantage : « les accès par voie hertzienne terrestre peuvent aussi faire office d'accès de secours et permettent de résoudre le problème de SPOF (Single Point Of Failure) ». Les débits cette fois-ci vont de 10 à 100 Mb/s symétriques, avec une GTR de 4h pendant les heures ouvrées et de 4h 24/7 en option.

Ils peuvent aussi être utilisés pour des liaisons ponctuelles, en dépannage ou lors de grands évènements.

Exposition aux ondes : l’ANFR va publier des mesures

La question de l’exposition se pose avec les faisceaux hertziens comme pour toute onde électromagnétique, même si nous sommes dans une situation totalement différente de celle des antennes de téléphonie mobile.

Car comme nous l’avons expliqué, les antennes des FH sont très directives et les opérateurs limitent au maximum la présence d’obstacles (au sens large du terme) dans la zone de l’ellipsoïde de Fresnel. En conséquence, « l’exposition liée au FH dans les lieux accessibles au public est attendue faible », selon l’ANFR.

En février, l’Agence nationale des fréquences expliquait qu’elle allait néanmoins réaliser « une mesure sur chaque type de faisceau hertzien » afin de s’en assurer. Contactée, elle nous précise que « la campagne de mesures d’exposition sur les faisceaux hertziens est terminée ». La phase « d’exploitation des résultats » a débuté, ainsi que « la rédaction d’un rapport en vue d’une publication des résultats dans les prochaines semaines ».

Nous reviendrons sur le sujet lorsque le rapport sera mis en ligne.

Emplacement des FH : Cartoradio, mais surtout Carte-FH !

L’emplacement des antennes est disponible sur le site Cartoradio de l’ANFR et le jeu de données peut être téléchargé en open data. On a ainsi accès au nom de l’opérateur, à la fréquence utilisée, à l’orientation de l’antenne… mais c’est tout. La seconde antenne permettant de former un couple et donc d’obtenir la liste des faisceaux n’est pas indiquée, dommage.

Un site « amateur » permet néanmoins d’obtenir – de déduire serait plus exact – cette liste : Carte-FH. Pour reconstituer les liaisons, il utilise un algorithme qui va associer des paires, c’est-à-dire deux antennes d’un même opérateur opérant sur une même bande de fréquence, mais avec des directions opposées.

Un travail utile que l’on doit à Buchanan, avec l’aide d’autres passionnés. Contacté, il nous explique n’avoir eu l’aide d’aucun opérateur pour ce projet. Il a été lancé il y a plusieurs années et continue d’être mis à jour mensuellement.

Carte-FH ne s’arrête pas là et propose des fonctionnalités supplémentaires, comme afficher l’ellipsoïde de Fresnel en cliquant sur un faisceau, des photos des sites accueillant les antennes (sur la base du crowdsourcing), récupérer les jeux de données depuis 2015 (via le lien Télécharger les fichiers kml en haut à droite) et ainsi « remonter le temps » des faisceaux hertziens sur le territoire.

Dans un prochain article, nous aurons l’occasion de revenir en détail sur la genèse, les ambitions, les besoins et les leçons que l’on peut tirer de Carte-FH. Au fil des mois et des années, son créateur nous explique en effet avoir repéré des mouvements importants, précurseurs ou conséquences d’annonces dans les télécoms.

Carte-FH

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